Après un match serré tout au long du mois de novembre, Pascal Martinez (AG2R La Mondiale) a fini par devancer Audrey Brayer (Directrice de l'innovation et DSI de Pierre & Vacances Center Parcs), avec plusieurs dizaines de voix d'écart. Tutoyant la barre des 200 voix, Julien Nicolas (Directeur du numérique de la SNCF) complète le podium des DSI qui, par leur stratégie et par leurs projets, ont le plus marqué les lecteurs de CIO en 2025. Au total, 1311 votants se sont exprimés sur notre plateforme (contre 1247 l'an dernier), donnant leur voix à un des 8 candidats que la rédaction avait sélectionnés.
Arrivé en 2022 au sein du groupe de protection sociale, Pascal Martinez y pilote une large refonte du SI, lancée en 2022 et représentant un investissement de 629 M€ sur six ans. Un programme qu'il avait présenté dans nos colonnes en décembre 2024. Point d'étape environ un an plus tard sur les avancées d'un programme qui, selon Pascal Martinez, respecte à ce jour son budget prévisionnel.
Quelle est votre première réaction à cette élection ?
Pascal Martinez : Ces prix sont importants non pas pour les DSI eux-mêmes, mais pour le travail des équipes qu'ils récompensent. Car, au-delà de la stratégie en matière de systèmes d'information, c'est la déclinaison opérationnelle qui compte le plus. La DSI d'AG2R La Mondiale se veut avant tout une DSI d'action et de mise en oeuvre, qui agit pour transformer les systèmes d'information. Ce prix est une forme de reconnaissance du travail accompli pour traduire, au sein de la DSI et au sein du groupe dans son ensemble, une stratégie au départ définie par un groupe restreint de personnes. Nous réussissons à mettre en oeuvre des actions qui transforment concrètement la vie de nos clients et collaborateurs, ce qui donne du sens aux efforts des équipes engagées sur notre programme lancé il y a maintenant trois ans.
Sur ce programme, qui court jusqu'en 2028, quels jalons avez-vous franchis cette année ?
En 2025, notre objectif était de disposer, sur une partie de nos activités, d'une première version de notre système cible possédant la logique de fonctionnement que nous voulions déployer. En novembre, nous avons mis en oeuvre cette logique pour l'épargne retraite individuelle. Nous avons aussi beaucoup travaillé à la conception de notre futur système de gestion pour la santé prévoyance, avec une mise en service en mars prochain. Enfin, nous allons déployer, au 1er janvier, notre plateforme de pilotage intégré, couvrant la finance, la comptabilité et le contrôle de gestion.
Au cours des deux premières années de notre programme, nous avons beaucoup travaillé sur les systèmes digitaux et la relation client. Cette année aura été consacrée à la mise en place de processus de bout en bout, depuis la demande du client, en passant par le traitement dans le CRM, jusqu'à la gestion des contrats dans les systèmes de back-office, venant alimenter un système comptable et financier rénové. Cet objectif est atteint : une première version de notre système cible est désormais en production. Elle a été connectée à notre référentiel unique de clients, qui alimente désormais un seul et unique lac de données. Ce dernier sera utilisé pour le reporting et pour nos applications d'IA.
« Si nous devions redémarrer notre programme IT aujourd'hui et repenser les espaces client, nous commencerions probablement par le développement d'un outil de prompting ! » (Photo : Thomas Léaud)
Quel rôle tient justement l'IA dans votre programme ? Au lancement de ce dernier, ChatGPT n'était pas encore né...
Nous avons su développer et déployer de façon pragmatique une plateforme d'intelligence artificielle générative interne : Almia (acronyme de AG2R La Mondiale intelligence artificielle, NDLR). Elle offre plusieurs fonctionnalités, dont un bot sécurisé et multi-LLM, qui compte aujourd'hui 7 000 utilisateurs parmi les 15 000 collaborateurs du groupe. Ce bot permet aussi de configurer des assistants. Nos collaborateurs en ont développé près de 1 300 pour les aider au quotidien.
