233,4 milliards de dollars. C’est, d’après IDC, le montant des dépenses mondiales dans le cloud (SaaS, IaaS, PaaS) en 2019. C’est une somme importante, n’est-ce pas ? Une rapide recherche sur Internet montre que c’est le budget que la Chine prévoit de dépenser pour la défense. C'est aussi bien plus que ce que Bill Gates pourrait économiser en « réinventant les toilettes » ». Et c'est ce que l'industrie des conférences pense perdre cette année en raison des limitations de déplacements imposées par la pandémie de Covid-19. Mais la somme de 233,4 milliards de dollars ressemble presque à une erreur d'arrondi par rapport aux 4 billions de dollars que les entreprises dépenseront dans l’IT en 2020, selon IDC. Á peine 5,8 %. Un focus sur les revenus du cloud ne fait que déformer un peu plus la réalité sur les dépenses IT des entreprises aujourd'hui.

Et la croissance ?

Certes, si l'on regarde l’augmentation des dépenses IT, la croissance des dépenses dans le cloud a été forte. (Remarque : dans son calcul des dépenses IT, IDC inclut les appareils, l'infrastructure (matériel de serveur/stockage/réseau et services clouds), les logiciels et les services TI). Comme l'a récemment déclaré le vice-président d'IDC, Stephen Minton : « La croissance se concentre surtout dans cloud et l’on s'attend désormais à ce que les dépenses globales en logiciels diminuent, car les entreprises retardent les nouveaux projets et le déploiement des applications... ». Cependant, la quantité de données que les entreprises doivent stocker et gérer ne progresse pas. De plus en plus, une part encore plus importante de ces données sera stockée, gérée, mais aussi analysée dans le cloud.

L'exemple de la Chine

Lors de la récente annonce des résultats d'Alibaba, le vice-président exécutif, Joe Tsai a fait remarquer qu’en Chine le marché global du cloud était encore relativement restreint par rapport aux marchés occidentaux, à peine 15 à 20 milliards de dollars. Malgré cela, il représente une part plus importante du marché informatique chinois total (297 milliards de dollars en 2020, selon IDC) que le pourcentage mondial. Concernant la croissance, comme le prévoit Joe Tsai, « le marché chinois va connaître une croissance beaucoup plus rapide que le marché américain dans le domaine du cloud ». Au rythme de croissance annuel d'Alibaba, estimé à environ 7 milliards de dollars, combiné à une croissance annuelle de 59 % basée sur les résultats du dernier trimestre, il reste un long chemin à parcourir pour que l'autre prévision d'IDC se réalise : à savoir qu’en Chine, 90 % des applications seront natives du cloud d'ici 2025. Si le marché chinois se rapproche de ce pourcentage, on pourra dire que ce marché aura connu une croissance impressionnante.

Et les obstacles

Mais la plupart des économies ne fonctionnent pas comme celle de la Chine et ses plans quinquennaux. Et la plupart des entreprises non plus, même si la pandémie de Covid-19 a accéléré de manière soudaine leur transformation numérique. Comme l'a déclaré Jim Rose, le CEO de CircleCI, à nos confrères d’InfoWorld il y a quelques mois, « la pandémie a accéléré l’adoption du CI/CD [et du cloud]. Tout ce que nous avions prévu pour l'année prochaine se réalisera dans les trois mois à venir ». Selon David Linthicum, d'InfoWorld, les entreprises devraient prendre les mesures suivantes pour anticiper les restrictions imposées par la pandémie à la fois en ce qui concerne les déplacements des employés et les dépenses des clients : migrer rapidement vers des ressources publiques basées sur le cloud, y compris IaaS et SaaS ; abandonner les datacenters dont elles sont propriétaires ou qu’elles louent ; réduire les installations au minimum fonctionnel ou les supprimer ; changer la culture d'entreprise pour favoriser la collaboration à distance. Certaines de ces mesures sont plus faciles à demander qu'à réaliser. Par exemple, des entreprises comme GitLab, qui ont toujours encouragé le travail à distance, ont eu beaucoup moins de difficulté à s'adapter aux contraintes du travail à domicile que des entreprises habituées à la culture du bureau. On peut donner une caméra et un casque à chaque employé, mais pour que les gens soient productifs dans un environnement de travail à domicile, il faut un changement culturel, et ce changement demande du temps.

Faire vite… et attendre

Donc, même si l’on pense, à juste titre, qu’au cours des prochains mois (et années) l'adoption du cloud par les entreprises va connaître une accélération, on aurait tort de penser que les dépenses vont croître comme par magie de 233 milliards de dollars à 4 000 milliards de dollars d'ici 2025. Ne pariez pas là-dessus. Mais ne pariez pas non plus sur l'idée fantaisiste que les charges de travail seront « rapatriées » du cloud pour être à nouveau traitées dans les datacenters sur site. Plein de bonnes raisons justifient de mettre ce rêve de côté (l'analyste Corey Quinn en souligne quelques-unes), mais voici peut-être la plus importante : les entreprises ont besoin de temps pour changer. Même cette « ruée » vers la transformation numérique mentionnée plus haut, prendra des années. Les entreprises ne vont certainement pas adopter le « cloud » sur un coup de tête (et retourner ensuite vers leurs datacenters). Ce n'est pas comme cela que ça marche dans le monde réel.

Difficile à croire ? Comme nous le disions au début de cet article, oui, le cloud est un secteur majeur... mais il ne représente encore que 5,8 % des dépenses IT totales. Avec le temps, ces pourcentages devraient s'inverser, les 5,8 % représentant cette fois les charges de travail sur site. Mais cela n'arrivera pas l'année prochaine. Ni l'année suivante. Le changement prend du temps. Et l’adoption du cloud va prendre du temps.