Si la 5G promet une vitesse accrue, une latence réduite et la prise en charge d'un nombre beaucoup plus important de terminaux connectés, l'augmentation du nombre d'appareils et d’applications qui en résultera élargira également la surface d'attaque. Autrement dit, de nouvelles possibilités pour les acteurs malveillants d’exploiter les failles de sécurité. Par ailleurs, alors que les entreprises apprennent encore à déployer et à sécuriser la 5G à grande échelle, comme pour toute nouvelle technologie, le risque de mauvaises configurations, d'erreurs et de vulnérabilités non corrigées est élevé. Selon une enquête réalisée en novembre 2022 par GlobalData et Nokia, environ 75 % des fournisseurs de services de communication du monde entier ont déclaré avoir subi jusqu'à six violations de sécurité des réseaux 5G au cours de l'année écoulée. La moitié des personnes interrogées ont déclaré avoir subi une attaque ayant entraîné la fuite de données de clients, et près des trois quarts ont déclaré qu'une attaque avait provoqué une interruption de service.

Cependant, par rapport à leurs prédécesseurs, les réseaux 5G présentent des avantages considérables en matière de sécurité, notamment avec le découpage des réseaux, ou network slicing, qui permet de subdiviser les réseaux en plusieurs réseaux virtuels au-dessus d'une infrastructure physique unique. Chaque réseau peut avoir ses propres configurations, paramètres de performance et qualité de service. Différentes applications peuvent ainsi partager la même infrastructure physique, mais ce découpage ajoute également une couche d'isolation et de sécurité, et limite ainsi la circulation des attaquants dans le réseau. « La 5G a apporté beaucoup d'innovations techniques et d'améliorations à la technologie 4G, mais le découpage du réseau est l'une des plus importantes », a déclaré Doug Gatto, responsable du développement des pratiques, services, chez le fournisseur de services IT Insight, et les avantages en matière de sécurité sont un atout majeur. « Le découpage du réseau peut réellement réduire l'impact d'une cyberattaque en l'isolant sur une seule tranche », a-t-il ajouté. « Néanmoins, une tranche de réseau 5G mal configurée est vulnérable à de multiples menaces, notamment les attaques par déni de service, les attaques de type « man-in-the-middle » et les attaques de configuration de base », a-t-il encore déclaré. « Et si les tranches ne sont pas conçues correctement, un attaquant peut se déplacer d'une tranche à l'autre », a ajouté M. Gatto.

Le découpage du réseau 5G, une idée qui peine à convaincre

Ce dernier est persuadé que ce type d'attaques a déjà lieu, même si la menace est relativement nouvelle et qu’aucune données publiques résultant de violations spécifiques n’ont été divulguées. De plus, l'idée du découpage du réseau 5G est très nouvelle. Elle exige que l’opérateur dispose d'une infrastructure 5G autonome, au lieu d'une couche 5G sur un réseau 4G LTE existant. Aujourd’hui, cette infrastructure est largement disponible, et les opérateurs commencent tout juste à expérimenter le découpage. Par exemple, en février, Singtel a annoncé la disponibilité d’une capacité de sécurité « 5G-as-a-slice » « dans les prochains mois ». Toujours en février, Ericsson a publié un rapport qualifiant le découpage du réseau 5G « d'opportunité à court terme ». En mars, Bryan Schromsky, associé directeur de l'unité secteur public de Verizon, a déclaré que Verizon prévoyait de mettre en œuvre le découpage du réseau à la fin de l'année. Mais les risques de sécurité liés au découpage du réseau 5G sont suffisamment sérieux pour qu'en décembre, la National Security Agency (NSA) et l'Agence américaine de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (Cybersecurity and Infrastructure Security Agency, CISA) émettent un avertissement et donnent des conseils pour atténuer ces risques.

Les problèmes de sécurité ne se limitent pas à des attaques sur des tranches individuelles ; ils peuvent également passer d'une tranche à l'autre si les réseaux ne sont pas correctement sécurisés, précise l'agence. « Une mauvaise gestion des tranches de réseau peut permettre à des acteurs malveillants d'accéder à des données provenant de différentes tranches de réseau ou de refuser l'accès à des utilisateurs prioritaires », indique le rapport.  Des chercheurs de Deloitte et de Virginia Tech ont récemment effectué un test de validation de concept et démontré que le mouvement latéral était possible. Comme l’explique Abdul Rahman, vice-président associé chez Deloitte, c’est le cas par exemple si un appareil particulier est connecté à une tranche de réseau. « Tout ce qu’il y a à faire est de chercher sur Google le site web du fournisseur, de découvrir le nom d'utilisateur et le mot de passe par défaut, et d'élaborer un script pour essayer ce nom d'utilisateur et ce mot de passe à partir de différents points du réseau », a-t-il expliqué. Ensuite, une fois qu'une première tranche a été compromise, cet accès peut servir à pivoter vers d'autres tranches de réseau et compromettre les données ou les appareils utilisés par d'autres clients. Selon le rapport de la CISA, les trois plus grandes menaces pour les tranches de réseau 5G sont les attaques par déni de service (DoS), les attaques de configuration et les attaques de type « man-in-the-middle ».

