D’ici 2030, Pat Gelsinger veut faire d'Intel le deuxième fabricant mondial de puces, ce qui implique de servir des fournisseurs que la firme de Santa Clara considérait traditionnellement comme des concurrents. Lors d’un événement baptisé IFS Direct Connect 2024, le 21 février à San José (en Californie), le CEO d’Intel a expliqué que « nous voulons être la fonderie du monde. Nous espérons que Jensen [Nvidia], Christiano [Qualcomm], Sundar [Google] et Satya [Microsoft] en feront partie, et j'espère même que Lisa [AMD] en fera partie à l'avenir. Si nous voulons être la fonderie occidentale à grande échelle, nous ne pouvons pas faire de discrimination quant aux clients ». Et pour travailler pour des concurrents, il y a une ligne claire à distinguer entre les activités produits (les puces Core, Xeon et autres FPGA) et la fonderie. « Comme je l'ai dit lors de la dernière conférence téléphonique sur les résultats financiers, nous aurons une entité juridique distincte pour la fonderie Intel cette année », a expliqué Pat Gelsinger. « Nous commencerons à afficher des données financières distinctes à l'avenir. L'objectif de l'équipe de fonderie est simple : remplir le carnet de commandes et fabriquer afin de livrer au plus grand nombre de clients sur la planète ». Après la chute des ventes de puces pour PC et la perte d'un client comme Apple, l'activité produits d'Intel ne semble plus suffire pour alimenter les chaines de fabrication. 

Si les entités foundry et produits seront toujours sous la coupe d'Intel, elles seront indépendantes dans leur fonctionnement. (Crédit S.L.)

Le CEO du fondeur américain divise donc la société pour former deux entités indépendantes, toujours sous la marque Intel. Dans le cadre de la réorganisation et du changement de marque, Intel Foundry Services (IFS) inclura les services de développement technologique, de chaîne d'approvisionnement, de fabrication et d'emballage du fabricant de puces. De son côté, la division Produits d'Intel concentrera ses efforts sur le développement de puces (PC, serveur et réseau) et l'octroi de licences. En fait, cette branche d'Intel consacrée aux produits fonctionnera davantage comme un designer de puces – de type fabless - qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent. Ces entités seront juridiquement distinctes et disposeront de leur propre personnel et de procédés spécifiques, avec un minimum de chevauchement pour garantir la confidentialité, a précisé Stu Pann, directeur de l'IFS. « Nous serons très disciplinés sur ce sujet. Nous aurons deux forces de vente distinctes. Nous construisons deux systèmes ERP distincts. Nous définissons deux entités juridiques distinctes », a-t-il déclaré. « Intel Foundry effectuera des transactions sans lien de dépendance avec les activités ». 

L'entité foundry est appelée à travailler avec tous les fournisseur fabless du marché. (Crédit S.L.)

Le groupe Produits obtiendra également des allocations de fabrication - qu'il a appelées couloirs de capacité - de la même manière que tout autre client. Il a admis que les produits Intel représenteraient probablement la majeure partie des activités d'Intel au cours des deux prochaines années. Plus important encore, Intel Foundry maintiendra une stricte confidentialité avec chacun de ses clients, qu'ils soient internes ou externes. « C'est le cœur de ce qu'il faut pour réussir dans les fonderies », a expliqué Keyvan Esfarjani, vice-président exécutif d'Intel chargé de la fabrication. 

La progression de TSMC dans la finesse de gravure est une belle épine dans le pied d'Intel. (Crédit TSMC)

Bien qu'Intel annonce des cadres juridiques spécifiques pour séparer les divisions fonderie et produits, la stratégie est déjà appliquée dans le cadre de son partenariat avec ARM. Stu Pann a qualifié son rival de longue date, ARM, de client le plus important de l'entreprise, avant d'inviter le CEO d'ARM, René Haas, à monter sur scène pour une présentation commune. Nous n'aurions certainement pas pu voir cela venir il y a cinq ans. En fait, Intel travaille déjà à la fabrication des processeurs Arm Neoverse. Pat Gelsinger a été très clair : « nous voulons que notre fonderie soit utilisée par tout le monde. Nous voulons aider à construire des puces Nvidia, des puces AMD, des puces TPU pour Google et des puces d'inférence pour Amazon. Nous voulons les aider et leur fournir les technologies les plus puissantes, les plus performantes et les plus efficaces pour qu'ils puissent construire leurs systèmes ». Un changement radical pour Intel, qui était jusqu’à présent principalement concentré sur la fabrication de ses propres puces. Mais si Intel tente d'éviter tout conflit d'intérêts entre ses deux entités, Pat Gelsinger ne semble pas décider à réaliser un véritable spin-off avec son activité fonderie. Les deux entités seront séparées, mais toujours contrôlées par Intel. Avec cette réorganisation, la firme de Santa Clara entend accélérer sur les procédés de fabrication pour marquer TSMC et éviter de reproduire les errements du passage au 10 nm. Le Taiwanais est déjà passé au 3 nm pour ses clients (Apple par exemple avec ses pues M3) et annonce le 2 nm en 2025.