« La puce expérimentale devrait permettre aux ordinateurs de prendre des décisions après avoir rassemblé et analysé d'immenses quantités de données, comme le fait l'être humain quand il compulse des informations pour comprendre une série d'événements », explique Dharmendra Modha, chef de projet chez IBM Research. Ces puces prototypes, dont le modèle est inspiré des  systèmes neuronaux, imitent la structure du cerveau et son fonctionnement, à la différence près que cela se passe dans des circuits de silicium, à l'aide d'algorithmes complexes. « IBM espère qu'en reproduisant le fonctionnement du cerveau humain dans une puce, il pourra faire évoluer les ordinateurs pour en faire des machines hautement parallèles, capables de penser par événement, et peu gourmandes en énergie », indique le chef de projet.

Ces futures machines au comportement humain seront très éloignées des ordinateurs actuels, limités en puissance de calcul et qui nécessitent d'être programmés par l'homme pour produire des résultats. «Ces machines vont permettre de dépasser les limites fondamentales des ordinateurs actuels », a ajouté Dharmendra Modha. « On ne pourra pas soutenir des vitesses d'horloge toujours plus élevées. En revanche, le cerveau humain représente l'ordinateur parfait. »

Des connexions qui s'organisent dynamiquement

Comme le cerveau humain, les puces expérimentales d'IBM peuvent organiser leurs connexions dynamiquement afin de sentir, comprendre et agir en fonction d'informations collectées par la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher, mais aussi réagir à l'analyse d'autres sources, comme la météo ou le contrôle de l'approvisionnement en eau. « Les puces aideront à découvrir des modèles basés sur les probabilités et la mise en relation des informations. Mais elles vont devoir  rivaliser avec la taille compacte du cerveau et ses faibles besoins en énergie », a déclaré le chef de projet d'IBM Research. «Nous avons désormais à notre disposition les éléments d'une nouvelle architecture qui peut nous permettre d'effacer, d'une manière toujours plus efficace, la frontière entre le monde physique et le monde numérique », a déclaré Dharmendra Modha.

« Ces puces pourraient aider à gérer l'approvisionnement en eau grâce à une analyse des données en temps réel et une capacité de reconnaissance des formes », explique encore le chef de projet. Reliés à un réseau de capteurs de surveillance mesurant la température, la pression, la hauteur des vagues et des marées océaniques, les ordinateurs équipés de ces puces pourraient lancer des alertes au tsunami. Ces puces aux fonctions cognitives pourraient aussi aider les grossistes à repérer les produits défectueux et doter les smartphones de fonctionnalités permettant de mieux interagir avec l'environnement. IBM et ses partenaires ont déjà appliqué les résultats de leurs recherches pour tester un parcours dans un labyrinthe, un jeu de Pong, ou pour trouver des motifs dans une série de données. Les chercheurs cherchent à obtenir de meilleurs résultats dans la reconnaissance d'images dans une vidéo.

Des phénomènes électriques identiques à ceux des neurones

IBM a réalisé deux puces expérimentales selon le processus de fabrication à 45 nanomètres. Les circuits utilisés sont des circuits classiques mais sont organisées de manière à recréer des phénomènes électriques identiques à ceux des neurones et des synapses dans le cerveau humain, avec des capacités de mémoire, de calcul et de communication intégrées. « Les puces sont fabriquées avec les mêmes transistors utilisés dans la fabrication des microprocesseurs actuels, mais leur câblage est différent », a déclaré Dharmendra Modha. Les processeurs intègrent des « neurones digitaux » autonomes qui fonctionnent comme des unités de traitement basse énergie, et des synapses pour établir les connexions entre eux.
Les neurones et les synapses sont organisés en grille dans une infrastructure de communication qui permet aux neurones d'échanger entre eux des données en temps réel. Les neurones mémorisent les activités récentes, et les synapses se souviennent à quels neurones elles sont associées. Chaque puce abrite 256 « neurones digitaux ». Ceux-ci fonctionnent à une vitesse de 10MHz seulement et échangent en permanence des informations entre eux. L'une des puces contient 262 144 synapses programmables et l'autre 65 536 synapses « d'apprentissage ». Comme dans le cerveau, la synapse établit des connexions entre les neurones digitaux. La fréquence d'un signal envoyé à une synapse détermine la force de la synapse.

Selon le chef de projet, il serait possible d'équiper les ordinateurs actuels avec des unités de traitement basse énergie pour obtenir ce mode de fonctionnement. Mais les bus qui séparent les unités de traitement sont des goulets d'étranglement. Or, à mesure que l'afflux de données augmente, il faut que les noyaux soient capables de fonctionner à des fréquences d'horloge plus rapides. « La fonctionnalité de la puce peut être simulée sur les ordinateurs actuels. Mais les ordinateurs actuels sont très différents du cerveau humain. Alors il faut compenser par la puissance et le volume », explique Dharmendra Modha. 

Les puces expérimentales reproduisent un cerveau humain simplifié, doté pour sa part de 100 milliards de neurones et plusieurs milliards de synapses. Selon IBM, ces puces annoncent une machine intelligente qui peut éventuellement être comparée à un « système à l'échelle du mammifère », avec 10 milliards de neurones et  100 000 milliards de synapses, dont la  consommation d'énergie et la taille serait proche du cerveau humain. Pour l'instant, le chercheur d'IBM Research ne s'est pas avancé pour dire dans quel délai un tel ordinateur pourrait être réalisé. Mais il pense que les résultats de la recherche actuelle pourraient influer sur la façon dont on construit les ordinateurs.

Développées dans le cadre du projet SyNAPSE

Le cerveau humain est aussi capable de penser « hors des sentiers battus » pour diriger une action, alors quel degré d'intelligence auront réellement ces puces ? Selon le chef de projet d'IBM Research, la puce saura imiter les fonctionnalités du cerveau humain et les neurones digitaux pourront être soumis à un large éventail de stimuli et d'environnements de façon à répondre à des situations de plus en plus variées.

Ces puces ont été développées par IBM avec des partenaires, dans le cadre du projet de recherche SyNAPSE (Systems of Neuromorphic Adaptive Plastic Scalable Electronics) mené sur plusieurs années et centré sur l'informatique cognitive. Il réunit des compétences en neurosciences, en nanotechnologies et dans le domaine des supercalculateurs pour mettre au point cette nouvelle plate-forme informatique. Parmi les partenaires associés à IBM dans la recherche, on compte l'Université de Columbia, l'Université Cornell, l'Université Merced de Californie et l'Université Madison du Wisconsin. IBM et ses partenaires ont également annoncé qu'ils avaient reçu une contribution supplémentaire de 21 millions de dollars de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), une agence du Département américain de la Défense chargée de la recherche et du développement de nouvelles technologies pour un usage militaire.

Photo : Dharmendra Modha, chef de projet chez IBM Research (crédit : IBM / IDGNS New York)