Le DSI d’Haulotte, un industriel spécialiste des matériels d’élévation de personnels employant 1900 personnes, détaille son plan de transformation de l’activité de sa société via le numérique. Ancien DSI de Gerflor, Thomas Chejfec a rejoint Haulotte en 2019 et va publier en 2024 un ouvrage sur le Shadow, dont il livre ici le message essentiel.

En tant qu’administrateur de l’Adira, association pour le développement de l’informatique en Rhône-Alpes, Thomas Haulotte interviendra lors de la conférence d’ouverture du salon des Carrefours de l'Innovation Numérique et des Métiers (Cinum) qui se tiendra à Lyon les 26 et 27 avril 2023. Plus de 2 500 décideurs IT et métiers sont attendus sur ce salon organisé par IT Facto - groupe dont dépend IT News Info, éditeur de CIO. L’évènement se déroulera à l'Espace Confluence - Eurexpo (Hall 2.2).

Haulotte travaille dans un secteur volontiers traditionnel. Quel rôle joue le numérique dans la stratégie de l’entreprise ?

Thomas Chejfec : Je suis arrivé dans l’entreprise en 2019 au début d’un plan stratégique comportant une forte dimension de digitalisation de l’activité. Le plan en la matière a été structuré en trois phases. D’abord, il s’agissait de remettre à plat les fondamentaux, en déployant des services de base comme Office 365 ou en migrant du MPLS vers le SD-Wan. L’objectif : permettre aux utilisateurs d’appréhender la technologie sous un jour nouveau. Sur ce socle, nous avons ensuite déployé deux autres étapes : la digitalisation du produit d’une part, et la digitalisation des usages des collaborateurs d’autre part.

Quels sont les objectifs de cette digitalisation de vos produits, des matériels d’élévation de personnes ?

Haulotte conçoit et assemble des nacelles qui, jusqu’à récemment, n’étaient pas monitorés. En 2019, une petite équipe en interne a développé une solution autour d’un tracker embarqué permettant de remonter tout un ensemble de données sur la base duquel nous avons bâti des services complémentaires pour nos clients, qui sont souvent des loueurs de matériels. Via un système d’information APIsé, nous leur avons fourni des capacités complémentaires de supervision de leurs flottes, leur permettant de déployer des optimisations dans le transport des machines ou leur durée d’utilisation. Il s’agit d’options activables à distance qui nous permettent de nous distinguer sur le marché, et nous avons sur ce terrain une longueur d’avance sur nos concurrents.

Nous sommes désormais en train d’exploiter ce même tracker pour mettre en place des solutions innovantes de sécurité pour le travail en hauteur. Cinq ou six services complémentaires autour de cette thématique sont en cours de développement, avec pour objectif de prévenir les accidents. Tous les services de l’entreprise sont mobilisés sur le développement de ces services additionnels, la DSI apportant les logiciels embarqués, les solutions de stockage de données et d’analyse. Sachant que les données sont exploitées par nos clients bien-sûr, mais également en interne, par exemple afin de mieux comprendre l’usage réel de nos produits et donc d’adapter nos futures gammes, tout en assurant aussi une anonymisation de nos données.

Comment avez-vous embarqué vos collaborateurs dans ce plan de transformation ?

C’est précisément l’objectif du dernier volet de notre plan. Comme de nombreuses entreprises du BTP, Haulotte affiche une moyenne d’âge élevée, avec des écarts qui ont tendance à se creuser dans les usages que les différentes générations font du numérique. Notre programme baptisé User Centricity vise à y remédier. D’abord via la formation de tous les nouveaux collaborateurs aux outils maison. Nous avons également mis en place des formations courtes de 20 minutes, appelées Digitips et focalisées sur des sujets ultra-précis. Un dispositif prisé des collaborateurs, puisque nous animons 300 à 400 sessions par an. Enfin, nous avons créé Digital Citizen, qui permet à des collaborateurs hors DSI d’accéder à trois niveaux de certifications sur trois thématiques technologiques différentes : la data, le développement et l’infrastructure. Les formations sont assurées par les informaticiens du groupe.

Quels sont les principaux objectifs de ce programme ? S’agit-il d’encadrer le Shadow IT ?

C’est effectivement une façon d’encadrer le Shadow IT. Depuis longtemps déjà, je suis convaincu que lutter contre le Shadow IT est une posture perdante pour un DSI, mieux vaut accompagner ce phénomène en donnant un cadre aux utilisateurs. Par ailleurs, cette approche permet à la DSI de cartographier ce parc applicatif parallèle, émanant des utilisateurs eux-mêmes. Sans oublier le fait que ces applicatifs répondent souvent à des besoins réels. Depuis 18 mois, ce dispositif a permis de bâtir une quarantaine d’applications. Et dans certains cas, de les dupliquer d’un site à l’autre pour répondre à tel ou tel besoin, sans lancer un projet structuré et forcément plus lourd au sein de la DSI. Aujourd’hui, une trentaine de collaborateurs, de tous profils (RH, opérateurs en usines, R&D…), veulent également monter en compétences sur PowerBI. Ce qui équivaut à 6 ETP au sein de la DSI. Autrement dit, c’est comme si j’obtenais une augmentation de 10% des effectifs IT !

Par ailleurs, le dispositif Digital Citizen est doublé d’une initiative ciblée sur des projets plus ambitieux. Un e-lab interne, constitué de trois personnes aux profils complémentaires (IT, R&D et marketing), est chargé de collecter chaque trimestre les idées des collaborateurs visant à améliorer les processus de l’entreprise par la digitalisation. Ce laboratoire fonctionne comme une start-up, avec son budget. Et, chaque trimestre, nous votons pour les projets qui nous apparaissent comme les plus prometteurs. Les vainqueurs rejoignent alors la feuille de route technologique de l’entreprise. Un certain nombre d’idées issues de cette structure sont aujourd’hui déjà parvenues à maturité.

La numérisation de vos chaînes d’assemblage fait-elle également partie des priorités ?

Nous sommes en train de déployer certains des concepts de l’Industrie 4.0 dans une de nos usines, en Chine. Cette évolution de nos pratiques repose notamment sur le déploiement d’un MES. Une fois le standard développé sur ce site, nous le généraliserons à nos autres implantations, en Roumanie, aux Etats-Unis et en France, où le groupe possède deux usines.

Vous témoignez sur le salon Cinum de Lyon au nom de l’Adira, association pour le développement de l’informatique en Rhône-Alpes, dont vous êtes un des administrateurs. Que vous apporte votre participation à ce club ?

D’abord l’Adira permet la rencontre de deux corps de métiers : les DSI d’un côté et les ESN de l’autre. Avec environ 250 membres de chaque côté. En tant que DSI, et autour de mes sujets de prédilection que sont la sécurité, la donnée et la stratégie IT, la structure me permet encore d’échanger avec mes pairs dans un cadre de confidentialité. D’avoir accès à des retours d’expérience ou encore de benchmarker nos pratiques par rapport à celles de nos homologues.