C’est une première. L’Américaine Doreen Bogdan-Martin va prendre les rênes de l’Union Internationale des Télécommunications le 1er janvier 2023. Avec 139 voix pour, contre 25 pour son concurrent, le Russe Rashid Ismailov, elle devient la première femme à diriger l’organisation depuis ses 157 ans d’existence. Mais surtout, elle rassure les inquiétude des Occidentaux concernant le contrôles des Etats et de l’interopérabilité de l’Internet. Elle tournera la page du Chinois Houlin Zha, dont la mandature a été égratignée par Heritage Foundation, à propos des pressions pour que les Etats contrôlent davantage la gouvernance de l’Internet. Il aurait minimisé les inquiétudes des États-Unis concernant les menaces pour la sécurité que représente l'utilisation d'équipements de réseau chinois dans les réseaux critiques en Occident.

Selon plusieurs observateurs, Doreen Bogdan-Martin est considérée comme la candidate la plus à même de préserver le statut de l’UIT en tant qu’arbitre neutre et garant d’un Internet libre et ouvert. Elle a une forte expérience de l'organisation internationale, notamment au sein du Département de la planification stratégique et des relations avec les membres où elle a oeuvré pour la création de la commission sur le large bande au service du développement durable. Son choix reflète une opposition aux récentes manœuvres russes et chinoises au sein du groupe pour renforcer le contrôle des fonctionnalités de base de l’Internet. L'ancien président de la FCC américaine, Tom Wheeler, a déclaré avant l'élection qu'il s'agissait essentiellement d'un référendum sur l'orientation que les États membres souhaitaient donner à l'Internet, à savoir si l’UIT devait continuer à gérer l'internet dans son propre intérêt ou accepter un contrôle étatique que d'autres parties prenantes ont réclamé par le passé.

Contrecarrer les ambitions russes et chinoises

Dans le détail, la Russie et la Chine avaient présenté un plan « garantissant que tous les Etats ont des droits égaux pour participer à la gouvernance du réseau mondial ». Ce programme prévoit notamment une refonte fondamentale de l'internet, initialement appelée « New IP » et rebaptisée depuis « IPv6+ ». Dans un rapport datant de 2020, l’Icann a jugé cette proposition, largement soutenue par Huawei, de technologiquement rétrogrades et potentiellement dommageables pour la stabilité et l’interopérabilité de l’Internet. La nature partielle des descriptions techniques de Huawei rend difficile l’évaluation du programme, constate l’organisation . « En tant que tel, il ne peut être considéré au mieux que comme un « travail en cours » et ne peut être entièrement analysé et comparé à une norme telle que la suite de protocoles TCP/IP », observe l’Icann. Il dénonce aussi les principales caractéristiques du plan comme le retour des réseaux commutés en circuit au lieu de la commutation par paquets. Idem pour le concept architectural « ManyNets », qui modifieraient profondément la nature de base de l’Internet, imposant des changements majeurs aux entreprises et aux utilisateurs finaux. « Au lieu d'un réseau unique, l'internet deviendrait un patchwork de réseaux vaguement interconnectés par des passerelles », indique le rapport de l'Icann.

Cette nouvelle architecture a également été vivement critiquée par les défenseurs de la sécurité et de la vie privée, qui y voient une structure « descendante » qui modifie le modèle multipartite traditionnellement utilisé pour gouverner l'internet, autorisant un contrôle beaucoup plus important qu'auparavant par les Etats. L'Internet Society, bien qu'elle ait refusé de soutenir l'un ou l'autre candidat aux élections du secrétaire général de l'UIT, s'est inquiétée avant le vote du fait que des considérations politiques internationales pourraient « fragmenter l'internet ». Elle ajoute, « les actions géopolitiques pourraient (...) nous conduire davantage vers un Splinternet, où l'internet est découpé selon des frontières politiques, économiques et technologiques ».