L’incidence majeure des technologies quantiques sur les questions de cybersécurité en font « un enjeu de souveraineté absolument décisif pour toutes les nations, en particulier européennes », a exprimé ce matin Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, dans une vidéo diffusée à l’occasion de la remise du rapport « Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas », rédigé par la députée LREM Paula Forteza, avec Jean-Paul Herteman, ancien PDG de Safran, et Iordanis Kerenidis, directeur de recherche au CNRS. En évoquant aussi les applications du quantique dans l’exploitation des données avec l’IA et dans des secteurs tels que la santé, le ministre a estimé urgent de « reprendre la main sur ces technologies et d’avoir un plan de développement comme en ont d’autres pays, tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ».

Dans la foulée, Bruno Le Maire a annoncé deux décisions prises avec le Président de la République et le Premier ministre. Premièrement, le quantique va entrer dans le champ de contrôle du décret sur les investissements étrangers en France. Celui-ci permet en effet à Bercy de s’assurer qu’un investissement ne vient pas piller des technologies sensibles mais qu’il sert au développement industriel et économique de la France. Deuxièmement, un plan de développement va être mis en oeuvre par les trois ministères qui sont directement concernés par le quantique : le ministère des Armées, celui de la Recherche et celui de l’Economie et des Finances. A cette fin, un groupe de travail réunissant des représentants de l’Etat, des chercheurs du CEA, de l’Inria et du CNRS et des opérateurs financiers tels que Bpifrance et SGPI, va élaborer pour le 1er trimestre 2020 une feuille de route détaillée sur le programme de travail sur 5 ans de chaque ministère et opérateur. Inscrite dans le cadre du Pacte productif, de la loi pluriannuelle de programmation de la recherche et du PIA, cette feuille de route précisera les sources de financement venant de l’Etat, du privé et de l’UE.

6 recommandations stratégiques et 50 propositions

« La France doit agir vite », exhortent les rapporteurs sur le quantique. Face à la rapidité et à l’incertitude des évolutions dans le quantique, « seuls les pays qui auront osé prendre des risques trouveront une place dans ce nouveau tournant technologique », expliquent-ils. Il est indispensable d’établir des ponts entre les chercheurs et les industriels qui pourront investir et tester les innovations. Autre avertissement des rapporteurs : l’impact du quantique ne se limitera pas à un petit cercle d’initiés, mais bouleversera les outils numériques, tant dans la santé que la logistique, la banque, etc. Il faut donc vulgariser le quantique et le rendre concret, condition indispensable pour assurer le succès de la stratégie française, exposent encore les rapporteurs. Outre les questions de souveraineté, Paula Forteza, Jean-Paul Herteman et Iordanis Kerenidis mettent aussi en avant les enjeux économiques liés à la maîtrise de ces technologies, dans des domaines aussi variés que la médecine moléculaire, la prospection géologique, la conception de matériaux avancés, la logistique, le stockage de CO2 ou encore la fabrication de fertilisants verts. 

Les rapporteurs ont établi six recommandations détaillées en 50 propositions dont 37 sont présentées dans le rapport publiquement accessible. La 1ère recommandation porte sur la mise en place en France d’une infrastructure de calcul quantique de rang mondial pour la recherche et l’industrie, en intégrant des émulateurs et des accélérateurs quantiques reposant sur des principes technologiques divers et en développant l’écosystème logiciel et les usages pratiques. La possibilité d’un portail commun avec des partenaires européens dont l’Allemagne est évoquée pour donner accès à l’ensemble des technologies quantiques européennes. 

Financement : un effort de 1,4 Md€ sur 5 ans

Le rapport souligne par ailleurs la nécessité de lancer un programme de développement technologique « ambitieux » pour avoir les moyens de lever les verrous scientifiques, en particulier sur la cryptographie. Le développement des usages doit être soutenu, notamment par des challenges tant dans le calcul quantique que dans les capteurs quantiques pour sécuriser les débouchés court-terme. Pour créer un environnement d’innovation efficace, il est recommandé de constituer des centres quantiques basés sur des pôles de R&D reconnus à l’international, de développer les compétences et donner accès au capital risque pour créer des start-ups permettant le transfert des technologies vers le marché.

Sur le plan financier, les rapporteurs évaluent l'effort à 2 milliards d'euros sur 5 ans, mêlant investissements public et privés (Etat, collectivités, Commission européenne, industriels, fonds d’investissements). Ce matin à l'Assemblée nationale, Paula Forteza a indiqué que la France avait déjà investi 60 M€ dans le quantique et qu'il fallait maintenant tripler cet effort en investissant 1,4 Md€ sur 5 ans en incluant les apports du privé. « L'effort déjà consenti par les institutions doit être renforcé et induire un effet de levier important sur l’investissement privé », mentionnent les rapporteurs. Ils pointent aussi la nécessité de déployer une stratégie de sécurité économique pour protéger le patrimoine scientifique et technologique. Sur ce point, Bruno Le Maire a apporté un premier élément de réponse ce matin. Enfin, le rapport insiste sur l’instauration d’une gouvernance efficace, réunissant l’Etat, la Recherche et les industriels, « compte-tenu du niveau élevé d’incertitudes relatif à certaines voies de développement » du quantique et au temps long de certaines actions et à « l’intensité capitalistique nécessaire ».

« Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas », téléchargeable sur le site de la députée Paula Forteza : www.forteza.fr