Plus le dossier Hadopi progresse, plus le traitement qu'en fait le gouvernement ressemble à un condensé de mauvaises pratiques et de méconnaissances juridiques. Après le revers cinglant des députés le 9 avril et l'oeuvre sanglante du Conseil constitutionnel, l'exécutif pensait retomber sur ses pieds et rassurer artistes et industriels de la culture en imaginant un traitement expéditif des contrevenants. En évoquant le recours à des ordonnances pénales - comme pour les infractions au code de la route, c'est-à-dire sans comparution du contrevenant devant un juge - le gouvernement pensait convaincre de son inextinguible volonté de réprimer coûte que coûte le non respect du droit d'auteur. La réalité juridique risque néanmoins de contrarier les plans de Christine Albanel et de ses collègues du gouvernement. C'est du moins ce qu'indique le très didactique avocat-blogueur Maître Eolas, qui rappelle que la procédure basée sur l'ordonnance pénale n'est applicable que pour les délits dont la constatation ne souffre guère de doute. En matière de contrefaçon sur Internet, cela est loin d'être le cas : « il faut que le parquet apporte la preuve que l'oeuvre était protégée, que le téléchargeur savait qu'il téléchargeait une oeuvre protégée, et tout simplement identifier le téléchargeur, ce que l'adresse IP ne suffit pas à établir », souligne l'avocat. La seule constatation d'un téléchargement illégal et son signalement par l'Hadopi ne devraient donc pas suffire au juge judiciaire pour qu'il se penche sur l'affaire, les preuves étant insuffisantes. Par ailleurs, les ordonnances pénales ne peuvent être appliquées aux mineurs, qui représentent pourtant une part importante des contrefaçons en ligne. La portée de la loi s'en trouverait par conséquent encore plus réduite. Surtout, maître Eolas note que le code de procédure pénale éteint la possibilité pour une victime de demander des dommages-intérêts si une procédure d'ordonnance pénale est lancée. En d'autres termes, en cherchant à punir avec célérité les téléchargeurs, le gouvernement s'apprête à interdire au monde de la culture d'être indemnisé pour les atteintes faites à ses droits. C'est l'exact inverse des arguments inlassablement répétés par les membres de la majorité présidentielle pendant les débats parlementaires, qui répétaient à l'envi que la loi Hadopi devait rapporter aux créateurs. « Il y a pire ennemi des artistes que les pirates, note le blogueur avec malice : c'est l'Etat qui veut les protéger. »