Il y a cinq ans, Dynatrace, le spécialiste de la gestion de la performance applicative, décidait d’opter pour une approche AI-first. Selon les mots de l'actuel CEO, John Van Siclen, ce changement de cap était fondé sur la conviction qu'il valait mieux « être le disrupteur que le disrupté ». Cependant, transformer une activité de fournisseur traditionnel de surveillance et de journalisation en activité de « veille logicielle » demandait un sérieux acte de foi et impliquait une restructuration radicale de l'entreprise de l'intérieur et de l'extérieur. Lors de la conférence Perform qui a eu lieu à Las Vegas du 28 au 30 janvier, le CEO Dynatrace a expliqué à nos confrères de Computerworld UK comment il avait transformé l'entreprise et comment était né le moteur IA sous-jacent qui fait tourner la plateforme.

Selon M. Van Siclen, le choix d'adopter l'IA à tout prix était simple. « L'activité de monitoring consistait à rassembler différents types de données et à les présenter à des utilisateurs humains pour qu'ils sachent quoi en faire », a-t-il déclaré. « Nous voulions changer ce paradigme. Ce dont avaient vraiment besoin les utilisateurs, c'était un accès plus rapide aux réponses. Dans ce cas, pourquoi ne pas livrer les réponses, au lieu de laisser les utilisateurs fouiller dans les données ? » Selon le CEO de Dynatrace, c'était la seule réponse logique à la réalité actuelle, où les piles de données s'accumulent d'un facteur 10, voire 100, chaque année. L'IA est la seule façon intelligente de traiter une collecte de données aussi colossale.

Une IA déterministe 

Avant de se lancer dans le développement de son propre moteur d'intelligence artificielle dénommé Davis, Dynatrace a regardé ce que faisaient d'autres entreprises qui prétendaient développer des moteurs d'intelligence ou de corrélation. « Nous avons découvert que ces moteurs étaient vraiment faibles et nous avons compris ce qu'il ne fallait pas faire », a déclaré le CEO. L'entreprise a donc décidé de mettre en œuvre sa propre approche, de construire entièrement ses modèles IA. Mais seulement après avoir tranché une question vitale : fallait-il développer un système déterministe ou un système d'apprentissage profond ?

Pour M. Van Siclen, la réponse était claire. « Dans le monde du cloud, il n’est pas possible de choisir un modèle d'apprentissage profond parce qu'il est infiniment variable », a-t-il expliqué. « Si les systèmes d'apprentissage pouvaient faire face à une variabilité infinie, IBM Watson prédirait Wall Street. Or ce n'est pas possible. Il peut très bien jouer aux échecs parce qu'il y a un nombre fini de variables. Mais le cloud est comme Wall Street. C'est pourquoi notre moteur d'IA est construit sur une carte de dépendance ». Cette carte présente chaque pièce du puzzle qui interagit à travers la pile technologique. Selon M. Van Siclen, la plus grande valeur du modèle réside dans sa capacité à éliminer le bruit dans les données et de fournir aux équipes IT un aperçu exploitable. De plus, le système priorise intelligemment les questions en fonction de leur impact sur les clients.

Un développement interne

Le programme est basé sur des algorithmes développés en interne par des mathématiciens et des spécialistes des données, qui ont une connaissance approfondie du domaine. Une partie du programme détermine la nature du problème et une autre fait émerger le contexte correspondant à l'incident, utile pour élaborer une réponse sur mesure. Selon John Van Siclen, en discutant avec de nombreux DSI et CTO - de grandes banques, d’entreprises hôtelières et de santé - sur la manière dont Dynatrace avait modélisé son moteur IA, ceux-ci ont déclaré : « C’est ce que nous avons compris, c'est exactement comme cela qu’il faut faire », a-t-il précisé.

