Huawei se préparerait à accélérer les livraisons de ses GPU 910C (architecture Da Vinci), combinant deux puces 910B interconnectées dans un seul package, aux clients chinois dès le mois prochain, ce qui pourrait remettre en question la domination américaine sur ces composants clefs pour le calcul intensif. Selon un rapport de Reuters, certaines de ces puces ont déjà été expédiées, alors que les entreprises chinoises spécialisées dans l'IA s'efforcent de trouver des alternatives nationales au GPU H20 de Nvidia (148 Tflops en FP16), spécialement conçu pour le marché chinois. Ce changement intervient après le renforcement des contrôles à l'exportation par le gouvernement américain, qui oblige Nvidia à obtenir une licence avant de vendre ses H20 aux entreprises chinoises, tout comme AMD et Intel. Cette décision fait suite au lancement de plusieurs modèles avancés d'IA générative en Chine, notamment le modèle DeepSeek moins gourmand en ressources de calcul, qui a interpellé l’industrie quant à la nécessité de disposer de ressources informatiques massives requises par des rivaux tels qu'OpenAI. Pour les entreprises internationales, en particulier celles qui disposent de centres de développement IA ou de chaînes d'approvisionnement en Chine, la montée en puissance d'un écosystème parallèle d’accélérateur pour l’IA pourrait poser des défis d'interopérabilité, de conformité et de planification stratégique à long terme.

Une concurrence croissante pour Nvidia

Alors que la Chine accélère le développement de ses puces pour l’IA, le GPU 910C de Huawei (512 Tflops en FP16) entre sur le marché comme une alternative stratégique, même si les analystes soulignent qu’en termes de performances brutes et d'efficacité, elle reste loin derrière les derniers accélérateurs de Nvidia (2,25 Pflop en FP16 pour le B200 Blackwell et 3,75 Pflops en FP16 pour le B300 Blackwell Ultra) et même les anciens GPU sur base Hooper (624 Tflops en FP16 pour le A100 et 1,8 Pflops en FP16 pour le H100). « Du point de vue des performances, les puces de nouvelle génération de Nvidia, telles que la B200 et la future B300 Ultra, basées sur le processus 4 nm de TSMC et équipées d'une mémoire HBM3/3E avancée, ont considérablement creusé l'écart par rapport à la puce 910C de Huawei, probablement construite sur le processus N+2 7nm de SMIC (en fait 14nm) et ne dispose pas de mémoire HBM avancée », a fait remarquer Neil Shah, partenaire et cofondateur de Counterpoint Research. Ce dernier a ajouté que si le GPU de Huawei peut théoriquement égaler l'ancienne Nvidia A100 dans certaines tâches, elle nécessiterait plus de puissance et une optimisation logicielle lourde pour gérer diverses charges de travail d'IA. Précisons que la feuille de route de Huawei annonce déjà un GPU Ascend 920, gravé en 5 nm, avec de la mémoire HBM3, ciblant des performances de 1,02 Pflops en FP16.

La carte GPU Ascend 910C se pose comme une alternative pour les entreprises chinoises privées de puces Nvidia. (Crédit Huawei)

« L'adoption mondiale de la puce 910C de Huawei est également entravée par le soutien limité des développeurs, la maturité de l'écosystème et les défis d'intégration », a renchéri Manish Rawat, analyste des semi-conducteurs chez Techinsights. « Cependant, elle présente une alternative viable aux puces de Nvidia pour les entreprises chinoises ou celles affectées par des contraintes géopolitiques, d'autant plus que les contrôles d'exportation américains limitent l'accès aux GPU avancés de Nvidia », a-t-il reconnu.

Une alternative pour les entreprises

Même si elle n'est pas la meilleure du marché, la puce 910C pourrait s'avérer viable pour de nombreux cas d’usage de l'IA en entreprise et à grande échelle. La formation des modèles peut prendre plus de temps que celle des puces conçues aux États-Unis, mais pour beaucoup, ce compromis est acceptable compte tenu des risques géopolitiques et ceux liés à la chaîne d'approvisionnement. « Pour les entreprises, en particulier celles qui opèrent ou s'approvisionnent en Chine, c’est une alternative crédible face au renforcement des contrôles des exportations américaines, d’autant qu’elle peut soutenir les écosystèmes d'innovation nationaux comme DeepSeek et réduire la dépendance à l'égard des technologies étrangères », a expliqué Prabhu Ram, vice-président du groupe de recherche industrielle chez Cybermedia Research. « Même si Nvidia conserve un avantage en termes de maturité logicielle et d'efficacité énergétique, les progrès de Huawei reflètent la capacité croissante de la Chine à rivaliser dans le matériel d'IA de pointe à l'ère émergente de l'IA. »

L’adoption de l'écosystème de Huawei par les entreprises opérant en Chine ou s'approvisionnant auprès d'elle pourrait influencer de manière significative leurs stratégies d'approvisionnement, la sélection des fournisseurs et les évaluations technologiques, en favorisant un plus grand alignement sur les technologies chinoises. « Pour s'adapter, les entreprises ayant des activités en Chine peuvent utiliser des piles technologiques doubles, incorporant à la fois des outils occidentaux et des plateformes chinoises telles que les puces Ascend de Huawei », a précisé M. Rawat. « Et si d’un côté, ce choix ajoute de la complexité, il permet de l’autre de se prémunir contre les perturbations géopolitiques et de garantir un déploiement plus rapide par rapport aux livraisons limitées de Nvidia. Pour les entreprises chinoises, les puces Huawei améliorent la résilience, soutiennent l'innovation locale et réduisent la dépendance à l'égard des fournisseurs occidentaux. » Si les puces Huawei gagnent du terrain, elles pourraient perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales, en particulier dans les secteurs des télécommunications, de l'IA et du cloud. Cependant, les tensions géopolitiques, les préoccupations en matière de sécurité et les défis réglementaires sur les marchés occidentaux pourraient ralentir l'adoption.

Quelle stratégie pour la Chine ?

Alors que Huawei accélère les livraisons de son GPU 910C, nombreux s’interrogent sur la capacité de l'écosystème chinois à soutenir une infrastructure IA évolutive sans accès aux technologies occidentales de pointe. « Nous surveillons cette évolutivité de près, car le processus SMIC N+2 7nm a un rendement relativement faible, mais les choses se sont améliorées et devraient être autosuffisantes pour les entreprises nationales chinoises et les hyperscalers pour la prochaine génération », a estimé M. Shah. Le plus grand défi à venir est de passer à des nœuds de pointe. « La question est de savoir comment Huawei évoluera vers des nœuds plus avancés de 5 nm ou moins », a poursuivi M. Shah. « La seule usine chinoise, SMIC, n'a pas accès aux dernières machines EUV d'ASML nécessaires pour passer à ces nœuds. Ce sera un défi majeur que Huawei et ses partenaires tentent de relever, mais pas dans l'immédiat et pas sans une sophistication considérable. » Cependant, la Chine semble jouer sur le long terme. Des développements tels que DeepSeek suggèrent qu'une pile d'IA entièrement localisée pourrait finalement émerger, avec des contributions d'acteurs comme Huawei pour le calcul, CXMT pour la mémoire, et une base nationale croissante d'expertise logicielle. Pour les entreprises, cela soulève des questions importantes sur l'interopérabilité à long terme, les compromis de performance et la diversification des fournisseurs.