Licenciements, ralentissement des embauches, resserrement des budgets, etc. Récemment, le monde de l’IT a implosé. Même si l'économie globale est en perte de vitesse, le numérique semble être particulièrement touchée, en partie peut-être à cause d’un excès de développement pendant les années fastes. Quelle qu'en soit la cause, ce secteur est confronté à une période particulièrement difficile et brutale. Pour ceux qui sont déjà passés par là, il est bon de rappeler que même si la macroéconomie entre officiellement en récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), ce ne sera pas le cas de l’IT.

Du moins, historiquement. Les entreprises de ce domaine ont toujours continué à croître, même si c’est plus lentement, y compris au milieu des récessions. Il suffit de regarder les récents résultats des fournisseurs cloud : une croissance plus lente, mais robuste, qui s’explique par le fait que les entreprises continuent à dépenser parce qu’en cas de manque d'investissement, elles peuvent prendre du retard, parfois irrémédiablement. Pour survivre et même prospérer pendant cette période de ralentissement, Microsoft a des solutions à proposer. Oui, j’emploie les termes « embrasser et étendre », entre autres choses. Mais ce n'est pas forcément à mauvais escient.

Embrasser, étendre, faire preuve d'empathie

Cette phrase célèbre – « embrasser, étendre, éteindre » - provient de documents internes de Microsoft que le ministère américain de la Justice a rendu public dans les années 1990 au moment où il examinait la position antitrust de l’entreprise. À l’époque, la stratégie de Microsoft consistait à adopter des normes industrielles largement utilisées, à les étendre avec des extensions propriétaires, puis à utiliser ces « normes » moins standardisées pour éliminer les concurrents. Pas très joli, n’est-ce pas ? Les temps ont changé : aujourd'hui les deux premiers « E » se manifestent de manière beaucoup plus agréable.

Ce que Microsoft a particulièrement bien réussi à faire, c'est de comprendre les professionnels de l’IT d'entreprise qui cherchent à passer au cloud sans trop savoir comment s'y prendre. Même si chacun des fournisseurs clouds offre des programmes de modernisation qui aident les entreprises à migrer les charges de travail, la firme de Redmond semble insister encore plus sur ce point. C’est peut-être une attitude défensive - Microsoft préférerait que de nombreux applications Windows utilisent Azure plutôt que des services cloud concurrents - mais c'est aussi une démarche commerciale intelligente. L’éditeur essaie de prendre en compte les infrastructures actuelles des entreprises (principalement sur site) et de les aider à passer au cloud à leurs conditions. D’où ce choix de mettre en avant le cloud hybride. Les principaux fournisseurs de cloud ont tous été très actifs dans le cloud hybride, mais cette approche est au cœur de la stratégie de Microsoft depuis le début.

Reste à appliquer le principe. Convaincre les DSI ou les développeurs d'apporter des changements brutaux et profonds à leurs applications en période d'essor économique auraient probablement été judicieux, mais dans un contexte de ralentissement économique, l’adoption d’une approche plus « incrémentale » semble plus sage. Il ne faut pas oublier que les entreprises continueront à dépenser parce qu'elles y sont obligées. Comme l'affirme David Linthicum, aujourd’hui Chief Cloud Officer chez Deloitte, « le cloud est désormais un enjeu pour les entreprises qui souhaitent passer à la vitesse supérieure ». Cependant, l'extension progressive vers le cloud est sans doute plus facile à justifier, mais elle reste significative pour la transformation numérique.

Comment y parvenir ? Tout d'abord, les entreprises doivent garder à l'esprit qu’elles n‘ont à peu près aucune chance de réussir à « embrasser et étendre » sans les bonnes personnes. Certes, les licenciements peuvent compenser un manque de rentabilité, mais David Linthicum estime que cette stratégie présente un sérieux inconvénient : Les entreprises qui échouent et celles qui réussissent avec le cloud dépensent à peu près autant d'argent. Ce qui détermine le plus le succès ou l'échec, ce sont les compétences de ceux qui réalisent les déploiements dans le cloud, et non la technologie elle-même. La grande différence tient toujours aux personnes. La décision de se passer des personnes est donc très risquée.