Les attaques DoS peuvent dégrader le service entre les tranches

Lors d'une attaque par déni de service, un acteur malveillant sature le réseau, une application ou un composant critique de trafic, de sorte que tous les appareils utilisant la même tranche subissent une interruption. Selon un rapport publié en début d'année par ENEA AdaptiveMobile Security, acteur de la sécurité des réseaux mobiles et des services de messagerie, les approches et technologies actuelles ne permettent pas d'atténuer les attaques par déni de service contre les réseaux 5G. Il est possible pour les tranches de réseau de réduire la portée des attaques par déni de service en isolant leur effet sur un segment de réseau individuel, mais seulement si l'infrastructure est correctement configurée. Par contre, certains types d'attaques peuvent s'étendre à d'autres tranches si l’on ne prend pas les mesures préventives adéquates. Par exemple, si un logiciel malveillant compromet un appareil IoT connecté au réseau 5G et inonde le réseau de messages, il peut dégrader la qualité du signal pour toutes les tranches de réseau qui partagent le même spectre ou d'autres ressources physiques. Une autre possibilité est qu'une application malveillante de traitement mobile à la périphérie infecte une tranche et commence à générer de fausses tâches à forte intensité de calcul. Elle utilisera les ressources en périphérie et, si le logiciel malveillant est capable de contourner les politiques de segmentation des ressources de calcul, il peut affecter les performances de toutes les autres tranches partageant le même traitement edge.

En avril, Deloitte et Virginia Tech ont publié une étude répertoriant les vecteurs d'attaque par déni de service pour les réseaux 5G. « Cette étude était limitée à un environnement de laboratoire, mais elle est pratique », a précisé Shehadi Dayekh, spécialiste de la 5G et de l’edge chez Deloitte. « Et il est possible de créer des contraintes de ressources sur l'infrastructure commune que les deux tranches utilisent », a-t-il ajouté. « En outre, les architectes de réseau n’ont pas forcément envie de dupliquer chaque fonction réseau sur chaque tranche, de sorte qu'une attaque sur une fonction réseau particulière peut affecter toutes les tranches qui l'utilisent », a encore déclaré M. Dayekh. De plus, il existe des ressources partagées que toutes les tranches doivent utiliser. C’est le cas par exemple, si un opérateur utilise des tranches de réseau 5G pour offrir des réseaux privés à plusieurs entreprises clientes dans la même zone. « Au bout du compte, l’opérateur pourrait utiliser une tour cellulaire pour alimenter plusieurs clients », a expliqué M. Dayekh. « Il n'est pas possible de répliquer la tour cellulaire pour chaque client. Par conséquent, si cette ressource partagée spécifique est compromise, les autres clients seront également affectés », a-t-il ajouté.

Les attaques de configuration peuvent conduire à des compromissions de grande ampleur

« Ces mêmes ressources partagées peuvent aussi permettre aux logiciels malveillants de se propager d'une tranche à l'autre », a encore expliqué M. Dayekh. Par exemple, une fonction réseau peut utiliser un ensemble commun de serveurs pour fournir des services à différents types d'appareils de différents clients sur différentes tranches de réseau. Dans ce cas, les appareils IoT d'un client peuvent avoir besoin d'accéder à la même fonction réseau et à son infrastructure sous-jacente que les véhicules connectés d'un autre client. « Il s'agit d'industries et de clients totalement différents, mais ils sont desservis par les mêmes nœuds de calcul qui ont la même fonction réseau », a-t-il expliqué. Si l'équipements IoT présente une vulnérabilité que les attaquants exploitent, ils peuvent alors envoyer des logiciels malveillants à d'autres terminaux connectés via la même fonction réseau. Les appareils IoT présentent des risques de sécurité notoires car nombre d'entre eux « sont anciens, et beaucoup peuvent tourner sur des firmwares anciens et non corrigés », a-t-il encore expliqué.

« Mais d'autres composants du réseau peuvent également utiliser des noms d'utilisateur et des mots de passe par défaut ou présenter des vulnérabilités non corrigées », a-t-il ajouté. Il est essentiel de configurer correctement l'infrastructure du réseau et les services de réseau partagés. Savoir notamment s’il y a des ports ouverts, si l’on a mis en place la bonne segmentation et si l’on n’autorise pas les utilisateurs à découvrir d'autres fonctions du réseau. Selon la CISA, les attaques de configuration peuvent avoir des effets très néfastes. Un attaquant malveillant peut voler des données à d'autres utilisateurs sur la même tranche de réseau, mais s'il existe des faiblesses dans l’accessibilité des composants partagés, les attaquants peuvent aussi accéder à une autre tranche. « Dans une architecture virtualisée, il sera plus difficile de détecter et de reconnaître les types de trafic qui traversent ces réseaux et d'atténuer les nouvelles menaces », a mis en garde la CISA.