Concurrence

John Van Siclen affirme que les concurrents de Dynatrace - s'ils travaillent sérieusement avec l'IA - ont choisi pour la plupart la voie de l'apprentissage profond plutôt que celle des modèles déterministes. Or, selon lui, ce choix ne mènera qu'à des impasses. « Ils n'y arriveront jamais, c'est une perte de temps », a-t-il affirmé. « Plus ils essayent dans cette voie, plus nous prenons de l’avance », a-t-il ajouté en souriant. « Je pense qu'ils n’ont pas passé beaucoup de temps avec leurs meilleurs ingénieurs pour se poser la question. Dans leur approche, ils traitent cela comme un projet distinct, et ils essaient juste de le ficeler pour pouvoir faire une déclaration marketing, mais qui n’a rien d’un vrai engagement commercial ». « En ce qui nous concerne, notre objectif est de faire en sorte qu'il fonctionne, au point presque d’oublier d’en faire la promotion commerciale », a-t-il plaisanté.

Dynatrace a largement investi dans cette approche, un pari énorme basé sur sa confiance du rôle que jouera l'intelligence artificielle dans l'intelligence logicielle. « Nous avons investi 100 millions de dollars dans cette plate-forme pour la mettre au niveau des charges de travail de classe entreprise », a expliqué M. Van Siclen. Et, quand on lui demande s’il s’inquiète du fait que d'autres entreprises du secteur basculent soudainement vers une approche déterministe, il répond : « Oui, ils pourraient y arriver, mais il y a beaucoup de pièces dans ce puzzle. Il faut disposer de toutes les sources de données pour créer une carte des dépendances suffisamment riche pour résoudre ce type de problèmes ». Et comment s'y prend-on pour réunir toutes ces sources de données dans un environnement cloud dynamique ? « Il faut des outils qui peuvent supporter la découverte continue de tous les changements », a déclaré M. Van Siclen. « Ce n’est pas possible de faire ça manuellement. Il faut donc changer d’outils ». C'est exactement ce que Dynatrace a fait il y a cinq ans. « Nous avons dû résoudre tout le spectre pour créer l'agent d'IA. C'est pourquoi nous avons dû tout réinventer ».

Prochaine étape

Selon John Van Siclen, le lancement du moteur IA n'a pas été accueilli avec autant d’enthousiasme qu’on pourrait l'imaginer. « Le moteur IA représente un grand pas en avant pour nos clients, mais ils sont tous un peu sceptiques tant qu’ils ne l’ont pas essayé », a-t-il encore déclaré. Mais il ajoute qu'il a fait ses preuves - SAP, le très grand éditeur de logiciels, n'a pas encore prouvé que les résultats IA de Dynatrace étaient faux. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’il a fait le choix d’un modèle déterministe que M. Van Siclen nie l'efficacité des modèles d'IA basés sur l'apprentissage profond. Il reconnait même qu'ils peuvent être utiles dans d'autres cas d’usage : « Un jour, nous utiliserons peut-être un modèle d'apprentissage pour l'expérience utilisateur, par exemple. Ça ne servirait pas à identifier une cause profonde, mais pour tirer des résultats d’IA à partir du même ensemble de données ».

Van Siclen indique qu'à l'avenir, Dynatrace examinera de plus près la manière d'unifier les indicateurs clés de performance de l'entreprise, comme les taux de conversion ou les revenus, afin de rapprocher les deux côtés de l'équation - tant la performance technique du logiciel que son impact commercial global. « Une approche commerciale beaucoup plus intelligente que l'approche technique que nous avons adoptée pour le moment », a-t-il ajouté. Selon lui, ce sera l’un des domaines clés sur lequel se penchera Dynatrace en 2019. Et même si l'équipe va d’abord expérimenter des modèles déterministes d'IA, elle va aussi « s’intéresser à d'autres modèles et à d'autres algorithmes sur lesquels nous pourrions travailler ».

À titre d'exemple, celui-ci a cité la nouvelle technologie de Session Replay qui permet aux entreprises d'isoler des sessions Web uniques et de les rejouer pour voir ce que le client voit, et tout ce qui se passe à chaque niveau de la pile, code inclus. Même si la fonction est utile aux entreprises, elle les oblige à parcourir un plus grand nombre de données. « Une entreprise comme Walmart ne peut pas passer toutes ses données en revue. Elle doit savoir quoi regarder », a déclaré le CEO de Dynatrace. Certes, un système plus utile pourrait ne signaler que les sessions qui nécessitent vraiment une attention particulière. « C'est là qu'un système d'apprentissage peut, avec le temps, apporter des choses différentes d'un modèle plus déterministe », a encore déclaré John Van Siclen. « Toutes ces choses sont importantes et nous les considérons de près ».