Le rôle du DSI a évolué et changé - principalement pour le meilleur -, car les DSI ont gagné en visibilité et en importance dans les organisations. Ils participent de plus en plus aux discussions du conseil d'administration sur la cybersécurité et les investissements technologiques et influencent les décisions liées à la planification, aux orientations stratégiques, à la mise en oeuvre et aux opérations. En fait, de nombreux DSI ont désormais du mal à penser à un domaine de l'entreprise dans lequel ils ne sont pas impliqués.

Selon le 22e rapport annuel de Foundry intitulé State of the CIO, la majorité (77 %) des DSI déclarent que leur rôle a été renforcé en raison de l'évolution de l'économie et qu'ils s'attendent à ce que cette visibilité au sein de l'organisation se poursuive. En outre, la plupart des DSI (85 %) estiment que leur rôle est de plus en plus axé sur le numérique et l'innovation.

« Il est fantastique de constater que la fonction de DSI ne cesse de s'étoffer », déclare Irving Tyler, vice-président chargé de la recherche chez Gartner. Le cabinet observe plusieurs itérations du rôle de DSI, notamment celui de Chief digital officer, de Chief digital and technology officer, de Head of technology, data, and innovation, ou encore de CIO et vice-président de la recherche et développement (R&D) et de l'innovation. « Cela montre que les DSI acquièrent de plus en plus d'expériences qui vont au-delà de leur rôle traditionnel et cela permet à ces professionnels d'élargir leur impact et leurs opportunités de carrière », reprend Irving Tyler.

Nouveau périmètre, nouveau titre

Dans toutes ces extensions de titre, le coeur des compétences du DSI reste sa capacité à intégrer la bonne technologie dans l'exécution de l'activité afin de créer et de fournir de la valeur, ajoute le consultant. « Ces extensions reflètent le fait que chaque effort business est désormais un effort technologique, ajoute Irving Tyler. La technologie apporte la majorité des gènes de l'ADN fonctionnel d'une entreprise. »

Tom Schoenwaelder, directeur chez Deloitte Consulting, observe que de nombreuses entreprises poussent leurs DSI à devenir des partenaires de la réflexion stratégique de l'équipe de direction. « Elles demandent à leur DSI d'apporter un point de vue sur la manière dont la technologie peut contribuer à la stratégie à long terme de l'entreprise, ce qui nécessite une compréhension plus approfondie des besoins des clients et de l'entreprise, ainsi qu'une vision de l'avenir de la technologie et du rôle qu'elle peut jouer pour répondre à ces besoins ».

L'évolution du rôle du DSI est tellement répandue qu'elle a été le thème dominant du récent symposium MIT Sloan CIO (un événement organisé mi-mai par le MIT), où une pléthore de titres nouveaux a été évoquée, notamment celui de responsable de la résilience, de responsable de la réglementation, de responsable de la transformation - et même de responsable du changement. L'industrie technologique étant friande d'acronymes, le plus grand dilemme sera peut-être de déterminer lesquels deviendront courants dans le lexique courant des affaires.

Voici quatre titres qui permettent de définir le nouveau périmètre des DSI portant la transformation de leur organisation.

1) Chief transformation officer (Responsable de la transformation)

Le titre le plus logique que les DSI peuvent assumer est peut-être celui de responsable de la transformation, ou responsable de la transformation numérique, étant donné le rôle de chef de file que les DSI ont assumé sur ce sujet, en particulier pendant la pandémie.
Rick Johnson, qui est DSI depuis 2011, a été nommé pour la première fois Chief digital officer chez Marvin, un fabricant de portes et de fenêtres, en janvier 2023. Pour lui, le rôle de CDO « intègre le rôle typique d'un DSI ». Chez Marvin, le vice-président de l'informatique rend compte à Rick Johnson, ainsi que les équipes digitales et le bureau en charge de la transformation.

Ce qui n'a pas changé, c'est que l'on attend du DSI qu'il influence les résultats de l'entreprise par l'utilisation de la technologie et qu'il ait un point de vue crédible, explique le CDO. Mais, pour lui, ce qui a changé, c'est que les DSI sont passés d'un statut d'influenceurs à celui de responsables directs de la réalisation de ces objectifs. « Dans le passé, on attendait du DSI qu'il soit un bon partenaire des métiers et qu'il apporte des idées. Avec l'évolution du rôle, nous assumons désormais la responsabilité directe des résultats business et de la manière dont les opérations métiers sont construites et exécutées. »


DSI depuis 2011, Rick Johnson a été nommé pour la première fois Chief digital officer chez Marvin en début d'année. (Photo : D.R.)

