Durant cette année 2021 encore très marquée par la pandémie, la plupart des DSI ont dû naviguer dans un climat difficile, entre incertitude et reprise. Les femmes et les hommes que nous avons rencontrés nous ont évoqué les multiples défis qui se posent à eux, mais aussi les opportunités qui peuvent surgir aussi bien de la technologie que des méthodes de travail, ou encore du contexte, qu'il soit sanitaire, économique ou même réglementaire. À travers ces 35 citations, nous vous proposons un aperçu des multiples facettes de ce métier à la croisée entre innovation technologique et transformation des entreprises, un rôle à la fois riche et de plus en plus stratégique.

Plusieurs DSI ont souligné le contexte très incertain, qui amène ses propres impératifs.

1. « Un tel niveau d'incertitude généralisé, c'est une situation inédite à mon sens sur les 30 dernières années. L'objectif est donc d'aider les métiers à identifier les signaux faibles à l'extérieur pour prendre les bonnes décisions à temps. », observe Malika Mir, DSI du groupe Bel

2. « Comme d'autres, nous sommes confrontés à un niveau d'incertitude stratégique considérable lié à la crise sanitaire, aux graves incidents de cybersécurité, aux avancées technologiques rapides... Il faut adapter notre positionnement et tracer notre route tout en tenant compte de ces incertitudes », confie Armelle Degenève, directrice de l'Agence pour l'Informatique Financière de l'État (AIFE).

Digitaliser pour gagner en performance

Dans cet environnement compliqué, le premier défi reste de poursuivre et d'accélérer la transformation numérique, pour contribuer à la performance de l'entreprise comme à l'expérience des clients.

3. « [La pandémie] a révélé la capacité d'une entreprise à se digitaliser pour offrir une continuité de service », estime Pierre Calvanèse, manager de transition IT

4. « Il faut opérer la bascule entre une organisation qui travaille souvent pour elle-même, en interne, pour aller avec les métiers adresser ces enjeux externes, ces demandes qui vont au-delà de l'entreprise. », affirme Malika Mir (groupe Bel).

5. « Nous voulons réinventer les moyens de notre performance autour de principes tels que la réingénierie et le Lean en nous appuyant sur le digital. Mais, pour garantir l'efficacité, il faut d'abord la performance des processus, le digital ensuite », note Vincent Champain, membre du comité exécutif de Framatome, en charge de l'IT et des business digitaux.

6. « 100 % humain, 100 % digital, ce n'est pas qu'un slogan. Il faut comprendre ce que cela signifie. Si un client veut tout faire en digital, il doit le pouvoir sans avoir besoin d'un conseiller. Si un client veut tout faire avec son conseiller, il doit pouvoir le faire, même s'il bénéficie des apports du digital (comme la dématérialisation intégrale). Et, bien sûr, le client doit pouvoir passer de l'un à l'autre sans couture. 100 % humain, 100 % digital, cela veut donc dire faire les deux à fond », explique Olivier Biton, DSI de LCL.

7. « Nous avons l'obligation de mettre à disposition de nos publics des outils compréhensibles, sinon, la réaction est « ça ne marche pas ! ». En particulier, un de nos défis est de faciliter le parcours utilisateur afin de rendre l'outil suffisamment ergonomique et compréhensible pour un public de non-spécialistes [...] Et j'ai une conviction : notre métier est de délivrer des services et des produits. Demain, il consistera aussi à changer nos services en fonction de chacune des nouvelles donnes », témoigne Armelle Degenève (AIFE)

Ne pas oublier les fondamentaux de l'IT

Cette transformation digitale ne va pas sans certains prérequis. Les fondamentaux doivent être en place au niveau des systèmes d'information : résilience, sécurité, fiabilité...

8. « Le SI peut être un levier seulement s'il est assez consolidé, intégré, connecté, fiable et robuste », prévient Mohamed Karouia, DSI du Grand Paris.

9. « À chaque transition technologique, on a la même difficulté d'articulation entre projets et production avec toujours les mêmes questions de résilience, de sécurité, etc. Il s'agit, malgré le changement technologique, d'éviter de se prendre les mêmes murs à chaque fois et de capitaliser les expériences des hommes. N'opposons donc pas les générations technologiques, elles sont complémentaires », observe Olivier Biton (LCL).

Le cloud, les plateformes où tout est géré de façon virtualisée sont aujourd'hui des moyens privilégiés pour répondre à ces objectifs. Toutefois, certains garde-fous demeurent nécessaires.

10. « Le cloud hybride nous permet de ne pas avoir tous les oeufs dans le même panier, et c'est aussi un moyen d'équilibrer les coûts d'hébergement de nos applications », relate Alice Guehennec, directrice du digital et des systèmes d'information du groupe Saur.

