La décision prise ces derniers jours par Microsoft d’imposer Bing comme moteur de recherche par défaut dans le navigateur Chrome de Google sur les ordinateurs personnels équipés d'Office 365 ProPlus a suscité une levée de boucliers. Après l’annonce discrète de ce changement le 21 janvier sur la page Microsoft 365 Roadmap, Microsoft a publié le 22 janvier des informations supplémentaires dans des documents de support et dans un billet de blog pour en expliquer les motifs. Tous les commentaires ou presque publiés par des utilisateurs sur le blog de Microsoft, le document de support et ailleurs - notamment sur un site web Office 365 dédié aux demandes des utilisateurs - ont été négatifs.

« Je ne peux pas croire que vous avez imaginé que cette pratique commerciale était acceptable », a écrit Rickey Roach dans un commentaire sur le blog de l'équipe d'Office 365. « C'est… excessif », a déclaré Tom Arbuthnot sur ce même blog, qui s’est présenté comme un MVP, un Microsoft Most Valuable Professional. « Microsoft agit peut-être ainsi en pensant qu’il offrira à l'utilisateur une meilleure expérience, mais imposer ce choix par défaut sans même demander l’avis de l'utilisateur ou de l’entreprise, c'est trop. Je suis presque sûr que Google ne sera pas très content non plus ». (Sur son blog personnel, Tom Arbuthnot fait une réponse critique encore plus détaillée).

La faute à Microsoft Search…

Pour se justifier, Microsoft a expliqué que le basculement du choix de recherche de Chrome à Bing était indispensable au fonctionnement de Microsoft Search. « En faisant de Bing le moteur de recherche par défaut, les utilisateurs de votre entreprise qui utilisent Google Chrome pourront profiter de Microsoft Search. Ils pourront notamment accéder à des informations pertinentes dans leur environnement de travail, directement à partir de la barre d'adresse du navigateur », a affirmé Microsoft dans un document de support publié le 23 janvier. Dévoilé en mai 2019, Microsoft Search est censé améliorer la recherche dans l'entreprise - aussi bien dans les applications de Microsoft que dans des applications tierces. Au lieu de renvoyer uniquement des liens de sites web, Microsoft Search peut trouver des informations dans les fichiers et le contenu de ces applications, retournant non seulement les correspondances et quasi-correspondances, mais remonter aussi ce que les algorithmes pensent que l'utilisateur recherche réellement. Dans Edge, le service est appelé « Microsoft Search in Bing ». 

Microsoft Search est un élément essentiel de Microsoft 365, la formule par abonnement qui donne accès à Office 365, à Windows 10 et à des outils de gestion. C’est même une nouveauté majeure. L’éditeur propose aux entreprises un kit complet d'adoption appelé Microsoft Search in Bing Adoption Kit comprenant un courriel type pour informer leurs utilisateurs sur le changement de moteur de recherche et ses avantages, plus d’autres éléments d’information pour les convaincre de l'essayer. Apparemment, l’éditeur était tellement déterminé à diffuser son service de recherche que l’éditeur a décidé de l'imposer aux utilisateurs d’entreprise - à ceux qui utilisent Office 365, en tous cas – lesquels ont majoritairement opté pour Chrome comme navigateur par défaut. Or, en prenant cette décision, Microsoft se doutait bien que sa méthode serait sérieusement critiquée. 

Détournement de navigateur ?

Il n'est pas surprenant de voir qu'une grande partie des critiques comparent la modification imposée par Microsoft et ses pratiques aux auteurs de malwares et aux escrocs. « Forcer un utilisateur à modifier ses paramètres pour des raisons arbitraires est un détournement de navigateur », a déclaré une personne identifiée par le pseudo « camxct » sur GitHub. Plusieurs commentaires en rapport avec les documents de support de Microsoft ont été publiés sur le référentiel. « Détournement de navigateur, comme dans les années 90 ? Êtes-vous devenu fou ? », a demandé une personne identifiée par le pseudo « kgbvax », également sur GitHub.

