L’annonce du rachat par Microsoft du plus gros réseau professionnel, Linkedin, a créé une énorme surprise dans le secteur technologique. La firme de Redmond va débourser 26,2 milliards de dollars (23,3 milliards d’euros) en cash ou 196 dollars par action pour mettre la main sur ce réseau à la fois très populaire et très utilisé par les entreprises. L'accord, déjà approuvé par les deux conseils d'administration, doit encore passer par un processus d'approbation réglementaire. Quand la transaction sera effective, Linkedin deviendra la structure de réseau social à travers l'ensemble de Microsoft », a indiqué hier Satya Nadella, CEO de la firme de Redmond. L'idée est d'enrichir et d'unifier les profils professionnels avec les bonnes données arrivant au bon moment dans des applications comme Outlook, Skype et Office. « En cherchant un contact, on pourra voir non seulement des informations dans Active Directory, mais accéder à la richesse de son réseau professionnel », a pointé le CEO.

Linkedin compte 443 millions d'utilisateurs dans le monde. Il a affiché une croissance de près de 20% sur un an devenant de facto, pour un gros contingent de professionnels, un outil pour le recrutement, la recherche de clients, l’échange d’informations sur des postes à pourvoir, mais aussi pour discuter autour de projets par le biais de la messagerie, sans parler des discussions de groupes, et toutes les interactions sociales importantes qui se produisent quand l’utilisateur clique « like » sur un message ou qu’il poste un commentaire. Cette décision de rachat semble curieuse, dans la mesure où Microsoft a déjà avalé Yammer en 2014 en déboursant 1,2 milliard de dollars. Car on peut dire que Yammer fait exactement la même chose que Linkedin, mais dans un réseau fermé, limité à l’usage d’une entreprise, alors que Linkedin est un forum beaucoup plus ouvert sur l’extérieur, même si le système reste encore fermé. Pour s’inscrire sur Yammer, l’utilisateur doit passer par son compte de messagerie d'entreprise. Pour s’inscrire sur Linkedin, il peut utiliser n’importe quelle adresse de messagerie.

Linkedin permet aux professionnels de rester en contact

Ce rachat soulève aussi un grand nombre de questions. D’abord, Microsoft s’éloigne lentement du marché des smartphones (avec la cession de ses téléphones Nokia) tandis qu'il sort des apps comme Outlook pour iPhone ou Bing pour accéder rapidement à des informations localisées (cinémas, restaurants et autres). Le monde devient mobile et Linkedin est une des premières applications que les utilisateurs installent sur leur nouveau smartphone. D’ailleurs, comment s’en passer ? En effet, Linkedin permet de rester informé, de recruter des collaborateurs, de rester connecté socialement pendant la journée. D’une certaine façon, cette forme de réseautage social aide à rompre l'isolement des professionnels, qui passent la majeure partie de leur temps devant un clavier. De plus, si l’activité de l’utilisateur doit se déplacer à l’extérieur, alors Linkedin est encore l'une des meilleures façons de rester en contact avec ses relations professionnelles.

C’est la leçon qu’a retenue John Brandon, l'un des auteurs de ComputerWorld, alors qu'il préparait un article sur un livre de Dan Lyons intitulé « Perturbation » dans lequel un point de vue très critique est livré sur les start-ups en général (et en particulier sur une start-up appelée Hubspot). Il s’est demandé comment réagissaient les gens qui travaillaient pour cette entreprise. Facebook regorge de milliers de messages sur tout et rien, aussi bien des posts sur les lendemains de fêtes d’étudiants que des informations professionnelles plus sérieuses. Mais en allant sur Linkedin pour consulter un message mis en ligne par le fondateur de Hubspot, notre confrère a pu trouver des centaines et des centaines de commentaires de personnes qui défendaient l’entreprise. Et, selon lui, c’est pour cette raison que Microsoft rachète Linkedin.

Des avis intelligents de professionnels ayant quelque chose à dire

Le réseau social est devenu un élément de la relation d’entreprise et de la relation entre professionnels. Tous ces commentaires — que chacun peut consulter — proviennent de « la communauté Linkedin », dans le meilleur sens du terme. Rien à voir avec des trolls. Ce sont des avis intelligents émis par des personnes qui occupent de vraies fonctions, des professionnels qui ont quelque chose à dire. Et Linkedin est l’endroit pour exprimer ce genre de choses. Selon notre confrère, hors de ce réseau, on trouve peu d’analyses de ce genre dans le cadre d’une discussion professionnelle, qui, par ailleurs, resteront utiles à plus ou moins long terme. Facebook s’étale dans tous les sens. Twitter est trop condensé. A l'inverse, Linkedin offre un cadre organisé, utile, structuré, cohérent. Quel que soit le sens dans lequel on le tire, il reste pertinent. Et c’est pour cela qu’il vaut 26,2 milliards de dollars et que ses actions sont aussi cotées.

Microsoft a besoin de quelque chose de bien structuré, et cette acquisition est parfaitement logique. Certaines de ses activités vacillent un peu. Par exemple, il est difficile de dire ce qui va se passer avec Office, quand l’utilisateur est trop occupé avec les Google Docs sur un Chromebook Pixel. Il est difficile de dire ce qui va se passer avec des datacenters très focalisés sur l'offre Microsoft, alors qu’il est assez clair que des milliers de fournisseurs de services cloud peuvent faire exactement la même chose à un coût beaucoup moins élevé. Il est même difficile de dire ce qu’il adviendra de la Xbox ou de Windows 10. Certains de ces monolithes ne sont pas loin du sable mouvant, et il serait très présomptueux de chercher à prédire comment évolueront ces activités au cours des 10 prochaines années.

L'échange social va perdurer

Par contre, on peut présager sans risque une très longue durée de vie pour Linkedin. La durabilité du réseau professionnel est aussi ancrée que les publicités de Google et que les archives photographiques de Facebook. En fait, étonnamment, la pratique de la discussion sociale est le seul pan prévisible de la technologie informatique de demain. Tout le reste — les terminaux, les systèmes d'exploitation, les divertissements, les applications, le logiciel, la sécurité, et même le leadership — changera. Alors que l’échange social, lui, perdurera.