Après avoir suscité l'ire de ses clients en bloquant les consommables compatibles et en faisant disjoncter les imprimantes avec des firmwares douteux, le CEO de HP a récemment dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas.

En effet, au cours d'une interview accordée à CNBC lors du Forum économique mondial de Davos (15-19 janvier), Enrique Lores a fait quelques déclarations remarquées. « Nous nous devons de protéger notre propriété intellectuelle, car nous avons intégré beaucoup de technologies propriétaires dans nos encres et dans les têtes d'impression de nos imprimantes, si bien que, lorsque nous identifions des cartouches qui violent cette propriété intellectuelle, nous empêchons l'imprimante de fonctionner », a-t-il ainsi déclaré à Rebecca Quick, l'animatrice de « Squawk Box » sur CNBC. Celle-ci l'interrogeait sur un récent procès relatif à des mises à jour logicielles de HP qui bloquent les cartouches d'encre provenant de sources tiers « Ça veut dire que, pour vous, ce sont des escroqueries, des contrefaçons, et qu'en conséquence, leur utilisation peut endommager l'imprimante ? », a-t-elle demandé. « Oui, ça peut arriver », a répondu Enrique Lores. « Ces encres n'ont pas été conçues pour nos imprimantes, et cela peut engendrer toutes sortes de dysfonctionnements, depuis l'arrêt de l'imprimante jusqu'à des problèmes de sécurité, y compris l'intégration de virus dans les cartouches et de leur propagation au réseau », a-t-il affirmé.

Un argumentaire peu convaincant sur les dangers des compatibles

Ars Technica, qui s'est intéressé à cette question pour le moins problématique, a découvert que, oui, il est techniquement possible d'intégrer des logiciels malveillants (ou un virus informatique classique) dans une cartouche d'imprimante. HP l'a prouvé en 2022 à l'occasion d'un bug bounty dont le défi consistait à concevoir une attaque spécifique à partir d'une cartouche d'imprimante. Mais le débordement de la mémoire tampon était limité à l'imprimante elle-même, et rien ne prouve qu'il ait représenté un risque pour d'autres ordinateurs ou réseaux. En outre, les experts en sécurité estiment qu'il est peu probable qu'un pirate disposant de moins de ressources qu'un État soit en mesure d'exploiter cette vulnérabilité, si bien que le risque est infiniment faible pour les utilisateurs lambdas et les petites entreprises. 

Au risque d'être réducteur, il semble que HP ait inventé un problème et imagine une solution consistant justement à exclure les fournisseurs d'encre tiers et à obliger les clients à acheter de l'encre de sa marque à un prix extrêmement élevé. Dans le cadre d'un recours collectif fédéral intenté aux États-Unis, HP est accusée de forcer injustement ses clients à acheter de l'encre d'origine, après avoir verrouillé, par le biais de mises à jour logicielles, des imprimantes qui étaient auparavant compatibles avec des cartouches d'encre de tierces parties. À ce stade, il semble prudent de croire Enrique Lores sur parole, en particulier sur le fait que la propriété intellectuelle de HP (et le verrouillage de sa chaîne d'approvisionnement qui en découle) représente pour l'entreprise une préoccupation plus immédiate que la sécurité des clients.

« L'abonnement réduit les obstacles à l'impression »

Peut-être que les températures hivernales de Davos y ont contribué, mais apparemment, même les animateurs de CNBC, très axés sur le marché, n'y ont pas cru. « Vous pensez que les cartouches de tierces parties ne sont pas une bonne option, qu'il ne devrait pas y avoir de marché tiers ? », a demandé Andrew Ross Sorkin. « C'est de la concurrence », a ajouté rapidement Rebecca Quick, avant que Enrique Lores ne déroule sa réponse. 

Après avoir affirmé que des pirates informatiques nébuleux et probablement fictifs pouvaient intégrer des logiciels malveillants dans les cartouches d'encre de tiers, le CEO a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas (c'est nous qui le disons) : « Selon nous, il faut faciliter l'impression autant que possible. Et notre objectif à long terme est d'aller vers l'impression par abonnement. C'est exactement ce que nous cherchons à faire. Nous savons que cette solution réduit les obstacles à l'impression, qu'elle est beaucoup plus pratique et surtout plus durable pour les clients. En effet, chaque fois qu'un client utilise une cartouche, nous la reprenons, nous la recyclons et nous la réutilisons ».

Les consommables compensent les pertes sur les ventes d'imprimantes

Aussi déplaisantes que puissent paraître les déclarations d'Enrique Lores, elles n'ont rien de nouveau. Cela fait des années que HP essaye de pousser ses clients à s'abonner à des programmes de fourniture de cartouches d'encre et de toner comme le programme Instant Ink, et ce n'est pas le seul. On peut même affirmer que certaines entreprises sont favorables à cette option, car elle permet de rationaliser la chaîne d'approvisionnement et d'offrir des réductions, du moins par rapport à l'achat d'encre HP au prix de détail. Son CEO a admis ensuite que HP perdait de l'argent sur les ventes d'imprimantes et que le fabricant compte sur les marges bénéficiaires élevées générées par des fournitures comme l'encre et le papier pour compenser la différence. 

Celui-ci n'a pas voulu préciser la perte par imprimante subie par l'entreprise... Ni ce qu'elle gagne par cartouche. Mais même si l'on connaît le modèle commercial de HP, les réponses de Enrique Lores ont de quoi faire froid dans le dos. « Chaque fois qu'un client achète une imprimante, c'est un investissement pour nous, et si ce client n'imprime pas assez ou n'utilise pas nos fournitures, c'est un mauvais investissement », a-t-il déclaré. Il souhaite aussi que le modèle par abonnement s'étende davantage, « non seulement pour les imprimantes, mais également pour les PC et les autres produits fabriqués par HP ».