Ce qui conduit Rick Johnson à occuper le poste de responsable de la transformation chez Marvin et à être directement responsable de l'agenda de celle-ci, « qui, par définition, est la manière dont nous gérerons l'entreprise à l'avenir et le chemin à suivre pour aller de là où nous sommes à là où nous voulons aller ». Si un DSI ne réfléchit pas à la manière de transformer l'entreprise et n'apporte pas cette perspective auprès de la direction générale ou du conseil d'administration, « il ne fait pas vraiment ce qu'un DSI devrait faire. S'il n'a pas cette mentalité, il est un preneur d'ordres. Il est installé sur la banquette arrière, attendant que quelqu'un lui pose une question », indique le CDO.

Le rôle de CDO permet de transcender les fonctions technologiques traditionnelles et d'avoir des responsabilités dans la génération de revenus ainsi que d'utiliser la technologie pour créer des produits à valeur ajoutée, observe Rick Johnson. Mais il ne recouvre pas de l'aspect transformation. Le titre le plus adéquat pourrait-il être « Chief digital and transformation officer » ? Rick Johnson hésite : « le fait qu'un seul dirigeant ait le mot "transformation" dans son titre réduit l'appropriation de ce sujet par les autres membres de la direction. Il faut que l'équipe dirigeante soit embarquée dans le projet d'entreprise pour diriger non seulement dans son domaine, mais aussi de manière transversale et en forte cohésion ».

Lorsque Oğuz Sezgin réfléchit aux responsabilités liées à sa fonction, il se concentre avant tout sur « la conduite d'initiatives de transformation numérique qui génèrent une valeur tangible pour l'organisation et la mise en place de stratégies technologiques innovantes. » Oğuz Sezgin est le DSI et responsable de la transformation numérique chez Koç Holding, une holding d'investissement basée en Turquie. Il se définit comme un stratège chargé d'identifier et d'utiliser les technologies qui optimisent les processus métier, élèvent l'expérience client et favorisent l'innovation.

Selon Oğuz Sezgin, qui s'est exprimé lors du symposium MIT Sloan CIO, l'évolution du rôle du DSI a été motivée par plusieurs facteurs, notamment l'essor de la transformation numérique, qui rend cruciale la nécessité d'une forte présence en ligne pour toutes les organisations. « Ainsi, de la stratégie à l'exécution, les DSI doivent être impliqués dans toutes les facettes de l'organisation. En tant que responsable de la transformation numérique, je coordonne et gère des initiatives et stratégies à l'échelle du groupe pour faire progresser les activités numériques. »

D'autres facteurs conduisant au changement de rôle résident dans la nécessité d'accéder à des données de haute qualité pour prendre de meilleures décisions, améliorer le service à la clientèle et identifier de nouvelles opportunités de croissance, dit-il. Le besoin croissant de sécurité et de conformité a également renforcé la nécessité d'adopter une posture de sécurité solide. Chez Koç Holding, le DSI et responsable de la transformation numérique est « chargé de veiller à ce que les systèmes informatiques de l'entreprise soient sécurisés et à ce que l'entreprise soit en conformité avec toutes les réglementations pertinentes ». Cela signifie que Oğuz Sezgin a adopté une culture de l'innovation et de l'expérimentation. Il s'est également attaché à mieux comprendre les activités, objectifs et défis de l'entreprise.


Oğuz Sezgin, DSI et responsable de la transformation numérique de Koç Holding, une holding d'investissement. (Photo : D.R.)