11. « Pour atteindre les niveaux de sécurité et de disponibilité que nous avons aujourd'hui, il aurait fallu investir lourdement. [...] Avec le cloud, nous avons des niveaux de performance et de sécurité supérieurs et, en plus, nous avons une élasticité qui nous nous permet de nous adapter au volume de data qui s'accroît », note Paul Lavoquet, DSI d'Auchan Retail France.

12. « Sans aucun doute qu'il faut avoir la culture du run dans la création technologique. L'approche DevOps est intelligente pour avoir les bons réflexes. [...] Ce n'est pas parce que quelque chose est techniquement possible qu'il faut l'adopter ou le permettre. Par exemple, le clic-bouton des plateformes virtualisées peut être une catastrophe simplement parce que l'humain est faillible et il faut garder des niveaux de contrôle », conseille Olivier Biton (LCL).

Une innovation au service des métiers

Au-delà du cloud, l'innovation technologique joue un rôle clé dans la transformation, en particulier l'intelligence artificielle (IA). Mais il faut savoir positionner les bonnes technologies, au bon endroit, sur les bons cas d'usage, dans une approche alignée avec les enjeux métiers.

13. « Nous avons réalisé qu'il n'y avait pas une solution unique pour répondre à tout. Nous sommes obligés de morceler la digitalisation, c'est une vraie tendance pour apporter de la valeur et de la performance business, même si cela génère de la complexité au niveau IT », souligne Malika Mir (groupe Bel).

14. « Dans un contexte de sécheresse croissante en France, et plus encore dans d'autres pays, l'eau est une ressource sous tension. L'IA et les données permettent d'agir face à ces problèmes », indique Alice Guehennec (Saur).

15. « L'IA fait aujourd'hui plus que toquer à la porte, elle est très présente. Utiliser l'IA pour classifier la donnée permet aux soignants d'arrêter des tâches laborieuses à faible valeur ajoutée pour se recentrer sur leur vraie valeur ajoutée. C'est un enjeu qui concerne l'hôpital tout entier, avec une transformation des métiers », estime Jean-Christophe Calvo, chef du département territorial de la transformation numérique et de l'ingénierie biomédicale au CHRU de Nancy.

16. « Pour qu'une innovation soit impactante, elle ne peut pas rester à part au-delà de la mise au point du modèle et des outils. [...] Nous sommes donc en train d'examiner la totalité de notre chaîne de valeur pour voir où l'on peut ajouter du machine learning pour rendre les processus plus efficaces », relate Florence Lecoutre, directrice exécutive transformation digitale, ressources humaines, ESG, conformité et communication d'Euler Hermes, membre du comité exécutif groupe.

Dialoguer avec le business

Pour les DSI, le dialogue avec les métiers est plus que jamais essentiel, et celui-ci prend de multiples formes et passe par de multiples canaux, depuis le design thinking jusqu'au support.

17. « Notre époque n'est plus celle où l'on se contente de livrer des outils informatiques. Le SI est au service des métiers pour qu'ils atteignent les objectifs business. L'utilisateur est donc l'un des trois axes majeurs, à côté des processus d'entreprise et des outils », déclare Mohamed Karouia (Grand Paris).

18. « Le premier (défi) est [...] la posture de la DSI. Nous ne sommes pas un fournisseur des métiers, mais un business partner. Nous ne devons pas attendre une commande, mais anticiper les besoins qui vont s'exprimer. Cela suppose un changement culturel au sein de la DSI. Nous devons explorer de nouveaux usages, exploiter des outils et garantir la résilience quoiqu'il arrive », témoigne Mohamed Karouia (Grand Paris).

19. « Notre grand défi réside dans la transformation des méthodes de travail. Nous devons mettre en place un maillage beaucoup plus fort entre les métiers et l'IT, organiser une meilleure collaboration entre donneurs d'ordres, les clients internes, et la DSI. Nous utilisons pour cela le terme « d'approche en mode produit », indique Paul Lavoquet (Auchan Retail France).

20. « Avec le design thinking, plutôt que de déclarer « j'ai besoin de telle solution », il s'agit de dire « voilà le problème que je cherche à résoudre, les rôles concernés, les interactions qui entrent en jeu et les irritants rencontrés », afin de mieux y répondre en ciblant le vrai besoin », décrit Malika Mir (groupe Bel).

21. « Auparavant, l'IT était une boîte noire qui envoyait une facture sans explication. Les discussions factuelles et apaisées sur le coût de l'IT ont eu des effets très vertueux. Par exemple, quand les business units ont compris le coût de certains services, certaines se sont dit qu'il était pertinent d'apprendre à se passer de ceux-là », témoigne Romain Dumas, DSI du groupe Socotec.

22. « Les utilisateurs sont une préoccupation constante. Les échanges avec eux sont structurés autour de trois piliers : un portail commun, des instances d'échanges et une mesure de la satisfaction », détaille Armelle Degenève (AIFE).

