Les impacts énergétiques et environnementaux de l’IA freinent-ils ou favorisent-ils la concurrence ? L’Autorité de la concurrence s’est penchée sur le sujet dans un contexte où l’accès au réseau électrique par les fournisseurs IA est complexe et que les coûts énergétiques augmentent sans cesse. « La montée en puissance de la frugalité des services IA est susceptible de favoriser le développement de nouveaux modèles d’affaires permettant d’offrir à certains acteurs, et notamment aux entreprises de taille plus modeste, l’opportunité de rivaliser avec les plus grands acteurs du secteur », fait savoir l'Autorité dans un dernier rapport.

Obtenir des services IA frugaux - issus d’une consommation optimisée des ressources dans un objectif de minimisation de l’impact environnemental - nécessite des datacenters consommant moins d’électricité et moins d’eau. Or l’essor de l’intelligence artificielle (GenAI, agentique, capacités d’entrainement, fermes de GPU as a service...) a débouché jusqu’à présent sur la construction de datacenters à un rythme sans précédent. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une requête sur ChatGPT se révélerait dix fois plus énergivore qu’une simple recherche sur Google, qui consomme 0,3 Wh d’électricité. Avec l’explosion des besoins IA, la consommation des datacenters en France, estimée par RTE en 2022 à 10 TWh (soit 2 % de la consommation française totale en électricité sur l’année), pourrait tripler d’ici 2035. En France toujours, les projets de datacenters IA ne manquent pas, portés par de fortes ambitions au travers de l'initiative Choose France.

Sécuriser les approvisionnements en énergie décarbonée

« Cette dynamique conduit certains grands acteurs, notamment américains, à sécuriser des partenariats d’approvisionnement en énergie décarbonée telles que les énergies renouvelables ou le nucléaire », explique les sages de la rue de l'Echelle. « Les fournisseurs IA, en particulier américains, recourent largement à l’énergie fossile pour leurs besoins énergétiques (centrales à gaz ou au charbon). Mais ils se tournent également vers des sources d’énergie décarbonées telles que les énergies renouvelables ou le nucléaire afin de stabiliser leurs coûts énergétiques et sécuriser l’approvisionnement de leurs centres de données, notamment dans des zones à forte tension sur le réseau électrique ».

Outre la consommation électrique, le volume d’eau pour le refroidissement des serveurs dans les datacenters toujours plus nombreux et denses augmente également : celui prélevé par les centres de données a atteint 681 millions de litres en 2023 selon l’Arcep dans une enquête, en croissance de 19 % par rapport à 2022.

La frugalité de l’IA comme levier d’animation de la concurrence

Dans son rapport, l’Autorité considère que la frugalité de l’IA peut contribuer à « animer » la concurrence.  Comment ? En contribuant notamment à l’émergence de solutions compétitives sur le plan tarifaire et capables de tourner sur des infrastructures déjà existantes ne nécessitant pas des coûts d’investissements élevés. « En devenant un axe de développement du secteur, elle peut conduire à ce qu’une partie de l’innovation s’oriente dans cette direction et nourrisse alors une concurrence par la diversité de l’innovation », estime l’Autorité.

Sur le papier une IA frugale pourrait amener plus de concurrence sur ce marché grâce à un ticket d’entrée moins élevé. Mais encore faut-il disposer de données fiables en termes d’impact énergétique et environnemental de l’IA soient disponibles : « Une telle transparence, y compris obtenue par le biais de la mise en place de standards, permettrait que la frugalité puisse pleinement jouer son rôle de paramètre de concurrence », indique l'organisme. Cela passe également par « la nécessité de s’assurer que l’accès aux zones adaptées à l’implantation de centres de données et à l’énergie, en particulier à l’électricité d’origine nucléaire à un prix attractif, ne soit pas de facto réservé aux seuls grands acteurs ».

Des comportements trompeurs à ne pas sous-estimer

Mais tous les fournisseurs IA sont loin d’être sur un même pied d’égalité. « Les acteurs du secteur sont confrontés à des difficultés de raccordement au réseau électrique et à des incertitudes relatives au prix de l’énergie, ceci pouvant affecter la dynamique concurrentielle du secteur », peut-on lire dans le rapport. « Plusieurs facteurs suggèrent que les grands acteurs du numérique pourraient entrer, même occasionnellement, sur les marchés de l’énergie en tant qu’offreurs, surtout à l’étranger. » L’Autorité indique qu’elle veillera à ce que la dynamique concurrentielle repose sur les mérites de chaque acteur et invite les entreprises du secteur à faire preuve de vigilance sur ces sujets. Sera-t-elle écoutée ? En attendant, elle pointe aussi certains risques comme les comportements trompeurs des fournisseurs en termes de frugalité, le fait de ne pas communiquer sur elle ou sur leur empreinte environnementale, ou encore de limiter l’innovation en matière de frugalité.