Chaque année, les CTO du cabinet Deloitte font remonter de leurs missions de terrain les évolutions technologiques qui progressent au niveau mondial dans les esprits et les projets. Les plus significatives sont présentées dans son rapport Tech Trends dont l’édition 2016 vient de sortir(*). Un bref retour sur le rapport Tech Trends 2015, publié il y a un an, montre que le potentiel économique des API avait été fort justement mis en avant. « Cela a représenté une véritable tendance de fonds », a confirmé ce matin Sébastien Ropartz, associé, responsable de Deloitte Digital, lors d’un point presse. « L’économie des API est un point très important, avec des entreprises qui ont revu l’interface de leurs applications pour mettre en place de nouveaux business models ou pour gagner en souplesse. En revanche, nous nous sommes trompés sur la tendance dimensional marketing à base de DMP [Data management platform]. La technologie est mûre mais l’usage n’est pas encore au rendez-vous », estime-t-il. Pour l’année en cours, Deloitte a dégagé huit nouvelles tendances dont certaines viennent confirmer le déploiement de technologies déjà bien connues.

1 – Trouver la bonne vitesse IT

Cette tendance aurait pu être rebaptisée « La fin des fondamentalistes », suggère Sébastien Ropartz. « Ces dernières années, il a été beaucoup question d’agilité, de cycle en V, d’informatique bimodale. Cela a créé une fracture entre anciens et modernes, mais a fonctionné un certain temps car un certain nombre de projets étaient hors sol », décrit l’associé de Deloitte. Les DSI se sont imposé une pression pour travailler toujours plus vite et les métiers n’arrivent pas toujours à suivre cette vitesse. « Avec l’approche itérative du mode agile, par exemple, on peut se retrouver avec un dernier sprint colossal qui ramène dans un cycle en V », constate S. Ropartz. De plus en plus, donc, les DSI n’appliquent plus le même cycle de développement à tous les projets. Un nombre croissant de CIO veulent pouvoir s’organiser à la fois en cycles de développement traditionnels et en cycles courts, et pouvoir aussi « se positionner à tous les niveaux entre ces deux extrêmes pour garantir une réactivité adaptée aux enjeux du métier », note le rapport Tech Trends 2016. Cette tendance Right Speed IT indique que la réactivité doit être adaptée aux enjeux métier et tenir compte du patrimoine applicatif sur lequel le projet se greffe en respectant les contraintes temporelles, techniques et fonctionnelles. Par où commencer pour dépasser l’approche binaire qui oppose le mode agile aux cycles en V ? Deloitte conseille d’établir le rapport d’activité de la DSI, de ne pas tomber dans l’effet de mode, de diffuser une culture de l’innovation, de profiter de l’intelligence collective et ... de maintenir le cap.

2 – Réalité virtuelle et augmentée dans l’usine

La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont là depuis longtemps et beaucoup de choses se sont déjà faites, notamment dans le monde B2C et le marketing avec parfois des projets un peu décalés. Mais certains éléments, dont le rachat d’Oculus VR par Facebook, ont montré qu’il s’agissait d’une tendance majeure. « On entre maintenant dans le B2B et l’industriel. C’est une sorte de prolongation de la transformation digitale », selon Sébastien Ropartz. Cela représente un potentiel énorme dans les entreprises pour refondre les processus métiers et, même, transformer l’expérience client avec des modes d’interaction naturelle utilisant la posture, les gestes et le regard. Dans l’industrie, on voit des salles immersives pour former les techniciens sur les opérations de maintenance et les usines sont équipées de capteurs pour créer des doubles virtuels du site afin que les interventions de maintenance puissent se faire en réalité augmentée. Deloitte conseille de ne pas attendre que le marché se stabilise pour commencer les tests avec des partenaires. Une mise en garde toutefois, sur les conséquences en termes de gouvernance sur la communication entre le système d'information et le SI industriel, pointe Sébastien Ropartz. Le rapprochement de ces deux mondes implique une ouverture qui peut introduire des problèmes de sécurité et générer des failles.

3 – Passer à l’action sur l’Internet des objets

5,5 millions de nouveaux objets devraient se connecter au réseau chaque jour en 2016. L’accélération est énorme, due à la chute drastique des coûts et à la généralisation du smartphone, et les entreprises cherchent à créer de la valeur et de nouveaux services à partir des données collectées qui viendront alimenter de gigantesques data lakes. « Nous sommes passés des PoC** aux services opérationnels », note Henri Pidault, Chief Technology Officer de Deloitte France qui évoque les outils de traitement de masse disponibles sur les clouds de Google ou d’Amazon, notamment, ce qui permet à des start-ups de démarrer rapidement. La valeur se crée sur l’ensemble de la chaîne, note le CTO, avec des processus existants que l’on va pouvoir accélérer. « On peut aujourd’hui faire des PoC assez facilement, par exemple avec le réseau basse consommation de Sigfox qui a une infrastructure établie, ce qui fait son succès ». Concernant l’infrastructure réseau de l’IoT, il faut choisir sa technologie en fonction du type d’objets, bas débit (Sigfox ou LoRa) ou haut débit (3G/4G) et des besoins.

