La commission des finances du Sénat a, conformément à ses prérogatives, commandé un rapport à la Cour des Comptes sur l'état d'avancement du plan de transformation numérique (PTN) du Ministère de la Justice. Prévu sur 2017-2022, ce plan bénéficie d'un budget d'investissement de 530 millions d'euros. Le rapport « Point d'étape du plan de transformation numérique du ministère de la Justice » vient d'être publié par la Cour des Comptes. La juridiction apporte un jugement très mitigé sur ce PTN. La crise sanitaire a malgré tout permis l'accélération de basiques tels que le déploiement d'ordinateurs portables et d'accès distants.

D'un côté, la Cour constate que le PTN était bien une nécessité même s'il n'était qu'un plan de rattrapage face au retard accumulé par la Justice en matière d'informatisation et de numérique. La qualification de « transformation numérique » semble donc au moins en partie usurpée. D'un autre côté, des critiques sont formulées sur les priorités choisies et sur la conduite de certains projets phares, notamment en termes de suivi budgétaire. La Cour regrette par exemple le recours exclusif aux solutions de Microsoft pour la bureautique, un choix de logiciels libres aurait sans doute été préférable sur la plupart des fonctions même si certaines solutions libres sont jugées immatures (page 49 du rapport). Surtout, « la priorité donnée à l'accès en ligne des justiciables est contestable » observe la Cour.

Stratégie et gouvernance défaillantes

Ainsi, le portail Portalis (Portail du Justiciable) est une vitrine qui tourne au décors destiné à faire illusion faute d'une transformation plus profonde et préalable du ministère. La pertinence de la digitalisation destinée au grand public en matière de justice est, en elle-même, discutée car l'intermédiation a plutôt tendance à s'accroître avec l'extension de la représentation obligatoire par un avocat. Les saisines en ligne, quand elles sont possibles, sont d'ailleurs qualifiées d'« anecdotiques » par la Cour. Mais la concertation avec les avocats, représentés par le conseil national des barreaux (CNB), a été pour le moins tardive dans ce cheminement vers la transformation numérique. Portalis concentre beaucoup de critiques que la Cour adresse plus ou moins à l'ensemble du PTN, en particulier sur le suivi de la qualité des livrables et du budget, critiquant notamment le principal contractant, la SSII Sopra (devenue Sopra Steria - page 136 du rapport).

Certes, mener des projets dans un cadre organisationnel incertain (comme les réformes incessantes de la justice) est pour le moins compliqué et plusieurs projets ont dû être fortement ajustés en cours de route. Mais la Cour critique surtout une défaillance générale dans la gouvernance, dans la stratégie et dans la mise en oeuvre de celle-ci. Neuf recommandations sont ainsi adressées par la Cour (page 11 du rapport). A côté d'exigences de clarté budgétaire, on y trouve surtout des bonnes pratiques en matière de projets de transformation numérique comme la co-construction avec les utilisateurs, « prendre en compte la sécurité des systèmes d'information dans les applications dès leur conception » (« Security by Design »), évaluer les réalisations selon les résultats obtenus, etc.