Les dirigeants qui envisagent l'horizon 2024 et au-delà ont d'ores et déjà certainement un programme chargé. Les décisions concernant les technologies de rupture actuelles et futures exigent des actions décisives et d'éventuels investissements pour rester compétitif. Et, outre les considérations technologiques habituelles, les questions économiques, géopolitiques et liées à la chaîne d'approvisionnement requièrent l'attention des responsables IT qui s'efforcent de maintenir la croissance de leur entreprise dans une période de turbulences. Alors, comment les professionnels de l'informatique peuvent-ils préparer leur avenir et celui de leur organisation. Voici huit idées forces qui peuvent vous aider à définir des priorités, à vous adapter à l'environnement qui s'annonce pour 2024 et au-delà.

1) Oublier ce qui a fonctionné par le passé

Sastry Durvasula, DSI et directeur des services à la clientèle chez TIAA (assurance et fonds de placement), affirme que le rythme très rapide des changements technologiques implique que les responsables IT seront bientôt confrontés à des territoires inconnus - et que la capacité d'adaptation des dirigeants sera donc essentielle. Lorsqu'il s'agit d'envisager l'avenir, le DSI privilégie le cadre des trois horizons définis par le cabinet McKinsey, qui met l'accent sur l'identification des défis et la manière d'y répondre favorablement. Dans le cadre de ce modèle, il faut d'abord réfléchir à la manière de protéger l'entreprise actuelle, puis agir pour saisir les nouvelles opportunités, l'objectif final étant de créer une entreprise entièrement nouvelle : « l'incubation de nouveaux modèles économiques alimentés par des technologies émergentes devrait être une priorité stratégique », explique-t-il.

« L'équilibre et la priorité accordée à ces domaines nécessitent une approche flexible du développement des produits, de la modernisation des plateformes, des capacités de contact avec les clients et des innovations technologiques axées sur ces derniers que nous mettons en oeuvre par le biais de partenariats stratégiques avec des fournisseurs et partenaires », ajoute-t-il. À titre d'exemple, il cite un partenariat entre TIAA et l'Université de New York, dans le cadre duquel les employés de l'assureur peuvent se perfectionner grâce à des programmes les aidant à acquérir des connaissances spécialisées et de nouvelles compétences. « Nous nous concentrons vraiment sur l'amélioration et le renouvellement des compétences afin de favoriser l'apprentissage continu et le développement par le biais de communautés de pratiques », explique le DSI. « Ce qui a fonctionné hier ne fonctionnera pas forcément aujourd'hui ou demain ».

2) Garder la tête froide

Avec l'émergence simultanée d'un grand nombre de technologies de rupture (comme l'IA générative) et la nécessité pour les responsables IT de résoudre de nombreux autres défis métiers, il est facile de se laisser emporter par la ferveur. Mais en plus de porter le changement, les responsables IT doivent développer une approche multi-facettes pour relever les défis technologiques et métiers actuels, explique Sanjay Srivastava, en charge de la stratégie numérique au sein de la société de services Genpact. « Les DSI doivent s'adapter en adoptant une approche holistique axée sur la résilience, l'agilité, la diversification et la collaboration, explique-t-il. Dans ce paysage d'investissement informatique en pleine évolution, la définition du risque n'a pas changé, mais le délai de réponse s'est raccourci. »

Sanjay Srivastava se focalise notamment sur le respect de la conformité aux différentes réglementations - en soi une tâche ardue - en considérant à la fois la protection de la vie privée et la cybersécurité. Et se la manière de concilier cet impératif, variable d'un Etat à l'autre, avec l'adaptation rapide aux progrès technologiques. « Le défi réside dans le fait que les capacités technologiques - et notre compréhension de leurs potentiels et de leurs pièges - sont encore en cours de maturation, par exemple avec l'IA générative. Il est compréhensible et prévisible que les réglementations évoluent, et il sera essentiel de travailler sur les changements à venir sur une stack technologique qu'il est par ailleurs nécessaire de penser à long terme pour bien faire les choses », ajoute-t-il.

3) Prioriser les enjeux RH

Malgré les discours à la mode sur les cas d'utilisation actuels et futurs, comme toute technologie, l'intelligence artificielle ne sera jamais aussi puissante que les personnes qui la développent et travaillent avec elle, juge Satish Jayanthi, cofondateur et CTO de Coalesce (un éditeur de logiciels basé en Californie). « Toutes les initiatives en matière de données reposent sur des personnes de qualité qui travaillent dur », relève-t-il. Et bien qu'il y ait de nouvelles opportunités pour les professionnels de l'informatique et de nouvelles appellations d'emploi - comme ingénieur spécialisé dans les prompts - Satish Jayanthi pense que la clé du succès avec les technologies émergentes telles que l'IA est de trouver et d'investir dans les carrières des personnes qui ont un intérêt personnel fort dans la croissance des projets ainsi lancés. « Je crois fermement qu'il faut donner la priorité au capital humain ». Selon lui, les équipes en charge de la technologie doivent avoir les moyens de progresser et d'affiner leurs compétences pour réussir avec les technologies émergentes.

