Qui se souvient du plan calcul, lancé par le Général De Gaulle, ou du projet Cyclades de Louis Pouzin ? Peut-être certains de souviennent des plus récents Cloudwatt et Numergy. « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » disait Winston Churchill (d'autres auteurs ont produit d'innombrables variantes sur ce thème). Alors que l'on s'aperçoit, à l'heure autant de la domination des GAFAM que des pénuries de puces d'origines asiatiques, que la souveraineté numérique est bien une nécessité, tirer les leçons de ce passé est donc nécessaire pour éviter de nouveaux échecs. C'est l'ambition de l'ancien délégué à l'informatique, Maurice Allègre, qui publie chez VA Editions « Souveraineté technologique française : abandons et reconquête ».

Le plan calcul portait certes de grandes ambitions, peut-être trop grandes, mais c'est bien un abandon en rase campagne (en vexant au passage les Allemands) qui l'arrêta, pas un échec industriel. « French ordinateurs », paru en 1976, signé par les journalistes Jacques Jublin et Jean-Michel Quatrepoint, racontait déjà ce désastre de l'abandon du Plan Calcul et ce qui allait amener le(s) naufrage(s) de Bull (avant que les débris surnageant ne soient recyclés en 2014 avec un certain succès par Atos) comme l'arrêt du proto-Internet Cyclades de l'IRIA. Maurice Allègre le signale lui-même dans son ouvrage. A quoi bon revenir, en 2022, sur ce sujet ?

Du sabordage aux nouvelles ambitions

En tant que délégué à l'informatique à l'époque, Maurice Allègre était évidemment aux premières loges et son témoignage sur le sabordage du plan calcul est donc de première main. La dédicace « A mes petits-enfants qui aiment bien en général écouter leur grand-père radoter sur ses souvenirs » est trompeuse. La première moitié du livre revient certes sur le détail de l'histoire du plan calcul, sur les renoncements politiques dus à Valéry Giscard d'Estaing et sur les bisbilles entre chefs d'entreprises plus animés par leur égo que par l'esprit d'entreprise et le sens de l'intérêt national. Ceux qui n'ont pas lu « French ordinateurs » y trouveront l'essentiel.

La deuxième partie vise à réhabiliter une politique industrielle européenne. Mais pas n'importe comment. L'objectif de cette partie est bien de tirer les leçons du passé pour définir ce qui conditionne le succès de telles politiques volontaristes en matière industrielle. Maurice Allègre identifie quelques chantiers prioritaires, notamment les puces électroniques, adoptant finalement la même analyse que Nicolas Fournier, DGNUM du Ministère des Armées, dans nos colonnes il y a peu. Le discours autour de l'énergie est plus contestable mais reprend certains poncifs habituels de la technocratie française.

S'il se lit facilement, « Souveraineté technologique française : abandons et reconquête » est trop souvent rédigé d'une manière trop structurée avec force puces. C'est dommage. Mais, en ces périodes de grandes interrogations sur une stratégie de souveraineté industrielle et de campagnes électorales, c'est là une lecture nécessaire et salutaire.