Pour le plus grand malheur des acteurs du reconditionnement, le Sénat vient d’adopter une redevance sur la copie privée appliquée aux appareils reconditionnés. Mardi 2 novembre 2021, le Sénat a validé, en deuxième lecture, la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en première lecture, visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France et la proposition de loi visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

L’idée d’une régulation environnementale du secteur numérique n’a rien de mauvais au premier abord. Elle est même plutôt pertinente dans un secteur où la confusion et le manque de transparence règnent autour de l’empreinte environnementale. Dans le détail, la redevance pour la copie privée est un dispositif permettant de taxer les appareils neufs pouvant stocker des fichiers soumis aux droits d’auteurs et droits voisins. Seulement voilà, le texte de loi prévoit de taxer une seconde fois ces mêmes appareils après un reconditionnement. Ce marché a augmenté ces dernières années face aux prix exorbitants de certains terminaux.

Un marché touché en plein vol

« Entre 2019 et 2020, on estime que le marché français du smartphone d’occasion représente plus de 1 milliard d’euros en France dont 700 millions d’euros pour le reconditionné qui a augmenté de 25% en un an » déclare Pierre-Etienne Roinat, président et co-fondateur de Recommerce. Les produits reconditionnés sont devenus, pour beaucoup, un moyen de s’offrir un téléphone à un prix raisonnable contrairement aux produits proposés par Microsoft, Amazon, Google, Samsung, Huawei, Apple, ou encore Xiaomi.

« La France est le seul pays européen à date à assujettir le reconditionné, quand d’autres pays ont, à juste titre, estimé qu’un produit reconditionné ayant déjà payé la redevance sur la copie privée (RCP) en Europe ne doit pas être à nouveau assujetti » annonce Benoît Varin, co-fondateur de Recommerce. Il ajoute que « la France est le pays où les taux de RCP explosent. Lorsqu’il n’est question que de quelques centimes chez certains de nos voisins, la France taxe de 10,08€ TTC les smartphones reconditionnés de plus de 64GB et 10,92€ TTC pour les tablettes reconditionnées et de 16,8€ TTC leurs équivalents neufs ». Cela reste toutefois une trop lourde charge pour les entreprises du secteur. La loi prévoit que le taux soit revu et actualisé régulièrement. Cependant, l’alinéa 3 de l’article 14 bis B dans la proposition de loi « Réduire l’empreinte environnementale du numérique » votée ce 2 novembre gèle ce barème jusqu’au 1er décembre 2022. Une déception pour les acteurs du reconditionnement face à ce barème, adopté sans concertation.

Une menace qui planait depuis des mois

En avril dernier, plusieurs acteurs du reconditionnement se regroupaient sous l’association Eurefas (European Refurbishment Association), dans un objectif d’unification du secteur. Derrière celle-ci, Fenix.eco (Roumanie), Foxway (Suède), Recommerce Group (France), Reware (Espagne) et Tech2com (Pays-Bas) souhaitaient promouvoir ce marché, mais aussi apporter un gage de qualité supplémentaire. Benoît Varin est également co-fondateur et secrétaire général d’Eurefas. Il estime à 5000, le nombre d’emplois en France menacés par cette décision au regard des faibles marges dégagées par les entreprises du secteur, soit la moitié des professionnels de la filière.

D’autres acteurs, plus importants, seront également impactés par cette décision, à l’instar de Back Market. Cette marketplace permet aux reconditionneurs de vendre leurs produits à des consommateurs. L’entreprise ne sera pas directement touchée par cette RCP mais les prix affichés pourraient être revus à la hausse si les reconditionneurs français décident d’augmenter eux-mêmes leurs prix de vente afin de pouvoir supporter la RCP et ne pas trop compresser leurs marges. Toutefois, « les marketplaces vont devoir redoubler de vigilance avec les acteurs étrangers quant au respect de la réglementation française des vendeurs et l’application de la RCP et contrôler ce point supplémentaire », précise Benoît Varin.

Une disparité au sein de l’UE

Ce fondateur déclare avoir attaqué la décision n°22 de la Commission copie privée assujettissant le reconditionné à un barème spécifique en juillet 2021 devant le Conseil d’Etat afin de faire annuler cette décision. « Le barème fixé par la Commission administrative reste une charge supplémentaire aux coûts de reconditionnement qui augmentent le coût de revient et réduit la compétitivité des entreprises françaises ». 

Au niveau européen, ces acteurs comptent encourager une harmonisation des systèmes de copie privée. Aujourd’hui, si la RCP est prévue par l’Union européenne, les Etats membres ont le choix quand au système de copie privée appliqué et l’on note une forte disparité sur ce marché, certains Etats n’ayant même pas opté pour un système de redevance payant.