Back to basics ! Dans sa nouvelle feuille de route, la Dinum ne fait pas mystère de sa volonté de mieux faire en matière d'encadrement des grands projets ministériels. « L'impact des recommandations émises par la Dinum dans la vie des grands projets des ministères demeure relatif, reconnaît la Direction interministérielle du numérique. Une part significative des projets, et notamment les plus importants, ne respecte pas le cadrage initial. [...] Ces dérives sont en augmentation avec plusieurs projets de plusieurs dizaines millions d'euros en difficulté manifeste. »

Rappelons que le droit de regard de la DSI de l'Etat sur les initiatives IT ministérielles résulte d'un décret d'août 2014, qui lui permet d'auditer tous les projets dont le budget sur deux ans dépasse 9 M€ (en cumulant coûts externes et internes). Sur la base des dossiers que transmettent les directeurs de projet, la DSI interministérielle évalue si le projet est « conforme » (avec d'éventuelles observations et clauses de revoyure) ou non. Dans ce dernier cas, le démarrage du projet est bloqué. Depuis 2016, la Dinsic puis la Dinum publie en Open Data un tableau de bord semestriel synthétisant les projets qui sont placés sous la surveillance de l'organisme interministériel.

Moins de dérapages budgétaires, mais un bilan insuffisant

En décembre 2022, 54 projets figuraient dans ce document, pour un total de 3,1 Md€. Avec des projets ayant une durée moyenne de 6,2 années. Comme le laisse entendre la Dinum dans sa nouvelle feuille de route, la méthode de l'audit des grands projets, qui visait notamment à réduire la durée et le budget de grands projets vus comme trop monolithiques et risqués, montre ses limites. En 2016, la première mouture du tableau de bord recensait ainsi 57 projets, représentant un engagement de 2,2 milliards d'euros, pour une durée moyenne de 6,3 années. Autrement dit, les choses n'ont guère évolué en six ans.

Remarquons tout de même, au crédit de la DSI de l'Etat, que l'écart budgétaire moyen s'est réduit, passant de 32 à 24% sur ce même intervalle de temps. Tandis que le dérapage calendaire moyen évoluait lui aussi de façon positive (de 39 à 26%). Soulignons toutefois que la 9ème édition du même tableau de bord, publiée fin 2019, soit au moment de la création de la direction interministérielle du numérique, recensait un engagement budgétaire total limité à 1,6 Md€, soit moitié moins qu'actuellement.

Le dernier tableau de bord des grands projets de l'Etat est plombé par les errements du passé, en particulier sur le volet RH. La catastrophe industrielle de l'Opérateur de paie national - censé mutualiser la paie des fonctionnaires - ainsi que l'échec de plusieurs projets de SIRH associés (en particulier Sirhen à l'Education nationale ou Louvois aux Armées) pèsent lourd. Des projets qui obligent aujourd'hui les ministères à maintenir et/ou moderniser des applications obsolètes qu'étaient censés venir remplacer les projets aujourd'hui enterrés.

SIRHEN continue à creuser le budget de l'Education Nationale

Ainsi, Bercy consacre 56 M€ à la réécriture iso-fonctionnelle de son application de paie pour cause d'obsolescence. Signalons que le ministère de l'Economie est toutefois parvenu à faire aboutir son projet SIRH (SIRHIUS), auquel les quelque 105 000 agents de la DGFiP, la principale direction des ministères financiers, ont été raccordés fin 2022. Soit neuf ans après le démarrage du projet tout de même. Du côté des militaires, Source Web, une interface de saisie pour réaliser les dossiers de pension des militaires et civils, n'est toujours pas achevée, malgré un démarrage en 2014.

L'Education nationale, de son côté, vient d'achever un projet de sécurisation des SIRH historiques, eux-aussi obsolètes. A cette facture de 31,5M€, il faut ajouter plus de 110 M€ dédiés à la modernisation de ces systèmes, via un projet de migration d'agents éparpillés dans différentes applications (dont SIRHEN) vers le SIRH interministériel RenoiRH et via un second projet d'urbanisation des applications SIRH et de conception d'un mécanisme d'échange de données. Notons que ces deux derniers projets, qui doivent aboutir en 2025 si les échéances sont respectées, ne suffiront pas à clore le sujet au sein de l'Education Nationale, puisqu'ils concernent pour l'instant les populations non enseignantes. Or, dans cette administration, le gros des troupes est évidemment composé des enseignants, qui représentent plus de 70% des 1,2 million d'employés que compte la rue de Grenelle.

Faire appel à une brigade d'intervention numérique ?

Pour tenter mieux encadrer les projets des ministères, et les ramener à « l'état de l'art », la Dinum suggère quelques pistes d'amélioration : un accompagnement ponctuel par ce que la DSI de l'Etat appelle une « brigade d'intervention numérique » regroupant toute une série de compétences (accessibilité, cloud, UX, Devops, écoconception, méthodes agiles) ; des conférences numériques ministérielles permettant de dresser, ministère par ministère, un bilan des projets, de leur impact attendu et de leurs coûts ; ou encore la responsabilisation des ministères via des contrats de réussite, afin d'harmoniser le déploiement des pratiques prônées par la Dinum en matière de conduite des projets IT.