« En alignant les initiatives technologiques sur les objectifs stratégiques, mon but est de maximiser la valeur dérivée des efforts de transformation numérique et de contribuer au succès global de l'organisation. » À la lumière de ses responsabilités, de ses objectifs et de sa vision, il affirme qu'il renommerait volontiers sa fonction en Chief transformation officer.
Mais, quel que soit le titre, les responsabilités d'un DSI restent claires, selon Oğuz Sezgin : « en se montrant adaptables, en privilégiant l'innovation et la réflexion stratégique, les DSI peuvent naviguer efficacement dans un paysage en constante évolution, et créer un avantage concurrentiel durable favorisant la croissance dans un monde de plus en plus numérique. »

2) Chief technology and digital officer (Directeur des technologies et du numérique)

L'ancienneté moyenne d'un DSI dans sa fonction s'élève à trois ans, et Jamie Smith est DSI de l'Université de Phoenix depuis cinq ans. Il attribue cette longévité à l'importance croissante de la fonction et au fait que la technologie est passée de l'arrière-boutique à la salle du conseil d'administration. Jamie Smith est désormais très impliqué dans la cartographie du parcours client et la compréhension de l'expérience client, et le service informatique a établi un partenariat avec le département marketing de l'université. « Ce n'est pas quelque chose que les DSI auraient fait il y a dix ans parce que les entreprises n'y attachaient pas d'importance ».

Lorsque Jamie Smith a pris ses fonctions de DSI, l'université « avait une dette technique énorme », se souvient-il. Pendant la pandémie, il était logique de fermer le datacenter de l'université et de migrer vers le cloud. Au cours des dernières années, l'accent a été mis sur la manière dont l'université devait mener ses activités et assurer le support des étudiants tout en augmentant son agilité, explique-t-il. Cela a abouti à une nouvelle façon de travailler, et les équipes d'ingénierie ont été invitées à devenir des équipes produits, par opposition à la « mentalité traditionnelle d'usine à fonctionnalités », explique Jamie Smith.

Mais cette mutation a également modifié son rôle. « À l'origine, je présentais au conseil d'administration des sujets habituels tels que la cybersécurité. Aujourd'hui, je suis de plus en plus souvent associé au directeur de l'exploitation sur la manière dont nous nous transformons pour répondre aux besoins des étudiants et réduire le coût de leur support, via l'usage de la technologie », explique le DSI. « Ce niveau de partenariat n'aurait pas existé par le passé. Je suis considéré comme un facilitateur qui participe à ce groupe opérationnel. La valeur de ce partenariat est très claire et, dans de nombreux cas, on nous demande de conduire la stratégie. »

Jamie Smith travaille également avec le responsable de la stratégie de l'université sur la manière de mieux utiliser les données relatives aux étudiants. « Ce n'est pas comme si j'avais changé de département. Il s'agit plutôt d'un changement d'orientation du rôle [du DSI], qui passe de la fourniture d'un environnement technologique stable à un périmètre beaucoup plus important de moteur de la stratégie de l'organisation par le biais de la technologie. »

Le DSI explique qu'il n'avait pas de background en matière d'expérience client et que, pour se préparer à ses nouvelles responsabilités, il a dû se plonger dans le bain et apprendre auprès d'experts. Il pense que d'autres DSI devront également se perfectionner, pour prendre en charge leurs nouvelles fonctions. « En fonction de leur parcours, de nombreux DSI vont devoir affiner considérablement leurs compétences en matière de stratégie commerciale et d'analyse de rentabilité, ainsi qu'en matière de gestion des différentes parties prenantes au sein de la direction générale, car ils ne sont plus vos clients. Mes pairs de la direction ne sont pas mes clients, ce sont des partenaires », dit-il. S'il devait réécrire son titre pour refléter ses responsabilités actuelles, Jamie Smith opterait pour celui de Directeur de la technologie et du numérique.

3) Chief empowering officer (Responsable de l'autonomie des utilisateurs)

Lorsque Mike Cleary a rejoint Sentry Equipment en 2017 en tant que responsable informatique, il s'agissait d'un nouveau rôle pour l'industriel basé à Oconomowoc, dans le Wisconsin. L'idée était de faire en sorte que le département soit considéré comme quelque chose de plus qu'un « groupe d'approvisionnement spécialisé » commandant des ordinateurs.

Bien que Mike Cleary doive encore acquérir « une bonne maîtrise de la technologie », la direction de Sentry souhaitait quelqu'un qui soit intéressé par la promotion du changement, et il a fini par accéder au poste de DSI. Le service informatique est chargé de l'amélioration continue de l'organisation. « Une grande partie de notre travail consiste à nous concentrer sur les problèmes au sein de l'organisation et à comprendre les défis à relever, explique-t-il. Je consacre donc une grande partie de mon temps à comprendre et à diriger ces efforts en tant que responsable de l'amélioration continue ».

