C'est en février dernier, au cours d'une réunion secrète du Law Enforcement Working Party (LEWP), qu'a été évoquée la création d'une «frontière virtuelle Schengen. » Ce groupe de travail au sein du Conseil Justice et affaires intérieures de l'Union européenne, composé de représentants de tous les Etats membres de l'UE, a repris, depuis le 1er juillet 2010, les activités de l'ancien groupe « Police Cooperation Working Party » et celles du groupe de travail d'Europol « Europol Working Party », deux entités impliquées dans la lutte contre la criminalité. Selon leur plan, dans cette zone, équivalent virtuel de l'Espace Schengen, les FAI joueraient le rôle de douaniers en bloquant « les contenus illicites » venant de l'extérieur. Le Conseil de l'Union européenne, organe législatif et décisionnel de l'UE, n'a pas précisé ce que ces représentants entendaient par « contenu illicite », mais a évoqué l'éventualité d'une liste noire.

Les groupes de défense ont comparé ce projet aux méthodes musclées employées par la Chine pour contrôler l'accès au Web dans le pays. « Cette proposition servira de justification à toutes les mesures répressives prises par tout régime non démocratique dans chaque partie du monde. Le seul fait d'avoir pu tenir une réunion pour discuter de ce projet rend légitime une proposition tout à fait illégitime, » a déclaré Joe McNamee du groupe européen des droits numériques EDRi. « Le plus absurde, compte tenu du prix en terme de démocratie, de liberté d'expression et même d'économie, c'est qu'il n'existe aucune analyse sur les avantages que les architectes de cette folie pensent tirer, même à tort, de telles mesures. »

Des échappatoires pour les plus malins

D'autres critiques mettent l'accent sur l'impossibilité de la mise en oeuvre d'un tel projet. « Ils n'ont qu'à voir la perméabilité du Grand Firewall Chinois et les coûts énormes qui ont été engagés pour sa création et son perfectionnement. D'autant plus que les listes noires ne fonctionnent pas, » a déclaré sur son blog l'auteur spécialisé en technologie Glyn Moody. « Même si elle a travaillé sur le sujet, il est inadmissible que l'Union européenne puisse envisager d'y recourir sans la moindre précaution. » Celui-ci fait remarquer par ailleurs que les internautes peuvent facilement utiliser un proxy pour contourner le filtrage et que les sites Web « illicites » sont capables de modifier leurs adresses IP beaucoup trop rapidement pour maintenir une liste noire à jour. Ce qui l'amène à qualifier les politiciens à l'origine de ce projet de « crétins ignares. » Sans parler du risque que des sites hors de tout soupçon se retrouvent régulièrement blacklistés. En Australie, où un projet de filtrage similaire a été proposé, le ministre des Technologies, Stephen Conroy, a publiquement admis qu'il y avait une raison réelle de s'inquiéter des dérives d'un tel système et de le voir empiéter sur d'autres contenus.