A cela s'ajoute la capacité à créer des applications spécifiques à base d'IA. Nous avons ainsi développé un moteur d'analyse des verbatims de clients, un outil de génération de campagnes marketing personnalisées, intégrant au besoin des images ou de la vidéo, ou encore une application permettant de faire une analyse comparative de nos offres. Les comptes-rendus des appels clients ont par ailleurs été enrichis afin de mettre en exergue les demandes formulées par un assuré et les propositions que nous lui avons faites. La prochaine étape consistera à déclencher l'action, automatiquement, ou le rappel client. Au-delà de l'efficacité opérationnelle, ce type d'automatisme sert aussi à améliorer la satisfaction client, en détectant mieux son intention.
Par ailleurs, nous intégrons peu à peu l'IA dans nos processus. Par exemple, sur l'acquisition, le contrôle et la validation de documents, nous intensifions l'automatisation, pour réduire les délais et améliorer la qualité. Près de 50% des factures et devis des clients sont désormais traités automatiquement, contre 30% il y a un an. Auparavant, nous redéfinissions nos parcours client de bout en bout avec une approche Lean. Désormais, cette approche combine Lean et IA. A chaque fois qu'une analyse de documents est effectuée pour y appliquer une règle, le recours à la GenAI doit devenir naturel.
Le troisième sujet sur lequel nous travaillons concerne la transformation des espaces client. Dans le monde de l'assurance, un client se connecte à son espace avec une intention précise. Nous travaillons sur une interface permettant aux clients de poser leurs questions directement, en complément des fonctions actuelles. D'ailleurs, si nous devions redémarrer notre programme IT aujourd'hui et repenser les espaces client, nous commencerions probablement par le développement d'un outil de prompting !
Cette transformation des interfaces concerne-t-elle aussi l'interne ?
Le conversationnel est appelé à se généraliser avec une approche « talk to data ». Cette approche va commencer à être déployée en 2026 en interne, et on peut imaginer l'étendre à des clients grands comptes, qui ont des contrats d'assurance collective et des besoins de reportings spécifiques.
« Le décommissionnement du mainframe est une conséquence de l'orientation de notre stratégie vers le SaaS. » (Photo : Thomas Léaud)
Quels sont les prochains jalons de votre programme ?
En 2026, nous devons continuer à connecter notre référentiel unique de clients, désormais en place, avec certains de nos applicatifs, notamment à nos systèmes de gestion en épargne retraite collective et en épargne patrimoniale. Ceux-ci seront intégrés, dès l'an prochain, à notre système cible et à notre logique de plateformisation. Nous allons aussi étendre notre CRM au monde des entreprises. Ainsi, le système cible sera en place à la fin de l'année 2026.
Quelles seront dès lors les priorités des deux dernières années du programme ?
Nous allons nous concentrer sur les migrations de données et les décommissionnements. En effet, sur certaines activités, la reprise de données peut s'avérer très complexe : dans le monde de l'épargne, par exemple, certains clients possèdent des contrats datant de 30 ans ou plus.
Une fois ces migrations opérées, il nous restera à décommissionner les anciens systèmes. Dans notre stratégie, reposant sur l'utilisation de progiciels en SaaS, cela passera par un redimensionnement des infrastructures actuelles. Nous avons d'ailleurs déjà commencé à réduire la superficie dans nos salles machines. En parallèle, nous accompagnerons l'évolution des compétences vers l'administration d'un système hybride.
Avec, en ligne de mire fin 2028, le décommissionnement du mainframe...
Oui, mais notre objectif était surtout de déployer un progiciel de gestion des contrats d'épargne et de santé-prévoyance qui soit à l'état de l'art, pour remplacer les solutions actuelles tournant sur mainframe. Le décommissionnement du mainframe est une conséquence de l'orientation de notre stratégie vers le SaaS.
Votre programme repose sur les principes de l'agilité à l'échelle, avec 10 trains de développement évoluant en parallèle. Quel bilan en tirez-vous ?
Concernant l'agilité à l'échelle, qui était nécessaire pour augmenter nos capacités de delivery, le bilan est largement positif. S'agissant d'un très grand programme, nous avons dû adapter la méthode pour gérer l'assemblage des trains et ne pas perdre de vue la notion de releases de solution, qui doivent être fonctionnelles et en production à une date donnée. Nous avons ainsi réintroduit, en 2025, des responsables de solutions s'assurant que les évolutions des produits et des trains - donc la priorisation des backlogs - permettent bien de livrer une solution donnée selon le calendrier prévu.

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