« Supprimer et remplacer », un choix risqué

Ensuite, les entreprises doivent trouver des solutions pour combiner les anciennes pratiques avec les nouvelles. Comme me le disait récemment James Governor, analyste chez RedMonk, « l'intégration est une vertu cardinale de l'entreprise ». Elles ne peuvent généralement pas se permettre le luxe d'une transformation de type « suppression, remplacement ». En général, elles cherchent des moyens d' « embrasser et d'étendre » l'infrastructure et les applications existantes avec de nouvelles alternatives. Il est à la fois impitoyable et inefficace d'entrer dans une entreprise et de lui dire de tout changer sans respecter le pourquoi et le comment de son architecture. Le mieux est en effet de se mettre à leur niveau et de les aider à se moderniser malgré et à cause de la récession.

Mettre de l'ordre dans ses affaires

Malgré les conseils prodigués pour protéger le personnel, il est probable que les entreprises ont trop embauché pendant la période de prospérité, comme le suggère Nat Friedman, ancien CEO de GitHub. Comme je l'ai expliqué, il y a, malgré cela, de bonnes et de très mauvaises façons (comme l'a démontré Elon Musk) de réduire le personnel dans les entreprises. Comme j'en ai fait l'expérience, certaines coupes peuvent aider. J'ai vécu deux importants ralentissements technologiques, et mes expériences n'auraient pas pu être plus différentes. Pour le premier, je travaillais pour une startup embarquée dans Linux à l'apogée du boom dot-com. Ceux qui ne l’ont pas vécu auront du mal à comprendre à quel point la situation était plus qu’inhabituelle. Nous ne percevions pratiquement aucun revenu et nous étions loin d'être rentables, mais nos banquiers voulaient nous faire entrer en bourse, et ils s’étaient dits que la seule façon d’avoir une bonne estimation était de nous évaluer à l’aune du talent des ingénieurs. Sauf que nous n'en avions pas beaucoup. Si je me souviens bien, à l'époque, l'entreprise n'employait que 40 personnes, et nous cherchions à obtenir une valorisation supérieure à 200 millions de dollars. (Les licornes n'existaient pas encore.) Nous avons donc fait ce que toute entreprise du dot.com qui se respecte aurait fait : en l'espace d'un mois, nous avons acquis six entreprises et multiplié par dix notre effectif (ainsi que notre base d'ingénierie et nos coûts). Tout s'est bien passé jusqu'à ce que le boom des dot-com se transforme en crise, et que les capitaux et les clients disparaissent. Une aventure qui s’est soldée peu après par des licenciements et une fin peu reluisante.

Si je compare cela avec une autre startup open source, Alfresco, pour laquelle j’ai travaillé pendant la récession de 2007-2008, je peux dire qu’à la différence de ma précédente expérience, notre CEO, John Powell, était extrêmement prudent. En tant qu'ancien directeur de l'exploitation de Business Objects, il savait gérer sa barque et il nous a permis de rester rentables. Nous avons augmenté les effectifs en fonction de la croissance des revenus et nous avons réduit les dépenses en fonction des besoins pour maintenir la rentabilité. L'économie était en plein bouleversement, mais je me sentais en sécurité. C’est peu de dire que mes collègues et moi avons travaillé dur pour assurer le succès des clients dans des circonstances difficiles. Je ne suis pas sûr d'avoir jamais connu une telle camaraderie, et cette solidarité a absolument aidé l'entreprise à prospérer pendant la récession.

Bien sûr, une entreprise doit réduire ses effectifs si elle y est obligée, mais elle doit le faire très prudemment. Les personnes apportent un net avantage. Elles innovent. Elles trouvent le moyen de faire plus avec moins. J’entends déjà certains dire « qu’ils vont simplement licencier les employés les moins performants ». Mais on sait bien que les licenciements ne se passent pas toujours comme ça. Je connais des personnes qui ont été récemment licenciées par Stripe, et qui étaient pourtant très performantes chez certains des employeurs les plus exigeants comme AWS. Même si l’entreprise ne parvient à laisser partir que les employés les moins performants, l'environnement créé par les suppressions massives de postes est toxique. Et elle risque de perdre ses meilleurs éléments dès qu'ils trouveront un nouvel emploi. Je ne veux pas dire que ces décisions sont faciles. Je rappelle plutôt que la meilleure stratégie en période de récession consiste à aider les gens à en faire toujours plus (en tant que fournisseur) et à protéger leurs instincts et leurs capacités d'innovation (en tant qu'employeur). C'est à Microsoft que l'on doit la première idée, et je m'attribuerai une partie du mérite de la seconde.

Matt Asay est contributeur pour IDG NS et travaille chez MongoDB