Le DSI explique qu'il a apporté à l'organisation une incitation à organiser des sessions d'innovation, où il ne s'agit pas seulement de résoudre des problèmes, mais aussi d'envisager les possibilités futures et le rôle que joue la technologie. Ce qui a débouché sur de nouvelles idées et a permis de montrer l'étendue des possibles, selon Mike Cleary.


Mike Cleary, le DSI de Sentry Equipment, un industriel américain. (Photo : D.R.)

Au cours des six dernières années, il a perfectionné le service informatique de Sentry pour qu'il fonctionne comme une équipe de conseillers au service des métiers qui s'engagent constamment auprès des chefs de service, en leur fournissant conseils et solutions pour améliorer l'efficacité de l'organisation et atteindre les objectifs fixés.

Grâce à ces séances d'innovation et à une collaboration étroite avec les unités opérationnelles, le service informatique est devenu un partenaire de confiance. « Je suis probablement invité à toutes les séances de brainstorming que nous organisons, qu'il s'agisse du développement ou de la dénomination d'un produit, ou de toute autre activité où l'on souhaite réunir des personnes dans une salle pour réfléchir à un problème », soit pour apporter une contribution, soit pour jouer le rôle de modérateur, explique Mike Cleary. Le DSI a l'occasion ainsi de se frotter aux différents aspects de organisation.

« Le président de l'entreprise m'a fait probablement le meilleur compliment que j'aie jamais reçu », se souvient le DSI. « Il m'a dit : 'Avant que vous n'entriez au conseil d'administration, je n'aurais jamais pensé vous inviter dans cette salle'. Cela montre l'intérêt d'avoir quelqu'un engagé dans ce rôle de DSI, la capacité d'écoute qu'il peut apporter ainsi que sa faculté à remettre en question le statu quo. C'est un aspect important de mon rôle aujourd'hui. »

Le rôle du DSI a mûri au fil des ans au point qu'il ne suffit plus aujourd'hui d'avoir une expertise technique, explique Mike Cleary. Il faut être un véritable leader d'opinion, capable d'imaginer ce qui aidera son organisation, et il faut aussi savoir écouter attentivement. « On m'a aussi surnommé le psy de l'organisation », s'amuse le DSI. « Les gens viennent me voir, ne serait-ce que pour se défouler, et [le DSI doit être] capable d'écouter, de mettre sa casquette de leader organisationnel et de les orienter dans la bonne direction ». Selon lui, ces qualités font désormais partie « du niveau de base que les organisations attendent d'un DSI et je suis ravi de voir cela », explique Mike Cleary.

Dans cette optique, s'il devait réécrire son titre pour refléter ses responsabilités actuelles, ce dernier opterait d'abord pour Chief empowering officer, appellation qui reflète ce rôle centré sur la capacité à montrer aux métiers le champ de possibles et à les guider, ou alors pour Chief innovation officer. « Je pense que l'innovation va continuer à être un aspect très important du rôle du DSI et qu'elle doit être élargie » pour inclure non seulement les technologies, mais aussi la manière de recruter, de fidéliser les collaborateurs et de s'engager avec les métiers pour les aider à résoudre leurs problèmes, reprend Mike Cleary.

4) Chief technology results officer (Responsable des résultats technologiques)

Irving Tyler, du cabinet Gartner, pense qu'un titre approprié pour le DSI d'aujourd'hui pourrait être celui de responsable des résultats technologiques, car « de plus en plus, les DSI ne dirigent pas des usines monolithiques, où toute la technologie est produite puis distribuée aux utilisateurs ».

« Au contraire, ils deviennent des franchiseurs de la technologie, créant la "recette secrète" d'une nouvelle fondation numérique et de services technologiques partagés », explique-t-il. Les DSI agissent pour équiper et permettre à tous les CxO de numériser entièrement leurs organisations en embauchant des experts des technologies dans leur propre département et en utilisant des technologies de pointe telles que l'IA générative et les outils Low code/No code.

« Et, comme une franchise commerciale, ils établissent les normes de performance, de sécurité, de fiabilité et de conformité », ajoute Irving Tyler. « Dans cette future évolution, les DSI se concentreront moins sur l'exploitation de la technologie et davantage sur l'obtention de résultats métiers », en utilisant toutes les technologies pour atteindre les objectifs de l'entreprise. En y réfléchissant bien, l'analyste ajoute : « peut-être que le futur titre du DSI pourrait être Chief technology franchise officer ». Le DSI bientôt à la tête d'une franchise ?