Selon les chiffres de la Maison Blanche, au cours des 30 dernières années, la part des États-Unis dans la production mondiale de semi-conducteurs est passée de 37 % à 12 % seulement. A contrario, au cours des deux dernières années, la part de la Chine dans la fabrication de puces a augmenté de près de 50 %, au point qu’elle représente aujourd'hui environ 18 % de l'offre mondiale. C’est la crise mondiale de la chaîne d'approvisionnement de 2021 qui a mis en évidence le déclin de la production nationale de puces et donné lieu à des appels à la relocalisation de la fabrication aux États-Unis. Ces évènements ont débouché sur l’adoption en août 2022, par le Congrès américain, du Chips and Science Act (Chips Act) préparé pendant plus d'un an par l'administration Biden-Harris pour répondre aux graves pénuries de semi-conducteurs.

La loi a attribué au Ministère américain du Commerce (Department of Commerce, DoC) un budget de 52,7 Md$ pour engager une série de programmes dans le cadre du programme Chips for America afin de « revitaliser » la position des États-Unis dans la recherche, le développement et la fabrication de semi-conducteurs. Sous l'impulsion du Chips Act, des entreprises comme Intel, Samsung, Micron, TSMC et Texas Instruments ont planché sur des projets de construction d’usines de fabrication de puces aux États-Unis. (Qualcomm, en partenariat avec GlobalFoundries, a également déclaré qu'elle investirait 4,2 Md$ pour doubler la production de puces dans son usine de Malte, à New York).

Chips Act

Représentation artistique de l'usine de fabrication proposée par Micron, qui sera implantée dans le comté d'Onondaga, dans l'État de New York. L'usine aura la taille de 40 terrains de football américains et devrait créer près de 50 000 emplois dans la région. (Crédit : Micron Technologies)

Plusieurs embûches sur le chemin

La première série de mesures d'incitation du Chips Act, d'un montant total de 39 Md$, pour la construction d'installations de fabrication à grande échelle, a été mise en place en février. En septembre, une seconde possibilité de financement pour des projets de fabrication à petite échelle a été ouverte. Mais à ce jour, aucun des fonds n'a été distribué et certains projets d'usines de fabrication se heurtent à des obstacles. Au début de l'année 2023, TSMC, le plus grand fabricant de puces au monde, a commencé la construction d'une deuxième usine de fabrication de puces près de Phoenix, en Arizona. Pour le président américain Joe Biden, les deux usines de TSMC représentaient le fleuron de son programme d'incitation Chips Act. Mais le projet de TSMC est bloqué et l'entreprise a annoncé qu'elle avait repoussé la date d'achèvement de 2024 à 2025 en raison de difficultés à trouver de la main-d'œuvre qualifiée.

Si les 52,7 Md$ d'incitations accordées aux fabricants de puces et aux chercheurs ne sont pas négligeables, le Ministère américain du Commerce, qui supervise la distribution de l'argent, a déclaré que la véritable victoire viendra des investissements des fabricants dans l'économie américaine. « Plus de 230 Md$ ont été investis par le secteur privé dans la fabrication de semi-conducteurs depuis le début de cette administration et plus de 166 Md$ depuis l'adoption du Chips and Science Act », a déclaré un fonctionnaire du ministère américain du Commerce. Micron Technologies a déclaré qu'elle pourrait dépenser jusqu'à 100 Md$ au cours des 20 prochaines années pour agrandir ses installations aux États-Unis. TSMC avait promis d'investir 40 Md$ dans son usine américaine de production de puces. Cet investissement représente l'investissement étranger le plus important jamais réalisé en Arizona et l'un des plus importants de l'histoire des États-Unis.

Un long redémarrage de la production américaine de puces

TSMC fabrique environ 50 % des semi-conducteurs dans le monde, qu'elle vend à des entreprises comme Apple, AMD, Nvidia et Qualcomm. En revanche, Samsung et Intel fabriquent des semi-conducteurs pour leurs propres produits. Taïwan et la Corée du Sud sont les leaders mondiaux de la fabrication de semi-conducteurs, avec environ 20 à 21 % du marché chacun, tandis que le Japon et l'Union européenne produisent chacun environ 9 % des processeurs vendus dans le monde. Selon Gaurav Gupta, analyste vice-président chez Gartner Research, il faudra attendre quelques années, voire la fin de la décennie, pour que l'impact initial du Chips Act se fasse sentir. « Même avec les efforts de relocalisation en cours, la part nationale de la production de puces ne devrait pas augmenter de plus de quelques points de pourcentage d'ici à la fin de la décennie », a ajouté Gaurav Gupta. En effet, il faut trois à cinq ans pour construire une usine de fabrication de semi-conducteurs, et la production augmente ensuite.