Richárd Hruby, DSI et directeur de la technologie de CYQIQ (un éditeur de solutions pour le secteur du conseil), reconnaît que toute discussion sur l'adoption de l'IA doit commencer par une réflexion sur les collaborateurs. « Le recrutement dans le secteur de la tech a toujours été en dents de scie, dit-il. On a actuellement l'impression que les paramètres traditionnels de l'expérience ont été bouleversés. Une année d'expérience en IA ressemble désormais à une décennie dans d'autres domaines. La concurrence avec les géants [de la technologie], qui peuvent offrir des salaires astronomiques, fait de l'embauche de talents chevronnés une tâche herculéenne. Les DSI doivent donner la priorité à leurs enjeux RH stratégiques. »

4) Anticipez les risques de demain

Les DSI doivent anticiper les risques en matière de sécurité, même ceux qui ne se manifesteront pas avant plusieurs années, juge Dietmar Fauser, DSI de Symphony, un éditeur de logiciel pour le secteur de la finance. Et, comme d'autres mesures d'anticipation que vous pouvez prendre dès maintenant, cela commence par une gestion intelligente des données. « Les responsables informatiques doivent comprendre que les algorithmes actuels ne seront plus sûrs avec l'avènement de l'informatique quantique, explique Dietmar Fauser. Nous devons nous préparer à adopter rapidement des algorithmes de chiffrement post-quantique. C'est important pour éviter d'archiver des jeux de données cryptées qui feront l'objet de futurs piratages via des algorithmes quantiques. Nous constatons déjà des tentatives de vol de ces ensembles de données dans le seul but de les craquer à l'avenir, une fois que cela sera possible. »

Quelles mesures spécifiques votre organisation peut-elle prendre dès aujourd'hui ? Dietmar Fauser suit les recommandations du National Institute of Standards and Technology (NIST), une agence du gouvernement des États-Unis. Le DSI effectue également une veille sur quelques start-ups du domaine, tout en gardant un oeil sur la recherche universitaire. « Il n'existe pas une réponse tout faite, dit-il, mais il y aura certainement un avantage concurrentiel à être parmi les premiers à se lancer dans le chiffrement post-quantique - et un gros mal de tête pour les retardataires. »

5) Pensez comme une start-up

Selon Mark Olson, vice-président des solutions clients chez Caylent, une société de services IT spécialisée sur AWS, les DSI devraient systématiquement considérer leur organisation comme une entreprise en pleine croissance, avec toute l'agilité, l'état d'esprit et l'attention portée aux résultats que cela suppose. « Dirigez votre organisation avec un état d'esprit innovant, plaide-t-il. Attendez-vous à ajuster vos feuilles de route à court terme en fonction de l'évolution des tendances économiques, qu'elles soient favorables ou défavorables. Les services IT de base devraient être confiés au moins-disant, tandis que les programmes générant des gains de productivité, des avantages concurrentiels, réduisant les coûts ou les temps de cycle ou augmentant l'agilité sont des investissements stratégiques pour la santé à long terme de l'entreprise. »

Bien que l'informatique soit encore souvent considérée comme un centre de coûts, Mark Olson estime qu'une organisation devrait traiter les services fournis par sa DSI, tels que l'infrastructure, le développement et le support, comme des activités métiers. « Pour ce faire, un DSI doit comprendre et promouvoir les aspects économiques des services fournis par son équipe et gérer son portefeuille d'applications et de services en fonction du retour sur investissement, explique le dirigeant. Veillez à ce qu'il y ait une valeur reconnue associée à chacune de vos applications et à chacun de vos services ! »

Pour les responsables confrontés à des budgets de plus en plus serrés, Richárd Hruby estime qu'il est possible de tirer le meilleur parti de ressources limitées en s'inspirant de l'approche adoptée par de nombreuses start-ups et petites et moyennes entreprises. « Pour la plupart des entreprises, chaque dollar dépensé dans le domaine des technologies de l'information compte, explique-t-il. La technologie actuelle nécessite beaucoup de puissance de calcul, et nous devons donc nous assurer de tirer le maximum de nos outils, en particulier lorsqu'il s'agit de ressources limitées. Je pense personnellement qu'avec l'explosion cambrienne (référence à la multiplication des formes de vie animale, lors que la période du Cambrien, NDLR) de la demande pour le cloud, investir aujourd'hui dans une infrastructure plus efficace permettra de distinguer les gagnants des perdants au cours des prochaines années ».

