La spintronique, une abréviation pour « électronique de spin ou magnétoélectronique », exploite la propriété quantique du spin des électrons dans le but de stocker des informations. Elle utilise le spin naturel des électrons dans un champ magnétique en combinaison avec une tête de lecture/écriture pour inscrire et lire des bits de données sur un matériel semi-conducteur. En modifiant l'axe d'un électron vers le haut ou vers le bas - selon l'espace dans lequel il se situe - les physiciens savent transcrire sa représentation en bits de données. Par exemple, un électron sur un axe vers le haut est un 1, et un électron sur un axe vers le bas est un 0. Mais la spintronique est depuis longtemps confrontée à un problème intrinsèque : les électrons ne peuvent se maintenir dans une position « vers le haut ou vers le bas » que pendant 100 picosecondes seulement, soit un millième de milliardième de seconde (1/1000 de la nanoseconde). Cette durée est insuffisante pour permettre un cycle de calcul complet. D'autre part, les transistors n'ont pas le temps de terminer leur tâche de calcul et le stockage des données n'est pas persistant.

Dans l'article à paraître dans la revue Nature, IBM Research et le Laboratoire de Physique des Solides de l'ETH de Zurich annoncent qu'ils ont trouvé un moyen de synchroniser les électrons, ce qui pourrait prolonger la durée de vie du spin de 30 fois, soit 1,1 nanosecondes, le temps qu'il faut pour un processeur de 1 GHz pour réaliser un cycle de traitement. Pour y parvenir, « les scientifiques d'IBM ont utilisé des impulsions laser ultracourtes qui permettent de contrôler l'évolution de milliers de spins d'électrons créés simultanément dans un espace très petit », explique Gian Salis, co-auteur de l'article et chercheur de l'équipe Physics of Nanoscale Systems chez IBM Research.

Contrôler la rotation des spins 

Habituellement, dans ces spins, le sens de rotation des électrons est aléatoire et ils perdent rapidement leur orientation. Dans leur travaux, les chercheurs d'IBM et de l'ETH ont trouvé, pour la première fois, la façon d'organiser les spins en une sorte de séquence régulière, dite hélice de spin persistante. « Le concept du verrouillage de la rotation du spin existe en théorie depuis 2003 », explique Gian Salis. « Depuis, quelques expériences ont permis de se rapprocher de ce mode de verrouillage, mais, jusqu'à aujourd'hui, le processus n'avait jamais été observé directement », a-t-il ajouté. « Les rotations de direction de spin ont été complètement dissociées», déclare encore le chercheur. « Maintenant, nous pouvons synchroniser cette rotation, de sorte que les électrons ne perdent pas leur spin, mais nous sommes aussi capable de les faire tourner comme des danseurs, et dans une seule direction ».  Les chercheurs d'IBM ont utilisé l'arséniure de gallium, qui sert couramment aujourd'hui de semi-conducteur primaire en électronique pour les diodes et les cellules solaires.

La technologie informatique actuelle consiste à encoder et à traiter les données en fonction de la charge électrique des électrons. Cependant, selon les chercheurs, cette technique atteint ses limites quand la taille du semi-conducteur diminue au point où le flux d'électrons ne peut plus être contrôlé. Par exemple, les produits à mémoire flash NAND utilisent déjà des circuits dont la taille est inférieure à 20 nanomètres, proche de la taille atomique. La spintronique pourrait surmonter cette impasse mémoire en exploitant le spin des électrons au lieu de leur charge. Cette nouvelle compréhension de la spintronique peut non seulement donner aux scientifiques un contrôle sans précédent sur les mouvements magnétiques à l'intérieur des appareils, mais ouvre également de nouveaux champs pour créer des appareils électroniques plus performants sur le plan énergétique.

Des physiciens français également à la pointe de la spintronique

IBM n'est pas seul à mener des recherches dans ce domaine. Il y a trois ans, des physiciens de l'Institut de Physique et de Chimie des matériaux de Strasbourg ont mis au point une nouvelle technologie laser ayant pour support la spintronique, ce qui leur avait valu de remporter le prix Nobel de physique 2007. Les physiciens français ont découvert une manière d'utiliser le laser pour accélérer le stockage I/O sur les disques durs jusqu'à 100 000 fois, comparativement aux méthodes de lecture/écriture actuelles. Un des problèmes de l'électronique de spin est lié à la lenteur des capteurs magnétiques utilisés pour détecter les bits de données. Mais dans leurs travaux réalisés en 2007, et publiés dans la revue scientifique Nature Physics, l'équipe de chercheurs français a utilisé un laser «Femtoseconde», capable de produire des rayons laser ultra-rapides qui modifient le spin de l'électron, accélérant ainsi le processus de lecture/écriture.

Selon les chercheurs d'IBM, leur découverte ouvrait la voie à la création de transistors et de systèmes de stockage non volatiles, qui utiliseront beaucoup moins d'énergie que la technologie flash NAND actuelle.