Chips Act

La construction de l'usine de semi-conducteurs à 5nm de TSMC à Phoenix, en Arizona, est en cours. (Crédit : TSMC)

Mais les fabricants doivent aussi faire face à une pénurie de talents technologiques. Par exemple, le CEO de TSMC Che Chia Wei, a déclaré que l'entreprise avait déjà embauché près de 1100 employés localement, mais qu'elle aurait besoin de 4 500 personnes qualifiées en haute technologie pour ses deux usines de fabrication de Phoenix. Beaucoup d’employés de TSMC sont envoyés à Taïwan pour acquérir une expérience pratique approfondie dans son usine, « et perfectionner leurs compétences techniques tout en étant immergés dans l'environnement opérationnel et la culture de TSMC », a déclaré Che Chia Wei. « Nous visons toujours une production en volume de la technologie de traitement N4 pour le premier semestre 2025 et nous sommes convaincus qu'une fois que nous aurons commencé nos activités, nous pourrons fournir le même niveau de fabrication, de qualité et de fiabilité en Arizona que celui de nos usines de Taïwan », a-t-il ajouté.

Micron, qui prévoit de construire l'une des plus grandes usines de fabrication de semi-conducteurs du pays dans le nord de l'État de New York, essaye de résoudre la question de la pénurie de talents grâce à un partenariat universitaire américano-japonais dont le but est de développer un vivier de talents dans le domaine des semi-conducteurs pour les deux pays. Le programme implique 11 universités dans les deux pays, et trois cours initiaux ont été définis et devraient être mis en place à partir du début de l’année 2024. Au cours des cinq prochaines années, Micron et ses partenaires de développement contribueront à hauteur de 60 M$ au programme de formation, dans l'espoir qu'environ 5 000 étudiants suivront les cours sur les salles blanches et la recherche collaborative liée à la mémoire. Selon Micron, le programme s’emploie essentiellement à faire la promotion des opportunités pour les étudiantes, le personnel et les dirigeants. Les premiers cours serviront d’introduction aux semi-conducteurs et à la mémoire, au traitement des semi-conducteurs et porteront sur le thème des semi-conducteurs et de la société. « Nous sommes ravis d’accueillir de nouveaux participants au cours des prochains mois, grâce notamment à des programmes destinés aux femmes dans le domaine des semi-conducteurs et à des programmes de mentorat », a déclaré Scott Gatzemeier, vice-président de la division Front End US Expansion chez Micron. « Nous progressons également dans les domaines de la recherche et de l'apprentissage par l'expérience dans les salles blanches et les laboratoires, ainsi que par le biais d'échanges d'étudiants entre les deux pays ». La construction de la nouvelle usine de fabrication de Micron devrait commencer au printemps 2024 et durer plus de deux ans. Scott Gatzemeier a indiqué que le projet fait actuellement l'objet d'un « examen environnemental approfondi » et d'un processus d'autorisation.

Des fonds à verser aux entreprises autant que possible

Même si les défis liés à l'ouverture de nouvelles usines et de centres de recherche aux États-Unis soient considérables, Gaurav Gupta de Gartner a déclaré que le Chips Act avait déjà accompli une chose : au minimum, il a incité les plus grands fabricants de puces du monde à annoncer des projets aux États-Unis. La semaine dernière, par exemple, le fabricant néerlandais d'équipements pour puces électroniques ASM a annoncé qu'il investirait 324 M$ dans un nouveau centre de recherche et de développement en Arizona. La construction de ce site prendra environ cinq ans. Benjamin Loh, le CEO d'ASM, a déclaré que son entreprise était encouragée par la promesse du Chips Act. « Nous pensons que nos investissements aux États-Unis contribuent à renforcer la résilience de la chaîne d'approvisionnement, favorisent les avancées technologiques et nous permettent de bénéficier d'une aide au titre du Chips Act », a déclaré Benjamin Loh.

Selon Gaurav Gupta, il faut maintenant que le ministère américain du Commerce commence à verser de l'argent aux entreprises chaque fois que c'est possible. Le DoC a déclaré que, pour un programme gouvernemental, le Chips Act avait évolué très rapidement. Par exemple, dans le cadre du processus de demande de financement, l'agence a reçu plus de 530 déclarations d'intérêt de la part d'entreprises de 42 États. L'agence fédérale a également reçu 120 pré-demandes et demandes complètes sur les possibilités de financement. Le ministère américain du Commerce a déclaré qu'il menait des discussions très actives avec les fabricants de puces et les installations de R&D et qu'il s'attendait à faire des annonces importantes dans les mois à venir. « Nous menons des négociations très complexes pour nous assurer que nous agissons dans l'intérêt des contribuables américains et que chaque dollar que nous dépensons contribue à la sécurité économique et nationale des États-Unis », a déclaré le fonctionnaire du ministère du Commerce. Selon Scott Gatzemeier de Micron, le financement du Chips Act est nécessaire pour « combler l'écart de coût entre les États-Unis et d'autres régions moins coûteuses ». Ajoutant : « Nous sommes ravis de participer à cette opportunité unique qui nous est offerte de redonner aux États-Unis une place de leader de l'industrie des semi-conducteurs ».