Depuis le mois d’octobre, les propriétaires de véhicules Tesla peuvent activer une fonction de « pilotage automatique » implémentée par le constructeur avec la v7 du logiciel de la voiture. Il n’a pas fallu attendre très longtemps pour voir apparaître sur Internet des vidéos montrant ce que les conducteurs peuvent faire quand ils ne conduisent pas. Par exemple, aller s’asseoir sur le siège passager, et abandonner tout contrôle sur le véhicule. Ces cascades sont stupides, mais elles illustrent les inquiétudes déjà exprimées par certains sur l’usage croissant des technologies dans les voitures autonomes : si le véhicule se conduit automatiquement, le conducteur va-t-il continuer à faire attention à la route ? Sur ce point, les recommandations de Tesla sont on ne peut plus claires : « le conducteur doit rester vigilant et concentré quand le pilotage automatique est engagé » et « il doit garder les mains sur le volant ». Mais c’est plus facile à dire qu'à faire. Grâce aux marquages, l’AutoSteer de Tesla maintient le véhicule sur sa voie de circulation et le système fonctionne même dans les virages, si bien que le conducteur n’a rien d’autre à faire que de regarder le paysage. « On s’ennuie et il faut vraiment lutter pour rester attentif à la route », reconnaît même Stephen Casner, un chercheur en psychologie de la NASA, qui a passé plusieurs années à étudier les effets du pilotage automatique dans les avions et travaille maintenant sur son application dans les voitures.

Confiance dans la technologie

Quand Google a proposé à ses salariés de venir travailler en utilisant son prototype de véhicule autonome, il a fait le même constat : le conducteur cesse rapidement de faire attention à la route. Sur l’autoroute, alors que le véhicule roule à plus de 100 km/h, certains n’hésitent pas à passer à l’arrière pour accéder à la prise qui leur permet de recharger leur mobile. « Quand ils voient que ça marche, les gens font très vite confiance dans la technologie. Il leur est difficile de rester concentré sur la conduite alors que tout les incite à lâcher prise et à se détendre », a écrit le géant de la recherche dans un récent rapport. Mais, en l’état actuel, la conduite automatique ne permet pas aux « conducteurs » de se détendre. Certes, l'ordinateur fait un assez bon travail de pilotage, mais il y a des situations où il ne peut pas comprendre ce qui se passe. Par exemple, si le véhicule perd de vue les marquages au sol, le conducteur doit réagir et reprendre la main rapidement.

 

Un véhicule autonome de Google roulant près du siège de l'entreprise à Mountain View, en Californie, le 29 juin 2015. (Crédit Martyn Williams)

« Nous disons aux conducteurs : nous ne voulons pas que vous fassiez cela, mais nous voulons que vous fassiez comme si vous étiez en train de conduire », a expliqué Stephen Casner de la NASA. « Ce n’est pas une situation très naturelle ». La première fois qu’il s’est retrouvé au volant d’un véhicule autonome sur l’autoroute, il s’est lui aussi senti rapidement à l'aise avec la technologie. « Une chose m’a frappé, cependant : je me suis rendu compte à quel point j’étais vulnérable dans cette situation, si je devais intervenir rapidement ou simplement arrêter le véhicule », a-t-il déclaré. D’après une étude récente réalisée par la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) avec le soutien des constructeurs d'automobiles, certains conducteurs ont mis 17 secondes pour reprendre le contrôle du véhicule à la demande du système autonome. C’est très long. Surtout sur une autoroute, où la vitesse est rapide, et où conducteur ne dispose pas d’autant de temps pour réagir.

La distraction guette le conducteur

Beaucoup de tests ont montré que les conducteurs avaient du mal à rester concentrés quand la conduite devenait monotone ou quand ils n’avaient rien à faire. On s’en rend compte aussi aux feux rouges où un grand nombre de conducteurs regardent leur smartphone. Mais l'ennui pousse certaines personnes à un comportement bien plus risqué. Une enquête réalisée auprès d’étudiants du Dakota du Sud a montré que pour eux le multitâche était la norme. Les étudiants ont l’habitude de circuler pendant des heures sur de longues routes droites peu fréquentées au volant de voitures normales. « Comme ils ne ressentent pas le besoin évident de se concentrer sur la route, ils font autre chose : ils rédigent des textos, lisent leurs cours, visionnent des films et ont même des relations sexuelles », a déclaré Cindy Struckman-Johnson, professeure à l'Université du Dakota du Sud. « Il est même étonnant qu'ils n’aient pas eu plus d'accidents », a-t-elle ajouté.

