Depuis quelques années, le géant des solutions et services en gestion de l'énergie (alimentations, onduleurs...) Schneider Electric a élargi son portefeuille de logiciels industriels. Dans ce cadre, le groupe avait pris le contrôle de l'éditeur britannique Aveva en 2015 - à hauteur de 60 % de son capital - avant de mettre la main sur la totalité de ses parts en septembre dernier. Après cette opération de rachat finalisée au premier trimestre 2023, Peter Herweck qui dirigeait jusqu'alors Aveva a été promu à la direction générale de Schneider Electric, et pour le remplacer depuis début mai, Caspar Herzberg avec qui nous avons eu l'occasion de nous entretenir sur un point concernant l'activité du groupe, son positionnement et ses ambitions. 

« Notre stratégie n'a pas été modifiée avec le changement de direction générale qui est de devenir numéro 1 de l'édition logicielle industrielle », nous a expliqué Caspar Herzberg. Pour ce faire, Aveva estime être bien armé autour d'un portefeuille riche de plus d'une centaine de solutions (design, gestion des opérations et l'optimisation) issues aussi bien de son savoir-faire historique que de rachats incluant Wonderware Invensys et Osisoft en particulier. « Osisoft est l'éditeur historique en services de données numériques industrielles avec une couverture de l'ensemble du cycle de vie de l'édition logicielle », indique Caspar Herzberg. A la question de savoir si avec ces ajouts conséquents de briques successives finit par rendre l'offre d'Aveva illisible, le dirigeant répond par la négative, préférant parler plutôt de « superpositions sans nécessité de rationalisation ». Et d'insister : « Nous nous concentrons sur le fait d'intégrer toutes nos solutions dans une plateforme accessible pour nos clients et avec laquelle il est facile pour eux d'interagir aussi bien en mode cloud, hybride que sur site »

Une approche cloud pragmatique qui monte en puissance

Aveva est conscient de ne pas arriver en terrain conquis et adopte ainsi une approche pragmatique en misant sur des solutions qualifiées d'ouvertes et agnostiques. « Nous comprenons bien que le monde industriel est très compliqué avec des systèmes anciens, modernes, cloud ou hybride ou on premise, avec des personnalisations faites pendant 15 ans mais nous pensons que la chose la plus importante c'est d'être agnostique et de s'interfacer avec tous les systèmes », martèle Caspar Herzberg. Et ce, en prenant soin de s'adresser aux entreprises avec des offres ciblées (pétrole et gaz, naval, agroalimentaire...). Parmi les caractéristiques de l'évolution de ses offres, Aveva met volontiers en avant - on s'en serait douté - la cloudification. Avant d'être entièrement digéré par Schneider Electric, l'éditeur britannique avait annoncé un plan à 5 ans pour faire peser 25 % de son portefeuille sur le cloud à horizon 2027. Un challenge apparemment sur de bons rails : « je peux vous dire que la croissance de nos offres cloud est extrêmement forte », fait savoir Caspar Herzberg, qui n'en dira pas plus sur ce que cela représente en valeur. « Depuis les deux, trois dernières années il y a un changement de perception du cloud, plutôt ésotérique et lointain, à quelque chose aujourd'hui de plus concret qui doit être pris en compte et accepté », poursuit le dirigeant. « Dans le monde industriel, il y a des limitations auxquelles on pense que le cloud ne peut pas répondre et que l'on doit être on-premise, au plus près des systèmes et qu'il faut ingérer et agréger les données le plus rapidement possible ». Les temps changent et les systèmes s'adaptent, en s'appuyant sur une connaissance des métiers bien plus forte qui manque aux hyperscaler.

S'il s'appuie sur les grands fournisseurs cloud - Microsoft Azure et AWS en tête - Aveva n'en reste pas moins critique à leur égard : « contrairement à eux, nous venons avec un bagage industriel alors qu'ils sont plus neutres. Nous nous entendons bien avec AWS et Microsoft qui ont des offres verticalisées mais qui ne sont pas des spécialistes des mines, des chantiers navals... Nous sommes parfois en compétition mais je pense qu'au bout du compte le savoir faire spécifique du métier est essentiel ». Et de citer en exemple le cas de Danone qui a choisi Aveva pour son système de MES (Manufacturing Execution System) relatif au suivi et à l'analyse des données de qualité de son activité de nutrition infantile « compliquée à donner à quelqu'un d'autre ». Parmi les autres clients d'Aveva, EDF est aussi mis en avant pour « des besoins spécifiques dans la gestion de leur activité nucléaire et des énergies renouvelables », ainsi que des réalisations notables en Espagne dans la supervision de l'eau et du port de Barcelone ainsi que de 40 aéroports opérés par Aena. Il évoque par ailleurs l'existence en Inde d'une cité industrielle entre Dehli et Mumbai dans laquelle 70 000 personnes vivent dans un environnement d'industrie 4.0.

L'IA générative en cours de test et de compréhension

Avec 1,5 Md$ de revenus pour l'année écoulée, Aveva affiche une ambition forte pour les années qui viennent. Non seulement en s'appuyant sur ses leviers d'activités traditionnelles mais aussi en regardant de près les technologies IA. Sans pour autant brusquer les choses : « Nous regardons l'IA générative pour nos développements de solutions. On travaille sur l'IA depuis 12-15 ans pour de l'analyse prédictive, pour optimiser la supply chain, la maintenance, la prévision de panne dans les secteurs du pétrole et du gaz notamment », avance Caspar Herzberg. « Nous sommes en train de comprendre les aspects juridiques pour travailler avec ChatGPT ou d'autres solutions de ce type. Cela peut aider à aller beaucoup plus vite mais si cela utilise du code ou des informations qui ne sont pas conformes, nous ne pourrons pas le faire. Il est essentiel de connaître ce cadre légal surtout avec des technologies aussi intéressantes mais pas éprouvées : nous sommes une société industrielle, pas un innovateur technologique comme Facebook ». Aveva se voit ainsi davantage comme une société centrée sur la R&D qui, avec 2 300 personnes dans ce domaine sur 6 500 employés, affiche un ratio en la matière particulièrement élevé, supérieur à 35 %.