6) Restez flexible dans l'organisation du travail

Pour Justin Rodenbostel, vice-président exécutif de SPR (une société de services en IT), les dirigeants IT devraient garder l'esprit ouvert aux différents modes d'organisation du travail issus de la pandémie. Maintenant que les bureaux sont passés d'un mode de travail entièrement à distance à un mode de travail hybride, mélangeant présence obligatoire au bureau et modes d'organisation plus fluides, les DSI doivent rester flexibles sur ce point afin de maintenir la satisfaction au travail, l'engagement des collaborateurs et assurer la fidélisation des employés clefs.

« Les responsables informatiques devront apprendre ce qui convient le mieux à leurs équipes en termes de lieu de travail, explique Justin Rodenbostel. Nous avons entendu des arguments de part et d'autre sur les raisons des tenants du travail à distance ou de la présence au bureau tous les jours de la semaine. Nous avons lu des articles de presse sur les réactions aux injonctions à retourner au bureau, et nous avons aussi lu des articles similaires qui arrivent aux conclusions opposées. La réponse se trouve probablement quelque part au milieu. Il ne semble pas que nous retournerons un jour au bureau à plein temps. Pour réussir, les DSI devront s'adapter, en se demandant comment et quand programmer la présence des collaborateurs au bureau, comment modifier l'espace de travail pour aider au mieux l'organisation de leurs équipes, et comment maintenir le lien entre les personnes tout en travaillant à domicile. »

Les considérations relatives aux relations à distance ne se limitent pas à la question de savoir si vos collègues reviennent au bureau. Pour Justin Rodenbostel, le DSI doit également réfléchir à l'approche qui convient le mieux à son organisation dans ses relations avec les clients internes et externes. « Examinez quelles interactions avec les clients doivent se faire face à face, augmenter leur fréquence ou changer complètement de modèle afin de maintenir un niveau élevé de service à la clientèle, explique-t-il. Les dirigeants doivent être plus attentifs à la manière dont ils mesurent la satisfaction des clients et dont ils répondent à leurs commentaires dans les environnements hybrides ou entièrement à distance. »

7) Réduisez votre empreinte carbone

Le cabinet d'études Gartner prévoit que, d'ici quelques années, la rémunération d'un quart des DSI sera liée à l'impact de leurs stratégies en matière de numérique responsable. Et de suggérer aux DSI de travailler dès maintenant à la réduction des effets néfastes sur l'environnement des technologies qu'ils déploient, en mettant l'accent sur l'amélioration de la durabilité globale de l'organisation.

Toby Alcock, directeur technique de la société de services informatiques Logicalis, estime que les entreprises ne peuvent plus fermer les yeux sur l'impact considérable de la technologie sur l'environnement. « Les responsables IT devront intégrer le développement durable dans leurs stratégies et leurs opérations, explique ce dernier. Cela signifie passer à des sources d'énergie renouvelables, éliminer de manière responsable les déchets électroniques et optimiser le matériel pour qu'il soit plus économe en énergie ».

Selon Gartner, les entreprises pourraient envisager de « passer à des méthodes plus dynamiques et plus efficaces pour optimiser la distribution de l'énergie dans les datacenters, comme l'utilisation de fonctions pré-intégrées de distribution de l'énergie ou de logiciels de gestion spécialisés (DCIM) pour planifier, mesurer et documenter les opérations au sein des datacenters et en améliorer la durabilité ». Pour le CTO de Logicalis, cette analyse de l'efficacité énergétique et l'impact environnemental de leurs activités doit être étudiée conjointement avec la recherche de gains d'efficacité et d'optimisation des coûts. En considérant l'ensemble des acteurs concourant à une activité économique. « En examinant de plus près leurs émissions, les entreprises jugent également avec plus d'attention les références en matière de développement durable de leurs partenaires et de leurs fournisseurs, explique Toby Alcock. Les revendeurs et les fournisseurs de services managés doivent donc démontrer leurs propres actions de réduction des émissions de carbone. »

8) Recherchez un bénéfice mutuel avec les métiers

Selon Anthony Walsh, vice-président en charge des opérations techniques chez OneStream Software (un éditeur de logiciels d'optimisation financière, dont le siège est aux Etats-Unis), la meilleure façon pour les responsables IT de voir leur carrière prospérer consiste à s'engager aux côtés de leurs collègues métiers, ce qui contribuera grandement à éliminer la perception que l'informatique reste un obstacle à la croissance de l'activité.

Pour ce dernier, cet alignement plus étroit entre les DSI et les directions métiers peut également aider à gérer les exigences - et les risques - associés à l'adoption rapide des technologies émergentes. « Une pression s'exerce sur la DSI pour qu'elle porte des initiatives technologiques avec peu ou pas de financement supplémentaire, explique Anthony Walsh. Cela accroît la tension sur le DSI et l'équipe de direction pour qu'ils établissent correctement les priorités en fonction de ce qu'il est possible de déployer. Favoriser une relation plus étroite avec les métiers permet de s'assurer de leur adhésion et réduire les risques. »