Afin de réduire sa dépendance aux Etats-Unis et à la Chine en matière de production de puces - et éviter au passage de subir de plein fouet les risques pénuriques - l'Europe abat enfin ses cartes. Dans les tuyaux depuis de nombreux mois - un rapport avait été émis en mars 2021 sur ses ambitions - le plan d'attaque de la Commission européenne a été dévoilé ce 8 février 2022 par la vice présidente de cette institution, Margrethe Vestager, et Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur. A noter que ce projet de règlement va nécessiter pour être entériné d’être adopté par les pays membres et le Parlement européen.

Pour multiplier par deux la part de marché de l'Europe - actuellement 10 % - dans les semi-conducteurs d'ici 2030, la Commission a annoncé une enveloppe budgétaire de 43 milliards d'euros. Avec ce plan, l'Europe espère jouer un rôle moteur dans la conception et la fabrication des prochaines générations de micropuces, de 2nm et en-deçà. Baptisé Chip Act, ce programme s'articule autour de plusieurs axes incluant des outils de design et des lignes pilotes pour prototyper, tester et expérimenter des puces, élaborer des modèles certifiés basse consommation, soutenir l'installation d'usines de fabrication en Europe, aider des start-ups, scale-ups et ETI de ce secteur pour accéder à des financements de fonds, développer les compétences et les talents en microélectronique,...

30 Md$ d'aides publiques issues du plan de relance européen

Ce budget d’investissement de 43 Md€ comprend 11 Md€ de subventions nouvelles provenant pour moitié du budget de l’union européenne et pour l’autre moitié de celui des Etats membres. La plus grosse part du plan annoncé aujourd’hui, soit 30 Md€, correspond à des aides publiques, désormais affectées, issues de divers programmes déjà connus adossés au plan de relance européen comme NextGenerationEU et Horizon Europe, mais aussi de budgets nationaux. Elles seront octroyées à des industriels du secteur des semi-conducteurs pouvant inclure des acteurs étrangers comme Intel ou TSMC afin de les inciter à installer des sites de production sur le vieux continent. Enfin, 2 Md€ sont également octroyées aux start-ups du secteur des semi-conducteurs. D’ici 2030, la Commission espère bien faire grimper encore un peu plus ce budget grâce à la participation financière d’acteurs privés et la création par la Banque européenne d'investissement (BEI) d'un fonds de plus de 5 milliards d'euros pour financer cette filière.

« Les puces électroniques sont nécessaires pour les transitions écologiques et numériques et pour la compétitivité de l'industrie européenne. Nous ne devrions pas dépendre d'un seul pays ou d'une seule entreprise pour garantir la sécurité de notre approvisionnement », a expliqué Margrethe Vestager. Et Thierry Breton d'ajouter : « Garantir l'approvisionnement en puces électroniques les plus avancées est devenu une priorité économique et géopolitique. Nos objectifs sont ambitieux: doubler notre part de marché mondial pour la porter à 20 % d'ici à 2030 et produire les semi-conducteurs les plus sophistiqués et les plus économes en énergie en Europe ».

Un plan vraiment à la hauteur des enjeux ?

En juin 2021, le Sénat américain a adopté la loi américaine sur l'innovation et la concurrence (Usica), qui alloue des fonds pour financer les programmes décrits dans la loi Chips for America. L'Usica comprend au moins 37 Md$ d'aide financière pour la construction d'usines de puces sur cinq ans et 11,2 Md$ supplémentaires pour les activités de recherche et développement. Grâce à ce plan, jusqu'à 10 nouvelles usines de semi-conducteurs devraient être construites aux États-Unis.

« L'Europe est aujourd'hui très en retard en termes de moyens de production », a expliqué à l’AFP Emilie Jolivet, directrice de l’activité semi-conducteurs au sein du cabinet de conseil Yole Développement. « Ce projet est un pas en avant mais il faut le relativiser par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde surtout en Asie ». A lui seul, le taïwanais TSMC avait par exemple indiqué investir 36 Md€ rien qu’en 2022. Tous investissements confondus, le Chips Act européen apparait donc peu ou prou équivalent à son homologue américain. A un détail près et pas des moindres : l'Europe part toutefois de beaucoup plus bas. On se demande dès lors si l'Europe n'aurait pas pu (dû ?) frapper bien plus fort pour rattraper davantage son retard face aux Etats-Unis (33 % de Pdm) mais aussi la Chine (26 %) et ses voisins la Corée du Sud (11 %), le Japon (10 %) et Taiwan (9 %). Rendez-vous en 2030 pour de plus grandes ambitions ?