 

La Highway Teammate de Toyota est une Lexus GS modifiée. Elle sert de véhicule test au constructeur pour la conduite autonome. (Crédit Toyota Motor)

Dans une étude réalisée en 2014, 33 % des hommes et 9 % des femmes de l'université ont dit qu’ils avaient déjà eu des rapports sexuels pendant un trajet en voiture. Environ la moitié de ces relations ont eu lieu à des vitesses comprises entre 90 et 130 km/h, et plus d'un tiers des étudiants interrogés ont rapporté qu’il arrivait que le véhicule dévie sur une autre voie, ou que le conducteur accélère sans regarder la route. Cindy Struckman-Johnson est préoccupée : elle pense que les systèmes de pilotage automatique ne vont pas améliorer les choses. Selon elle, les conducteurs vont se laisser de plus en plus distraire et vont prêter encore moins attention à la conduite et à la route.

Un nouveau type d'accidents

La technologie de conduite autonome est trop récente et il n’y a pas encore d’exemple d'accidents majeurs provoqués par des conducteurs distraits. Mais cela risque d’arriver bientôt. « Je pense que, dans peu de temps, cette distraction extrême au volant de véhicules autonomes va provoquer des accidents », a déclaré l’enseignante. « La voiture va devenir complice de l'accident ».

« Quand ces accidents se produiront, il est important que les gens ne réagissent pas de façon excessive et concluent que les voitures autonomes ne sont pas sûres », a déclaré pour sa part Stephen Casner de la NASA. La technologie promet de mettre quasiment fin à toutes les collisions survenant par l'arrière - l’accident type le plus courant - et elle pourra sauver des vies dans d'autres situations. « Je crains qu’un grave accident avec une voiture autonome ne déclenche un tas de réactions négatives, même si des milliers de vies ont pu être sauvées. La réaction sera excessive. Certains diront que la victime a été tuée par un ordinateur », a-t-il déclaré.

 

Dévoilé lors du Salon de Tokyo le 28 octobre 2015, le concept-car IDS de Nissan est un véhicule électrique autonome. (Crédit Nissan)

Pour l'instant, les chercheurs n’ont pas encore trouvé la solution pour maintenir l’attention des conducteurs, faire en sorte qu’ils restent concentrés sur la circulation et qu’ils soient prêts à reprendre le contrôle du véhicule en cas de besoin, que ce soit après quelques minutes ou après plusieurs heures de conduite en pilote automatique. « Les compagnies aériennes ont été confrontées à ce même problème et elles cherchent encore la solution », a déclaré Stephen Casner. Et pourtant, le pilotage automatique existe depuis presque 30 ans sur les avions. La différence, c’est que dans un avion, les pilotes disposent souvent d’une minute ou plus pour comprendre ce qui se passe avant que l'avion ne soit en danger. Les automobilistes auront beaucoup moins de temps pour réagir. Ce qui explique l'inquiétude.

« Avant que les véhicules ne deviennent totalement autonomes, et avant que les conducteurs puissent se détendre complètement au volant, Stephen Casner propose de leur donner des choses à faire. Mais personne ne sait encore vraiment quelles tâches leur assigner pour maintenir la vigilance. Pour l'instant, Tesla a déclaré qu’il allait rendre le pilotage automatique restrictif et que celui-ci ne pourrait pas être activé n’importe quand. Le constructeur n'a pas encore donné de détails sur ces adaptations. Il faut espérer que l’une des contraintes impose au moins au conducteur d’être assis dans le siège du conducteur quand le système est activé. Le jour de la communication des résultats financiers de l’entreprise, Elon Musk, le CEO de Tesla Motors a regretté que « certaines vidéos publiées sur YouTube soient aussi folles ».