Spécialisée dans les solutions de cartographie en ligne, la société française Bottin Cartographes (anciennement Planfax) a assigné Google France et Google Inc en juillet 2009 pour pratique de prix abusivement bas et abus de position dominante. Le tribunal de commerce de Paris vient de lui donner raison et de condamner Google à lui verser 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'ensemble des préjudices subis (cf le jugement du 31 janvier 2012, diffusé via Twitter par Benoît Tabaka, secrétaire général du Conseil national du numérique).

Les cartes réalisées par Bottin Carto sont destinées à être intégrées aux sites web de ses clients, parmi lesquels des collectivités locales, de grandes enseignes de la distribution, du secteur immobilier, de la restauration ou de la banque. Elles servent notamment à localiser des adresses, par exemple un réseau de magasins ou d'agences bancaires. Face à lui, le moteur de recherche géographique Google Maps, accessible gratuitement sur Internet, se complète d'interfaces de programmation (API) pour insérer des services de localisation dans des applications. Le problème réside dans le fait que les API, vendues aux entreprises pour un usage intranet, sont gratuites lorsqu'elles sont utilisées par ces clients sur leurs sites Internet.

Des développements sur mesure

« Ce que nous demandions surtout, c'est l'application d'un business model clair et transparent et d'un meilleur respect des règles de la concurrence », explique Dorothée Mani, directrice générale adjointe de Bottin Carto, contactée par la rédaction du Monde Informatique. « Il existe deux grands modèles, soit un financement par la publicité d'un service gratuit proposé sur le web, soit, dans notre cas, un service payant », rappelle-t-elle en soulignant que ce n'est pas le portail Google Maps qui est en cause mais les API à destination des entreprises. « Ces interfaces de programmation permettent aux entreprises d'intégrer dans leurs applications des fonds de cartes expurgés de toute publicité. Or certaines de ces API étaient fournies gratuitement, sans publicité, alors même qu'elles supposent un coût. Il y a une confusion entre le portail grand public, financé de façon loyale par la publicité et les API gratuites. »

Dorothée Mani souligne que Google bénéficie de son moteur de recherche, dont la prédominance n'est pas remise en cause, pour valoriser son service de cartographie. La dirigeante rappelle que des sociétés comme ViaMichelin, Maporama et Mappy se sont déjà écartés de la cartographie B-to-B. « Nous sommes les seuls à nous y maintenir. Nous pouvons le faire parce que nous innovons et que les solutions développées par nos ingénieurs sont proposées avec un accompagnement important et beaucoup de sur-mesure (Bottin Carto fait partie du pôle de compétitivité Systematic). Nous portons une attention toute particulière à la confidentialité des bases de données de nos clients avec des tarifs qui sont transparents. Certains de nos clients, notamment dans le secteur bancaire, sont très sensibles à la gestion de leur base de données d'implantation et à la confidentialité de leurs données. »

Google veut faire appel du jugement

Bottin Carto estime aussi que ce jugement est sans précédent, notamment car le tribunal va jusqu'à pointer dans ses attendus la pratique de gratuité de Google. Ainsi peut-on lire dans le jugement que cette pratique « a manifestement vocation à optimiser à terme la commercialisation de publicités ciblées, attendu en effet qu'une fois la concurrence évincée, rien n'empêchera l'application des conditions contractuelles prévues depuis l'origine et partant l'insertion de publicités sur les cartes web obtenues gratuitement via Google Maps API. »

Le tribunal considère par ailleurs que Google a pratiqué des prix abusivement bas et qu'il a bien profité de sa position dominante. Ce jugement ne semble pas avoir entamé la position stratégique de Google. La société fondée par Sergey Brin et Larry Page a en effet décidé de faire appel. « Nous sommes convaincus qu'une cartographie gratuite de grande qualité est bonne pour les sites web et les utilisateurs et nous continuerons à faire face à une forte compétition dans ce domaine », a déclaré par e-mail un porte-parole du groupe américain.