« Il y a une pénurie de développeurs dans la Silicon Valley », assure Sylvain Kalache, installé aux Etats-Unis depuis plusieurs années et co-fondateur avec Julien Barbier et Rudy Rigot de While42, un réseau mondial d’ingénieurs français présent dans 48 villes avec plus de 3 000 membres. Sur ce constat, les trois associés viennent de créer à San Francisco une école qui formera au développement en mode projet sur une large palette de langages de programmation. Sous le nom d’Holberton School, l’établissement ouvre ses portes début 2016, au coeur du quartier des affaires de la ville. 

Signe particulier de l’initiative : les trois fondateurs veulent rendre leur formation accessible à tous, sans niveau d’études spécifique exigé. Le nom retenu pour l’école marque cette volonté de ne pas discriminer à l’entrée. Il fait référence à Betty Holberton, l’une des six programmeuses de l’Eniac (premier ordinateur entièrement électronique) qui s’était vue dissuadée d’entamer des études scientifiques à la fin des années 30, une époque où l’on n’encourageait pas les jeunes femmes dans ce type de carrière. « Nous voulons augmenter la diversité, retirer toutes barrières à l’entrée, ainsi que sur les compétences requises, et réduire le déséquilibre entre hommes et femmes sur ces métiers », nous a exposé Sylvain Kalache, rencontré dans ses locaux du 98 Battery Street, refaits à neuf et prêts à accueillir ses premiers élèves. La rentrée se fera le 22 janvier 2016. Le processus de sélection des candidats se déroule en ce moment même sur Internet, à travers une succession d’étapes. Pour la première promotion de 32 étudiants, le cursus sera gratuit, pour les suivantes, le mode de financement n’a pas été définitivement arrêté. Il devrait y avoir plusieurs rentrées par an. Et si l’école s’adresse à tous, quel que soit le niveau scolaire et la nationalité, il y a néanmoins un préalable à remplir pour l’intégrer : il faut pouvoir vivre légalement aux États-Unis. L’établissement ne peut pas être sponsor de visas pour l’instant.

L’école est situé dans Battery Street près de Market Street, principale rue commerçante de San Francisco, un endroit premium qui coûte cher, mais « nous voulions être situés près de la station du Bart pour permettre les déplacements depuis la banlieue », nous a expliqué Sylvain Kalache. (crédit : D.R. et LMI)

Des locaux lumineux refaits à neuf (crédit : LMI) - Agrandir l'image.

Des algorithmes en C redéveloppés en différents langages

A première vue, le modèle exposé pour Holberton School fait spontanément penser à celui de 42, l’école créée en France par Xavier Niel, le PDG d’Iliad. Interrogé sur ce point, Sylvain Kalache pointe les dissemblances. « La partie project based et le côté peer education sont similaires, mais tout le reste est différent », expose-t-il. « A 42, ils font beaucoup de C et C++, nous aussi, mais nous ne l’aborderons qu’un mois pour vraiment apprendre les bases et puis, très rapidement, dès le 2ème mois, les élèves vont refaire les algorithmes qu’ils ont développé en C avec différents langages de programmation : scripting, orienté objet, fonctionnel, avec des frameworks, etc. et pour chaque algorithme, ils devront choisir au minimum un langage dans chaque type, pour s’ouvrir l’esprit dès le début et être exposés à tout type de programmation, sinon, ils risquent d'être bloqués. On va leur apprendre à utiliser ce qui est disponible dans l'industrie, ce sera le cas pour la programmation, mais aussi pour les web services, les firewalls, etc. ». Il pointe d’autres distinctions importantes. Les écoles conservent un côté très académique, selon lui, avec des projets à rendre aux professeurs, alors que Holberton School veut faire travailler ses étudiants sur des projets de niveau d’entreprise. « Typiquement, ils vont construire un site Internet, en faire le développement, le testing, le shipping, construire la plateforme d’hébergement, la sécuriser et la rendre évolutive, capable de grandir en fonction du trafic. Ils vont aussi être d’astreinte et, ensuite, faire le marketing, la communication, etc. Et ce site sera disponible sur Internet. »

Issus des rangs de LinkedIn, d'Apple et de Docker

Les trois fondateurs d’Holberton School ont travaillé dans l’industrie, tant start-ups que grandes entreprises. Parmi les derniers postes occupés, Julien Barbier a été directeur marketing chez Docker, Rudy Rigot, développeur chez Apple et Sylvain Kalache, ingénieur système chez Linkedin. Ensemble, ils ont déjà mené deux projets, le réseau d’ingénieurs While42 et TakeMeAbroad qui connecte les entreprises technologiques recherchant des candidats souhaitant s’installer à l’étranger. « Nous sommes en relation avec de nombreuses entreprises, directement ou via nos mentors ». A ce jour, l’école a déjà attiré 95 mentors (ingénieurs chez IBM, Salesforce, Netflix, Flickr, Google, Docker...), qui interviendront d’une façon ou d’une autre, de façon très flexible, une journée ou une semaine, pour accompagner le cursus. Certains viendront présenter une technologie open source qu’ils utilisent et travailler dessus avec les étudiants, d’autres souhaitent parler leur carrière ou d’un projet international, faire des sessions de questions/réponses. D’autres encore ont prévu de faire du code review. « C’est du bénévolat, chacun y trouve son intérêt », commente Sylvain Kalache. Par la suite, cette proximité peut aussi faciliter les recrutements des élèves.

Concernant le programme lui-même, celui-ci sera adapté au monde de l’entreprise, souligne l’ancien ingénieur de LinkedIn. Au départ, les étudiants auront des tâches à réaliser avec des indices pour aller chercher eux-mêmes les informations sur un intranet ou en dialoguant avec leurs collègues de classe. « Nous allons fournir cette trame d’exercices et petit à petit, nous donnerons de moins en moins d’informations de base et les élèves devront avoir de plus en plus d’initiatives ». Les fondateurs de l’école endosseront un rôle de coaches et seront en permanence sur le campus, mais ils n’interviendront que si les étudiants sont vraiment bloqués.  

Parmi les investisseurs, Jerry Yang et Solomon Hykes

Le recrutement de la première promotion a été mis en place, en trois étapes. Il teste la capacité des candidats à pouvoir suivre le programme concocté par les fondateurs d’Holberton School et à aller chercher les informations de façon autonome. Les épreuves de sélection comprennent la rédaction d’un blog post sur le site Medium - dans lequel le candidat explique pourquoi il veut devenir « software engineer », intégrer l’école et le monde de la high-tech - ainsi que la réalisation d’une vidéo de présentation à poster sur YouTube. Il faut ensuite construire son propre site web et interagir avec un système Unix. Enfin, un entretien par Skype ou en vis-à-vis permettra de voir si la personnalité de l’étudiant et sa motivation correspondent à la culture de l’école.

Du côté de son financement, Holberton School a déjà convaincu un certain nombre d’investisseurs connus dans la baie de San Francisco, sociétés de capital risque et indépendants, tels que Trinity Ventures, AME Cloud Ventures, Partes Ventures, mais aussi Jerry Yang, fondateur de Yahoo, Jonathan Boutelle, co-fondateur de Slideshare et Solomon Hykes, co-fondateur de Docker. Le mois dernier, plus d’un millier de personnes s’étaient déjà enregistrées pour se soumettre aux tests de sélection en ligne proposés par Holberton School, parmi lesquelles de nombreuses candidates. La première année, les étudiants feront un stage de six mois après neuf mois à l’école, et la deuxième année, il y aura deux jours en alternance. Il ne reste plus que deux mois désormais avant la première rentrée.