23. « Le support, ce sont les infirmiers de l'informatique : les techniciens sont à la croisée de toutes les demandes, au contact des « patients » utilisateurs, toujours dans l'urgence avec des demandes fortes », pointe Axel Jacquet, DSI de la fondation Apprentis d'Auteuil.

Green IT et informatique frugale

Un autre défi en émergence concerne la sobriété numérique, sur laquelle le Cigref a récemment publié un rapport. De plus en plus de DSI se saisissent du sujet.

24. « Bien entendu, la RSE, c'est aussi l'empreinte carbone de notre numérique. Nous envisageons de la réduire de 50 %. Cela passe par la rénovation de datacenters, l'adoption de bonnes pratiques (green coding, suppression de stockages inutiles, recyclage des matériels...) », confie Christophe Leblanc, directeur des ressources et de la transformation numérique du groupe Société Générale.

25. « En deuxième point [défi], je mettrai l'informatique frugale. C'est-à-dire d'adopter une informatique au meilleur coût, les bonnes technologies aux bons moments », affirme Vincent Champain (Framatome).

26. « Nous allons aussi demander aux éditeurs et fournisseurs une vraie feuille de route de réduction de leur impact carbone, et cela va devenir un critère de sélection [...] Tout comme les consommateurs influencent l'écosystème, la DSI aussi doit influencer son écosystème », estime Malika Mir (groupe Bel).

La cybersécurité, enjeu omniprésent

Parmi les enjeux plus traditionnels, mais très présents en 2021 figure bien entendu la cybersécurité.

27. « Pour nous, la finance responsable intègre de nombreux aspects. L'un d'eux est la sécurité informatique, car la confiance de nos clients est la clé de voûte du métier de banquier », rappelle Christophe Leblanc (groupe Société Générale).

28. « Aujourd'hui, le phishing s'est nettement amélioré et l'humain est le maillon faible [...] Nous avons une obligation de nous positionner sur ce sujet car nous sommes un tiers de confiance pour nos clients », acquiesce Olivier Biton (LCL).

29. « C'est un poncif, mais la cybersécurité est évidemment un enjeu majeur et permanent. Nous avons des problèmes de grands, mais des moyens limités. Nous utilisons les services d'un RSSI en temps partagé pour nous aider », souligne Axel Jacquet (Apprentis d'Auteuil)

30. « Ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est un business, que nous avons affaire à des professionnels, qui ont un enjeu de retour sur investissement par rapport aux montants investis pour s'introduire dans les systèmes d'information de leurs cibles », témoigne Stéphane Jullien, DSI de In Extenso, qui a vécu une grosse cyberattaque en 2021.

Tout comme la sobriété numérique, la cybersécurité concerne également les fournisseurs.

31. [À propos des éditeurs de logiciel] « Avoir des exigences élevées amène une vraie logique gagnant-gagnant. Notre intérêt est la pérennité, la sécurité... ce qui est aussi le cas de l'éditeur qui, a priori, tient à survivre. Par exemple, nous exigeons de tous nos fournisseurs qu'ils disposent d'une cyberassurance, alors que c'est encore rare chez les éditeurs », relate Axel Jacquet (Apprentis d'Auteuil).

D'autres défis, réglementaires notamment, peuvent eux aussi être transformés en opportunités.

32. « Le RGPD nous aide ! C'est une véritable opportunité qui pousse à mieux s'outiller, à mieux se structurer et... à purger les données ! Pour réduire le stockage, c'est une solution parfaite », apprécie Axel Jacquet (Apprentis d'Auteuil).

Une bonne gestion IT repose sur l'humain

Enfin, les DSI sont aussi des managers, avec des enjeux importants au niveau des ressources humaines. Mais cette dimension humaine participe également à l'attractivité de la fonction.

33. « Notre défi principal concerne les ressources humaines. Il nous faut être certains de recruter des profils au fort atavisme data mais aussi capables de changer de métiers en évoluant dans l'entreprise. Et, ensuite, le défi est de les garder ! », observe Florence Lecoutre (Euler Hermes).

34. « Le plus enrichissant c'est de voir évoluer ses collaborateurs. Parfois, certains n'imaginaient pas pouvoir évoluer à ce point. La grosse difficulté est parfois de mettre des DSI en mouvement : il faut donner de soi, expliquer où on va et emmener les équipes d'un point A à un point B. Mais quand on y arrive, c'est très gratifiant », confie Alice Guehennec (Saur).

35. « Si je devais tirer un enseignement de toutes ces années, c'est que le coeur du sujet ce sont les ressources humaines. La seule chose qui compte, c'est la capacité à avoir des ressources humaines au niveau par rapport à nos défis sur les fonctions essentielles, et à entretenir et faire évoluer ces compétences dans la durée », affirme le général Bruno Poirier-Coutansais, ancien chef du ST(SI)², rencontré avant son départ en retraite.