Les attaques de type « man-in-the-middle » mettent en danger les données

Selon la CISA, les tranches de réseau 5G sont également vulnérables aux attaques de type « man-in-the-middle ». Ces attaques consistent pour un pirate à s'introduire au milieu d'une conversation non chiffrée entre deux participants au réseau. Il peut alors écouter leur communication pour voler des données, transmettre des données corrompues ou interrompre ou ralentir la communication. « Une telle attaque pourrait être dévastatrice, car l'acteur malveillant pourrait modifier le contenu des messages et transmettre de fausses informations », a expliqué la CISA.

Sécuriser les tranches de réseau

Selon la CISA, l'architecture de confiance zéro (Zero Trust Architecture ou ZTA) et la surveillance en continu sont deux aspects essentiels de la sécurité des tranches de réseau. La ZTA, associée à la sécurité multicouche, au cryptage et à l'isolation, peut contribuer à défendre les données et les systèmes contre les attaques à l'intérieur des tranches individuelles et entre les différentes tranches. « La surveillance permet de détecter les activités malveillantes, mais de nombreux outils se concentrent sur les performances et non sur les attaques malveillantes », a mis en garde l'Agence américaine de cybersécurité et de sécurité des infrastructures. Selon M. Gatto d'Insight, les opérateurs de réseaux veulent disposer d'une surveillance des performances et de la qualité de service. « Mais il faut une surveillance du plan de contrôle, c'est-à-dire une surveillance de la logique du réseau réel pour s'assurer qu'il est protégé contre les acteurs malveillants », a-t-il déclaré. « Les opérateurs devraient également envisager des systèmes de détection des anomalies et de prévention des intrusions », a ajouté M. Gatto. Ces systèmes permettent d'identifier et de bloquer les comportements dangereux.

« La sécurité du réseau commence par une bonne visibilité », a expliqué pour sa part M. Dayekh de Deloitte. « Bien connaître son infrastructure et les ressources utilisées par chaque composant, suivre les appareils IoT et les appareils connectés, connus ou inconnus. Dès que l’on a cette visibilité, on peut commencer à appliquer des politiques et des règles pour sécuriser cette connectivité », a-t-il déclaré. « Cependant, l'expansion et le déploiement des services Kubernetes et le déploiement conteneurisé des fonctions de télécommunication représentent un défi pour les transporteurs », a encore déclaré Shehadi Dayekh de Deloitte. « Il devient de plus en plus difficile d'avoir cette visibilité et ce contrôle sur le trafic réseau et sur l'accès, et cela ne fait qu'ajouter à la complexité de la visibilité, de la détection et de la réponse », a-t-il fait valoir. « Surtout quand des centaines, voire des milliers de nouveaux appareils rejoignent le réseau chaque jour. Enfin, les opérateurs doivent avoir un plan en cas d'échec des mesures de prévention. Il est important d'être prêt pour répondre à une attaque si elle se produit », a encore expliqué M. Dayekh. « Quel plan d'action avez-vous prévu si quelque chose ne fonctionne pas ? Il faut être capable de contrôler et d'empêcher tout dommage supplémentaire à son réseau », a-t-il ajouté.

Les vraies attaques sont à venir

« Deloitte réalise des tests sur ses environnements de laboratoire qui sont connectés aux principaux hyperscalers du cloud », a expliqué M. Dayekh. « On voit que les équipements IoT présentent de nombreuses vulnérabilités, des ports ouverts et des logiciels obsolètes », a-t-il ajouté. « Il est clair qu’à ce stade, les grandes entreprises n'ont pas de visibilité totale sur ce qui est connecté », a-t-il encore déclaré. Si M. Dayekh n'a pas vu d'attaques réussies sur des tranches vulnérables dans la nature, il est sûr que ces tranches existent, et que les mêmes vulnérabilités s'appliquent à ces tranches. M. Gatto, d'Insight n'a pas vu non plus de données publiques résultant d’attaques de tranches de réseau, « mais c'est probablement le cas », a-t-il déclaré. « Heureusement, on peut espérer qu'à court terme, les attaques de découpage de réseau seront plus difficiles à réaliser en raison du fonctionnement des technologies cellulaires », a aussi expliqué M. Gatto. « De façon générale, la 5G est sécurisée par défaut, contrairement au WiFi, qui est ouvert par défaut, et il serait donc plus difficile à compromettre. Avec le WiFi, il suffit d'un mot de passe ou d'un certain type d'échange de certificats sécurisés pour rejoindre un réseau, mais avec la 5G, même pour rejoindre un réseau ou une tranche de réseau, il faut une carte SIM physique ou une eSim », a-t-il ajouté.

Selon Chester Wisniewski, directeur technique de la recherche appliquée chez Sophos, il faudra être capable de mener des attaques très complexes pour les voir aboutir. « À ce jour, presque personne en dehors d'un État-nation n'a les ressources nécessaires pour mener une telle attaque de manière efficace », a déclaré le CTO de l'entreprise mondiale de cybersécurité. Ce dernier invite toutefois à la prudence. « Ceux qui adoptent la 5G pour des applications critiques ne doivent pas considérer qu’elle sera toujours disponible et impossible à pirater », a-t-il encore déclaré. « Comme tout terminal communiquant sur un réseau public, les appareils doivent toujours utiliser le cryptage et vérifier les identités du client et du serveur avant de communiquer », a-t-il rappelé.