L'expression « détournement de navigateur » et d'autres, comme PUP, pour « Potentially Unwanted Program » (programme potentiellement indésirable) - remonte à une époque où cette pratique était courante. Les acteurs malveillants infectaient un système avec des malwares qui modifiaient les paramètres d'un navigateur - généralement son moteur de recherche et/ou sa page d'accueil par défaut - pour diriger le trafic vers des sites spécifiques où ils pouvaient collecter des revenus publicitaires. Google a consacré beaucoup de temps et d'efforts à empêcher les pirates de détourner Chrome et à interdire l'installation de modules complémentaires non-officiels - plus ou moins tous ceux qui ne sont pas hébergés dans le Chrome Web Store - et cela dans le cadre d'un processus global de verrouillage du navigateur étalé sur plusieurs années.

« Un consentement indispensable », affirme Microsoft

Aujourd'hui, Microsoft tente de faire à Chrome exactement ce que Google a essayé d’empêcher. « Chrome n'est pas votre navigateur, laissez-le tranquille », a déclaré une personne identifiée sous le nom de Andrew sur le site User Voice que Microsoft utilise pour solliciter des feedbacks et des demandes pour Office. « C'est un adware au mieux ! Je suis absolument sidéré par cette combine ! » (Le 28 janvier à 14 heures (heure de l’Est des États-Unis), ce commentaire sur User Voice avait reçu plus de 900 votes et suscité plus de 180 réponses). D'autres ont juré de se venger. « Je regrette vraiment d'avoir poussé mon entreprise à utiliser Office 365. J’ai l’air stupide, à cause de vous », a écrit Daniel Prince sur le site User Voice. « Je gère 90.000 machines Windows et Mac. La semaine prochaine, nous bloquerons Bing.com au niveau du pare-feu. J'espère que la combine que vous avez mise en place en valait la peine ».

L'extension de Microsoft est déjà disponible sur le Chrome Web Store de Google, laissant entendre que Google l’a implicitement approuvé. Dénommée « Microsoft Search in Bing quick access », l’extension a été mise à jour pas plus tard qu'aujourd'hui. Deux utilisateurs ont également critiqué l'extension dans le Store. « Il ne devrait pas être possible d’installer un plugin non désiré sans consentement », a fait valoir Michael Studte. « Faites ce que vous voulez avec Chrome Edge, mais ne touchez pas aux navigateurs non-Microsoft ! », a déclaré un autre utilisateur. Le fait est que selon ses propres politiques, Microsoft a - ou a toujours, on ne sait pas trop - interdit de changer le moteur de recherche par défaut d'un navigateur sans autorisation. « Toutes les extensions pour Microsoft Edge doivent être déployées depuis le Microsoft Store », stipule la politique relative aux extensions de l’ancien navigateur Edge. « L'installation doit être initiée et complétée par l'utilisateur, en utilisant uniquement l'expérience utilisateur fournie par Microsoft Edge et le Microsoft Store ».

Emmêlées dans ses propres recommandations 

Ailleurs, la propre définition de l’éditeur de Redmond sur les logiciels non désirés inclut des formulations qui peuvent donner des indications sur la façon dont la firme prévoit de distribuer l'extension Chrome. Dans un document de support intitulé « Identification des malwares et des applications potentiellement indésirables par Microsoft », dans la rubrique « Logiciels indésirables », l’entreprise stipule que « Les logiciels doivent obtenir votre consentement avant d'être installés ». Jusqu'à présent, Microsoft n'a rien dit sur le consentement de l'utilisateur dans le cadre du déploiement de la prochaine mise à jour d'Office 365 ProPlus. Ni Google ni Mozilla n'ont répondu aux demandes de commentaires sur le projet de Microsoft de livrer des add-ons pour Chrome et Firefox avec les nouvelles versions d'Office 365 ProPlus et la prochaine mise à jour de ProPlus.