Areva, le spécialiste de l'énergie nucléaire, a été créé en 2001 par la fusion de CEA Industrie, Cogema, Framatome, ANP et FCI. Dans un contexte devenu compliqué, cette entreprise doit gagner en agilité pour répondre à trois impératifs : répondre aux interrogations des clients (souvent politiques) dans un contexte post-Fukushima, poursuivre l'innovation et préserver ses savoirs sur des projets qui mobilisent plusieurs générations d'ingénieurs. Le recours à des outils sociaux a été une des clés de son évolution.

« Nous avons une tradition de grande verticalité mais nous devions gagner en rapidité et en capacité à faire réfléchir beaucoup de gens en même temps sur des questions complexes » soupire Martin Roulleaux-Dugage, vice-président innovation, expertise et knowledge management d'Areva. Autant la réponse à des questions purement techniques ne posaient pas de vrai problème, autant la réponse à des inquiétudes politiques suite à Fukushima ne mobilise pas du tout les mêmes processus. En effet, dans ce dernier cas par nature peu bordé, il convient d'associer des expertises très diverses et les délais sont très contraints.

Transmettre les savoirs entre générations

Cette nécessaire rapidité est en opposition totale avec la réalité des projets industriels dans le secteur. En effet, il n'est pas rare qu'un projet soit mené par plusieurs générations successives d'ingénieurs. Il en résulte un impératif de conservation et de maîtrise des savoirs et des expériences acquises. Or, comme l'observe Martin Roulleaux-Dugage, « par soucis de réduction des coûts, nous avons supprimé une habitude qui datait de Framatome de rédiger systématiquement des notes de formation classées dans la bibliothèque de l'entreprise par les ingénieurs dès qu'ils terminaient un projet ». Il est vrai qu'une telle démarche prenait un temps certain, avec un coût associé non-négligeable.

La démarche a donc été reprise mais sous la forme d'un wiki, un « nucleopedia », qui assemble les savoirs anciens et les pratiques nouvelles. Ce sont les « jeunes » qui ont officiellement été chargés de la mise en oeuvre de ce wikipedia du nucléaire, en y incluant également les anciens référentiels de la bibliothèque. A côté de ces « jeunes », des « anciens », retraités, ont été rappelés avec un contrat particulier pour contribuer à certaines communautés afin d'intégrer des travaux datant des années 80.

Reconnaître les experts en dehors d'un rôle de management

L'objectif des outils sociaux mis en place chez Areva n'est pas de relier des individus mais de faciliter l'échange et la préservation de l'information. « Dans une entreprise, un réseau social d'individus a peu d'intérêt : l'intérêt est de connecter entre eux des groupes de travail ou des objets-projets avec des gens » stipule Martin Roulleaux-Dugage. La démarche ne s'appuie pas sur le seul outil implémenté, en l'occurrence Hipe de Hipe Software. Elle inclut une manière différente de beaucoup d'entreprises pour gérer les carrières. Il existe ainsi une filière management (classique) et une filière expertise. « L'expert est garant du savoir, son influence est donc liée à sa reconnaissance par ses pairs » souligne Martin Roulleaux-Dugage. Ces experts animent des communautés de pratiques.

Malgré tout, même si le coût de cette démarche est plus faible que l'ancienne procédure, le coût existe bien. Martin Roulleaux-Dugage reconnaît : « financer un tel projet en période de restrictions est un réel problème. » Malgré l'adage « on ne mesure pas le ROI des toilettes à l'étage, on en a juste besoin », la question de la préservation des savoirs industriels fait donc toujours débat. De fait, le coût du projet n'a pas été communiqué. La démarche wiki a aussi l'avantage de distinguer ce qui fait consensus de ce qui se discute encore. « Dans le wiki, ce qui fait consensus devient le standard de pratique, ce qui ne fait pas consensus est maintenu sous forme de discussion » observe Martin Roulleaux-Dugage.