Ce devait être un rêve, cela se termine en cauchemar. Lancé en mai 2006, le projet de refonte du circuit de paye des agents de l'Etat passait par la mise en place d'une nouvelle chaîne conçue et opérée par un service à compétence nationale spécialisé, l'Opérateur National de Paie. Il était porteur de grandes ambitions. En particulier par la réalisation d'un SI-Paye, raccordé à tous les SIRH interministériels, qui devait déboucher sur davantage d'efficacité, tant en termes de traitement des paies (2,8 à 3,1 millions de bulletins chaque mois pour 2,7 millions d'agents) que de mutualisation des coûts et d'économies financières. Au final, rien de tout cela, bien au contraire.

« Les défauts entachant la conception initiale du programme ONP ont échappé au responsable de la mission de préfiguration qui était dépourvu d'expérience significative en matière de grands projets informatiques. Il est particulièrement regrettable que les ministres n'aient pas soumis l'architecture technique et fonctionnelle proposée par la mission de préfiguration à un audit externe technique approfondi, confié à un comité indépendant d'experts disposant d'une expérience reconnue en matière de grands projets informatiques dans la sphère publique. Tel n'a pas été le cas, que ce soit à la remise des conclusions de la mission de préfiguration en 2006, lors de la création de l'opérateur national de paie en 2007 et, surtout, avant la signature du marché SI-Paye en 2009 », pointe la Cour des comptes dans son rapport 2015 (Tome 1 Les observations - Volume 2 La gestion publique).

Une gouvernance défaillante, pas de pilotage interministériel

Pointant également à la fois une gouvernance défaillante et regrettant un projet sans pilotage interministériel, la Cour des comptes a sorti son ardoise. Et elle s'avère au final particulièrement salée. Ainsi, les dépenses de l'opérateur national de paye pour bâtir le SI-paye et ses systèmes complémentaires engagées fin 2013 ont dépassé les prévisions les plus pessimistes. Alors qu'elles étaient évaluées dans le pire scénario à 261 millions d'euros, elles se sont en réalité élevées à 291 millions d'euros. « Le surplus de dépenses est notamment imputable au coût du SI-Paye ainsi qu'à celui de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, dont le coût réalisé de 56,1 M€ dépasse de 45 % le niveau prévu (38,6 M€), en raison notamment d'un renfort d'effectifs qui lui a été demandé par l'opérateur », explique la Cour des comptes.

Et si au final, le coût du programme ONP, comprenant également les dépenses des ministères pour raccorder leur SIRH au SI-Paye, s'avère inférieures aux prévisions les plus pessimistes - 346 M€ versus 358 M€ (*)- c'est uniquement dû au fait « qu'aucun SIRH n'est parvenu à se raccorder au SI-paye compte tenu des retards et des désistements ministériels », annonce la Cour des comptes. « Au plan informatique, les logiciels acquis par l'État dans le cadre du programme ONP sont, pour l'essentiel, inutiles. Le SI-Paye présente une valeur d'usage nulle car aucun des ministères pilotes n'est en mesure de s'y raccorder. Ce constat a conduit l'État à valoriser le SI-Paye à l'euro symbolique dans la comptabilité générale qui retrace son patrimoine. »

A la publication de ce rapport, la présidente de l'opérateur national de paye n'a pas souhaité apporter de réponse à la Cour des comptes.

(*) En ajoutant aux 291 M€ de dépenses de l'opérateur pour bâtir le SI-Paye et ses systèmes complémentaires, les dépenses des ministères pour raccorder leur SIRH au SI-Paye et les dépenses associées à l'arrêt du programme, le coût total du programme ONP est évalué fin 2013 par la Cour des comptes à 346 M€.