La 12ᵉ édition du congrès Big Data & AI Paris ouvre ses portes aujourd'hui au Palais des Congrès de Paris. Au programme un peu plus de 350 interventions avec 250 entreprises exposantes et 16 000 participants attendus sur deux jours précise l’organisateur. Au centre de toutes les discussions : le big data et l’intelligence artificielle. Cette dernière qui fait tant parler d’elle ces derniers temps a d’ailleurs fait l’objet d’une longue discussion lors de l’ouverture de l’événement. Et pour en parler, c’est Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications qui est intervenu. Selon lui, « l’IA est une technologie qui va profondément changer nos vies. On voit déjà des gisements de productivité très significatifs » affirme-t-il. Evoquant la position du gouvernement sur la question de la régulation de l’IA, Jean-Noël Barrot indique qu’il « ne faut pas revoir le logiciel politique […] mais qu’il s’agit d’accueillir cette nouvelle vague de technologies comme on a accueilli les précédentes, c’est-à-dire en les mettant au service de notre projet de société ».

En ce qui concerne toute forme de régulation, le ministre est clair. « Pour l'intelligence artificielle et notamment l'IA générative, il est vain de penser que nous pourrons choisir les standards, les normes qui s'appliqueront au niveau international si nous ne maîtrisons pas cette technologie ». Et pour que le sujet avance dans l’Hexagone, sa réponse est claire : « Il faut que l'on ait des entreprises qui se développent et élaborent en France et en Europe des modèles d'IA générative et des applications. La France est très bien positionnée pour prendre cette vague et des entreprises très prometteuses sont en train de s'installer en France » précise Jean-Noël Barrot, avant d’ajouter : « On s'aperçoit aussi que la France est perçue comme étant extrêmement attractive pour l’IA générative ».

La data et l’IA au cœur des métiers chez Natixis et Suez

Et si cette technologie, qualifiée de « duale » par le ministre, fait aussi envie que peur, c’est à cause de son impact sur les métiers et sur la disparition de certains emplois. Lors d’une table ronde consacrée aux « leviers de la maturité des entreprises dans le big data et l’IA », Natixis et Suez ont ainsi pu témoigner de la transformation engendrée par ces technologies au sein de ces entreprises. Guiraude Lame, chief data officer de Natixis, filiale du groupe BPCE, pilote actuellement le chantier data et IA de la French Tech Corporate Community. Ce groupe, qui rassemble un bon nombre des grands groupes français en coopération avec des start-ups, travaille sur la manière de progresser plus vite ensemble sur les sujets data et IA. « Nous avons par exemple des chantiers autour du partage des compétences, des outils, et également sur la valorisation et le partage des données » détaille-t-elle. Un autre « chantier » est en cours sur l'IA générative avec un certain nombre de choses livrées, à savoir des référentiels de compétences et d’emploi data communs ainsi qu’une guilde des data scientists. Désormais, cette communauté d’entreprises travaille à des cas d'usage de partage de données entre grands groupes et c’est là que les différences sont les plus marquées, remarque Guiraude Lame. « Ce que je constate dans ce cénacle-là, c'est que les niveaux de maturité de nos entreprises sont vraiment variables, liés parfois au secteur, lié parfois au sujet lui-même ».

Et sur ce point, l’exemple de Suez est saisissant. « Il n’y a pas de mystère, la maturité d'une entreprise de 44 000 personnes sur la data est complexe à mesurer et elle va prendre du temps à évoluer » témoigne Claire Mathieu. Responsable de l'équipe data et IA au sein de l'entité digitale de Suez, elle est passée par plusieurs entreprises, start-ups comme grands groupes, et sait de quoi elle parle. « Il ne faut vraiment pas être pressé comme dans une start-up où l’on avance très vite avec des échéances très courtes. Là, il faut poser le temps long, réfléchir à l'organisation, l'acculturation ». Et les problématiques sont nombreuses : « Comme va-t-on faire pour faire monter en compétences toutes ces personnes ? Pour arriver à diffuser l'intérêt de la data et de l’IA du top manager jusqu’à l’exploitant de l'usine ? ». Cependant, Claire Mathieu est loin d’être défaitiste face à ce temps long, bien au contraire. « Dans une entreprise comme Suez, on a des milliers de sujets data au service de la stratégie, au service de la transition écologique et donc on peut démarrer par des projets qui montrent de la valeur et c'est comme ça qu'on va faire grandir l'entreprise ».

De gauche à droite : Stéphane Bout, responsable du pôle de compétences Digital de McKinsey France et de QuantumBlack, Claire Mathieu, head of data & AI Chez Suez, Mick Levy, directeur de l’Innovation Business chez Business & Decision et Guiraude Lame, chief data officer Chez Natixis. Une table ronde animée par Delphine Sabattier. (Crédit : CS)

Un besoin d’acculturation qui passe notamment par la sécurité

Pour cette responsable data et IA chez Suez, la question de l’acculturation passe en premier lieu par les membres du Comex. Son équipe a donc lancé quatre masterclass « pour les membres du top management », ce qui a débouché « sur des sujets de mise en place de gouvernance (sur la data) et des pilotes de projets d’IA au service de l’amélioration de la performance » précise-t-elle. Chez Natixis, la réponse est légèrement différente : « Il faut acculturer tout le monde et en premier lieu les métiers » se défend Guiraude Lame. Et sur ce point, la sécurité ne fait pas défaut. « Il faut commencer par sécuriser cet environnement afin que nos données, nos prompts et nos réponses ne partent pas sur le bien commun. La première chose que l’on fait en termes d’organisation, c’est de se rapprocher de l’IT et de la cybersécurité pour avoir un environnement sécurisé où les collaborateurs vont pouvoir poser toutes leurs questions, partager des parties de contrats, partager des bouts de code ».

Ce travail, Claire Mathieu l’a engagé dès les débuts de ChatGPT lorsque les différentes équipes ont commencé à utiliser l’outil. « Nous avons un peu monitoré ce qui sortait sur ChatGPT de nos collaborateurs, sans faire de la surveillance. Nous nous sommes aperçus qu'il y avait pas mal de données confidentielles qui sortaient donc nous nous sommes dépêchés de monter un environnement sécurisé et cloisonné ». Et désormais, les discussions se poursuivent au sein des différentes directions métiers afin d’acculturer tout monde aux différents risques de l’IA. « Avec le buzz autour de l'IA générative, je vois passer tous les directeurs métiers dans mon bureau, ce qui est plutôt une bonne chose, parce qu’au début, on se focalisait sur des sujets cœur de métier, sur le traitement de l'eau, le traitement des déchets. Désormais, je vois le directeur de la stratégie, du marketing, des RH, et je leur dis qu’il va falloir plus de moyens pour les accompagner sur tous ces sujets-là » poursuit Claire Mathieu.

« Changer une culture dans une entreprise, c’est du pas à pas »

Pour Guiraude Lame, la question de l’acculturation est également un sujet de taille chez Natixis. « Travailler sur le sujet de l’IA et sur celui de l’IA générative, ce n’est pas tout à fait pareil. Il y a une grosse différence entre le temps long et le temps court. On a tous testé, on connaît les IA génératives qui nous répondent instantanément et le temps des stratégies data est quant à lui un temps très long. Transformer les pratiques métiers, transformer nos IT, nos infrastructures, faire en sorte que les gens intègrent la bonne consommation et la bonne production de la donnée et voir comment l'IA peut impacter leur métier, tout ça c'est du temps très long. Changer une culture dans une entreprise, c’est du pas à pas » avant de conclure « Cette dichotomie entre ce temps très court et ce temps long est notre quotidien. On navigue entre les deux ».