Le dernier rapport annuel d’Atomico « State of european tech 2022 » confirme ce que beaucoup pensaient. Si 2021 a été une année remarquable pour l'écosystème technologique européen – avec un investissement total ayant dépassé pour la première fois la barre des 100 milliards de dollars – 2022 n’atteindra certainement pas ce niveau record. L’année a été difficile pour ce secteur, et tout particulièrement pour les start-ups. Le fonds de capital-risque britannique Atomico, présidé par Niklas Zennström (créateur de Skype) évoque ainsi une estimation prudente d'environ 85 milliards de dollars pour l'ensemble de l'année en Europe. Cette évaluation tient compte de plusieurs facteurs : un ralentissement important enregistré au cours de l'été et des chiffres réels jusqu'à la fin du mois d'octobre.

Même s’il s’agit d’une baisse de 18 % d’une année sur l’autre, ce montant reste toutefois remarquable pour l'IT européen. Si l’on regarde quelques années en arrière, cela représente une multiplication par plus de deux du capital total investi par rapport à 2020, par plus de trois par rapport à 2018 et plus de 8 fois le niveau enregistré lors de la publication de la première édition du rapport State of European Tech en 2015. Les co-auteurs du rapport rappellent également le contexte dans lequel les entreprises évoluent : « C'est peu dire que l'année a été difficile. De l'horrible guerre en Ukraine à la crise énergétique, en passant par l'inflation croissante et les hausses de taux d'intérêt, nous sommes confrontés à l'environnement macroéconomique le plus difficile depuis la crise financière mondiale de 2008. La technologie européenne est loin d'être épargnée. Les gros titres faisant état de licenciements massifs et d'une baisse des financements ont raconté une histoire qui commence maintenant à transparaître dans les données ».

Des tours de table en baisse et peu d’IPO

En juin, un total de 55,5 milliards de dollars a été investi dans la technologie européenne, plaçant le premier semestre 2022 au même niveau que ceux records de l'année dernière pour la même période, indique le rapport. Toutefois, il précise que ces investissements sont liés au pic d’activité d'investissement de l'année précédente et qu’il faut s’attendre à une forte baisse (42 %) pour le second semestre par rapport à 2021. Des chiffres qui se répercutent sur le marché des introductions en bourse. « À l'échelle mondiale, il n'y a eu que trois IPO évaluées à 1 milliard de dollars ou plus, dont deux en Europe, par rapport aux 86 de l'année dernière. L'activité de fusion et d'acquisition, qui est pourtant l'une des seules voies de sortie restantes pour les fondateurs, a également chuté ». Pour rappel, en 2021, les introductions en bourse des entreprises IT se sont multipliées, notamment sur le marché américain.

Dans le détail, les levées de fonds se font plus rares et les montants levés sont moindres par rapport à ceux de l’année dernière. Les valorisations de la série A ont chuté de 50 %, tandis que celles de la série C ont baissé de 60 % par rapport à leurs sommets de la fin de l'année 2021. Le nombre de tours de table compris entre 100 et 250 millions de dollars a été divisé par près de quatre fois entre le premier semestre et le troisième trimestre de cette année. De plus, sur ce troisième trimestre, 37 levées de fonds supérieures à 100 millions de dollars ont été réalisées, contre 118 sur le second semestre 2021. Le fait est que les chiffres du second semestre ne pourront sûrement pas rattraper cet écart.

Le cercle des licornes est également fortement impacté. Le nombre d’entreprises technologiques valorisées plus de 1 milliard de dollars a explosé en 2021 avec 105 nouvelles licornes européennes. Cette année, seulement 31 ont rejoint ce cercle (les données prises en compte datent du 1er novembre 2022).

Pour les fondateurs cela signifie tout simplement faire plus avec moins. Premier indicateur, et peut-être le plus visible : les licenciements. Du fait du ralentissement économique, des centaines d'entreprises ont pris la décision de réduire leurs effectifs pour gérer leur trésorerie. Sur l’année 2022, le site layoffs a recensé 917 entreprises IT ayant eu recours au licenciement pour un total de 14 4584 employés congédiées. Le rythme des licenciements s'est accéléré depuis juillet dernier et il y a fort à parier que cette tendance s’accentue en 2023.  

Des signes positifs à ne pas ignorer

Pourtant, malgré certaines actualités quelque peu sombres, il convient de rappeler certains points. « L'écosystème technologique tel que nous le connaissons a à peine vingt ans et, au cours de cette période, nous avons mûri à un rythme incroyable. Le véritable succès du secteur dépend moins des valorisations à court terme que du talent, de l'innovation et de la création d'entreprises à long terme » précise le rapport. L'Europe compte plus de 160 000 start-ups, dont beaucoup continuent de recruter, et une communauté de 2,6 millions de salariés de start-ups avec des compétences IT très recherchées.

« D'après notre enquête, l'optimisme règne dans tous les groupes - fondateurs, opérateurs, capital-risqueurs, investisseurs, décideurs politiques - malgré les turbulences macroéconomiques » poursuit Atomico. 44 % des personnes interrogées sont plus optimistes à l'égard de la technologie européenne qu'il y a douze mois. Ce chiffre atteint 77 % si l'on inclut les personnes qui déclarent avoir le même sentiment qu'il y a un an. L’écosystème a mûri au cours de ces dix dernières années et a su se consolider. En ce sens, l'avenir de l'IT européen n’est donc pas aussi incertain qu’il y paraît au premier abord.