4 – La refonte du SI cœur de métier

« C’est la tendance la moins glamour du rapport », reconnaît Stéphane Ropartz. Pour autant, elle pointe un risque réel, l’obsolescence. Face à la transformation accélérée des métiers, l’ensemble du SI doit évoluer en profondeur alors que les technologies (cloud, mobile…) requièrent une intégration de plus en plus forte des applications cœur de métier avec des systèmes externes, pointe Deloitte. Cette modernisation est déjà à l’agenda de nombreuses DSI qui n’ont plus le choix, constate le cabinet. Pour la concrétiser, il conseille d’abord d’avoir un business case qui puisse démontrer clairement l’intérêt de la transformation et pour en faire baisser la facture, il existe des outils qui automatisent la reprise de code. L’infrastructure sous-jacente devrait aussi être revisitée, selon Deloitte.

5 – L’ère des plateformes autonomes

Avec l’approche « build one, deploy anywhere » , l’IT « pourrait bientôt concevoir des architectures massivement virtualisées, gérées par des outils de supervision et d’optimisation de dernière génération », expose le rapport Tech Trends 2016. En s’appuyant d’un côté sur la virtualisation, de l’autre sur les approches DevOps pour améliorer les interactions entre les équipes et gérer les priorités, les entreprises pousseraient un cran plus loin l’automatisation. Ces plateformes autonomes pourraient allouer ou déplacer des ressources et des capacités en temps réel, de manière fluide, en les répartissant efficacement entre le cloud et les infrastructures sur site. Parmi les options, Deloitte évoque l’utilisation des technologies de conteneurs pour basculer vers des plateformes autonomes et suggère de migrer application par application « en étant conscient que certaines ne pourront pas passer sur ces nouvelles plateformes et disparaîtront ». Au-delà de la virtualisation, des investissements supplémentaires doivent être envisagés dans l’autoconfiguration, l’auto-optimisation et l’auto-réparation, avance aussi le cabinet.

6 – Analytique : du Data Lab à la Data Fabric

Ou comment industrialiser les projets analytiques. « Ces trois dernières années, on a vraiment franchi la vague de sensibilisation sur les données vues comme un patrimoine, notamment au sein des Comex », établit Stéphane Ropartz. Il y a eu beaucoup de PoC qui ont montré comment on pouvait faire parler ces données avec, là aussi, quelques projets « hors sol » sauf dans les secteurs où les entreprises arrivent à exploiter leurs données depuis des années déjà. A cela s’est ajouté le profil mystérieux du data scientist, difficile à identifier, mais autour duquel s’est créé, sur les questions de recrutement, une sorte de mercato avec quelquefois des prix phénoménaux. Les Comex ont été habitués à des PoC pas trop chers et, jusqu’à présent, « peu d’organisations ont investi dans les ressources, compétences et processus requis pour transformer les gisements de données en information stratégique », pointe le rapport Tech Trends 2016. Les éditeurs ont pris leur part dans le marché de la donnée et industrialiser les projets analytiques devient possible avec les outils disponibles. Mais pour le faire, il faut aussi prendre en compte la gestion des données de référence (MDM, master data management) qui présente « la même complexité que les projets ERP et les mêmes coûts », fait remarquer l’associé de Deloitte. Le cabinet suggère de sélectionner des projets réalistes en proximité avec les métiers pour prioriser les cas d’usage à forte valeur ajoutée. Il conseille par ailleurs de repenser sa stratégie de gestion des talents en allant chercher des compétences « où elles se trouvent », notamment dans les écoles et les start-ups.

7 – Blockchain : potentiel et limites

La technologie qui sous-tend le bitcoin est la dernière coqueluche en date, à l’étude un peu partout, banques et fournisseurs IT en tête. Et c’est aussi dans l’agenda des DSI, indique Henri Pidault. « Certains d’entre eux font des PoC ». Blockchain se présente comme un registre distribué qui enregistre et partage de façon publique des transactions ou des contrats dans une chaîne de blocs dont chaque membre maintient sa propre copie, tous pouvant voir l’ensemble de l’historique transactionnel, rappelle Deloitte. « Le vrai changement de paradigme, c’est de remplacer le tiers de confiance unique – entreprise, Etat – par une communauté et du chiffrement », pointe le CTO qui souligne par ailleurs la puissance de calcul nécessaire pour fabriquer de nouveaux enregistrements et garantir que l’information ne peut pas être cassée. Deloitte conseille de chercher sur quels types de transactions – coûteuses, lentes ou incertaines - la blockchain pourrait être efficace et de comprendre aussi les limites de la technologie.

8 – L’impact social des technologies exponentielles

La dernière tendance du Tech Trends porte sur la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises compte-tenu de l’impact sur la population mondiale des technologies qui se développent de façon exponentielle et sont susceptibles d’affecter en bien ou en mal la vie quotidienne. Des technologies telles que l’impression 3D, l’intelligence artificielle, la robotique avancée, la réalité virtuelle et augmentée, les biotechnologies, etc. Cette dimension RSE peut jouer un rôle important dans l’image de marque de l’entreprise. Aujourd’hui, certaines d’entre elles l’intègrent pour concevoir des produits différenciés et établir une chaîne d’approvisionnement durable, mais aussi pour explorer de nouveaux marchés et attirer certains talents.

(*) Tech Trends 2016, Innovating in the digital area

(**) PoC : Proof of concept, test de faisabilité.