Le secteur du numérique est régulièrement pointé du doigt pour son impact environnemental élevé et plutôt orienté à la hausse. Toutefois, une part croissante des acteurs, aussi bien du côté des fournisseurs que du côté des entreprises utilisatrices, cherche à agir pour inverser la tendance et réduire cette empreinte. L'une des difficultés pour adresser cet enjeu est de disposer de chiffres précis pour mesurer et suivre l'évolution des impacts, loin de se limiter aux émissions de gaz à effet de serre. C'est pour répondre à ce besoin qu'un consortium constitué de LCIE Bureau Veritas, APL Data Center, DDemain et GreenIT.fr a élaboré un référentiel destiné à calculer les impacts environnementaux du numérique sur l'ensemble du cycle de vie.

« Avec nos partenaires, nous travaillons ensemble depuis 2011 sur différents projets d'évaluation des impacts environnementaux du numérique. Nous avons accompagné des PME, des start-ups et d'autres acteurs sur ce sujet », relate Marie-Elisabeth d'Ornano, directrice certification responsable CODDE (centre d'expertise en écoconception et analyse du cycle de vie) LCIE chez Bureau Veritas. « Durant ces projets s'est fait ressentir le besoin d'un référentiel homogène et harmonisé pour nos évaluations. Il était nécessaire d'avoir des données harmonisées par rapport aux normes sur l'analyse du cycle de vie et l'écoconception, comme ISO 14040. C'était aussi un enjeu de transparence et de neutralité des données. » Les quatre partenaires ont alors créé le consortium NegaOctet pour bâtir un tel outil et aller plus loin. En 2018, leur projet a été lauréat de l'appel à projets de recherche Perfecto de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).

Une analyse complète du cycle de vie

Le fruit de ces travaux est une base de données qui permet de réaliser des analyses du cycle de vie conforme aux standards et aux référentiels d'affichage environnemental, sur l'ensemble du périmètre des systèmes d'information : terminaux, réseau et datacenters. « Il s'agit d'une base de données adaptable, avec quatre niveaux de granularité », détaille Marie-Elisabeth d'Ornano. Le niveau le plus fin propose une analyse au niveau des composants (microprocesseurs, mémoire vive, etc.). Les niveaux suivants concernent les équipements (postes de travail, terminaux, etc.), puis les systèmes (datacenter, service dans le cloud, etc.) et enfin les usages, pour évaluer par exemple l'impact de l'envoi d'un mail, d'une webconférence, de l'utilisation d'un objet connecté ou d'un service de stockage dans le cloud. Au total, la base compte 15 000 entrées, allant des derniers modèles de smartphones aux infrastructures de datacenters. La base est conçue de façon homogène, avec une analyse du cycle de vie incluant les ressources, la fabrication, l'usage et la fin de vie. Dix indicateurs d'impact environnemental sont évalués, parmi lesquels l'impact sur le changement climatique, l'épuisement des ressources abiotiques minérales et fossiles, l'épuisement de la ressource en eau, les émissions de particules fines, les radiations ionisantes, la consommation d'énergie primaire, la production de déchets et le sac à dos écologique, qui calcule la quantité de ressources naturelles utilisées pour produire une matière première ou un produit fini. Cette approche globale des impacts est à différencier d'indicateurs existants, comme le PUE (power usage effectiveness), indicateur d'efficacité énergétique des datacenters. « Celui-ci n'est pas un impact, mais une donnée utilisée pour calculer un impact », explique Marie-Elisabeth d'Ornano.

Le référentiel NegaOctet vise à répondre à différents types de besoins et d'entreprises. « Le but est de permettre à tous les acteurs, suivant leur niveau de maturité et leurs besoins, d'aller modéliser plus ou moins finement leur impact, depuis la modélisation d'un PC jusqu'à une vision à grosses mailles d'un système d'information », explique Marie-Elisabeth d'Ornano. L'outil peut servir aussi bien pour répondre à des besoins internes, pour calculer l'empreinte de services vendus aux clients ou encore être utilisé par des cabinets de conseils qui accompagnent les entreprises sur ces sujets. Les entreprises plus matures pourront se servir de cette évaluation pour chercher des points d'amélioration de leur impact et mettre en place une stratégie d'écoconception. C'est aussi un outil qui peut servir à faire des évaluations et des comparaisons. « Quand nous avons commencé à travailler sur les services numériques, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait avoir un référentiel pour pouvoir faire des comparaisons fiables, mettre en place des stratégies de réduction des impacts environnementaux et voir si celles-ci sont effectives », souligne Marie-Elisabeth d'Ornano. Enfin, le référentiel NegaOctet pourra également servir pour actualiser les études globales sur l'impact du secteur numérique, l'Ademe ayant par exemple une telle étude en cours.

Se préparer aux obligations d'affichage environnemental

Le consortium produit également des PCR (product category rules), des guides méthodologiques basés sur le référentiel. Ceux-ci servent à élaborer des déclarations environnementales de produits (EPD - Environmental Product Declaration). NegaOctet a notamment travaillé sur les fournisseurs d'accès internet, les datacenters et services cloud ou encore les réseaux et la téléphonie d'entreprise, et d'autres PCR sont en cours à la demande de l'Ademe. « Les entreprises privées et publiques doivent se préparer aux obligations d'affichage environnemental à venir. L'objectif de NegaOctet est de leur permettre d'avoir un train d'avance », précise Frédéric Bordage, fondateur de GreenIt.fr et membre du consortium. « Pour nous, la base NegaOctet est un complément à des référentiels RSE comme EcoVadis. Notre cible est vraiment le calcul des impacts environnementaux, avec différents niveaux d'évaluation et en se basant sur l'analyse des cycles de vie. Sur les 3P (People, Planet, Profit) qui caractérisent les démarches de développement durable, nous sommes vraiment sur le « P » de planète », affirme Marie-Elisabeth d'Ornano. « C'est une base conçue pour être robuste, maintenable et transparente. Nous avons d'ailleurs soumis ces travaux à une revue critique par des tiers », précise Marie-Elisabeth d'Ornano. « Le référentiel s'appuie sur des normes internationales, car il a vocation à être utilisé à l'échelle mondiale. Cela n'a pas de sens de calculer un impact environnemental seulement au niveau de la France, surtout dans le domaine du numérique. »

La base complète et l'accès à l'ensemble des travaux menés par le consortium depuis trois ans sont commercialisés en deux jeux de données : facteurs d'impacts environnementaux et inventaire du cycle de vie. Les entreprises qui le souhaitent peuvent l'acquérir pour répondre à leurs besoins. Une partie va également être reversée de façon gratuite dans la base Impact de l'Ademe, principalement sur le volet des usages. Le consortium a vocation à transférer sous trois ans la propriété de la base de données à l'association NegaOctet (en cours de constitution) pour en assurer son ouverture, son développement et sa pérennité.