En direct de Paris. « L'IA va prendre la place de l'humain dans le monde du travail. » Cette phrase résonne comme un refrain incessant au moment de chaque grand événement touchant aux technologies numériques. Et nous n'y avons pas coupé pour la troisième édition du salon Viva Technology, installé jusqu'au 26 mai Porte de Versailles, à Paris. Mais cette année, les différents acteurs gravitant autour de l'IA semblent parler d'une seule voix pour assurer que cette technologie va au contraire devenir complémentaire de l'intelligence humaine et permettre à tous les secteurs de faciliter leurs métiers et de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée.

Comme tous les bouleversements technologiques, l'intelligence artificielle fait peur. Mais Lydia Babaci-Victor, directrice du développement et de l'innovation chez Vinci energies rappelle qu'il en a été de même à l'apparition de l'email : « on disait que ça allait faire baisser de 10 point le QI des individus. » Idem plus tôt quand les premiers trains ont commencé à circuler ou que l'imprimerie est apparue. La crainte de la nouveauté n'est, elle, pas nouvelle. C'est encore plus vrai quand on parle d'emploi selon Nicolas Bouzou, économiste et directeur du cabinet de conseil Asterès. « La peur de perdre son travail est présente depuis que le travail a une connotation positive, donc depuis 2000 an. » Cependant avec l'apparition de l'IA, beaucoup disent que ça y est, nous allons détruire plus d'emplois qu'en créer. Ce qui est complètement faux d'après l'économiste puisque les pays qui investissent le plus dans les domaines numériques sont ceux qui ont le plus d'emplois. « Entre le moment de l'innovation et l'apparition nouveaux besoins, il peut y avoir un moment de battement » conçoit cependant Nicolas Bouzou.

Un concept trop large

Mais ce qui fait peur dans l'IA, selon la représentante de Vinci energies, c'est que c'est un concept dont on ne voit pas les contours. Le terme d'intelligence artificielle devient même trop large alors que les applications de cette technologie deviennent légion. « L'IA englobe beaucoup de sous-catégories [machine learning, traitement automatique du langage naturel, automatisation de tâches, etc.] et va bientôt réunir trop de choses pour être toujours appelée IA » selon William Eldin, fondateur et DG de XXII, start-up spécialiste des deep techs. On ne sait pas encore trop comment expliquer comment les algorithmes apprennent et cela engendre une peur de perte de contrôle. Mais a contrario, le DG de XXII indique que les algorithmes d'intelligence artificielle font encore beaucoup d'erreurs aujourd'hui, donnent des faux positifs, etc. « Chez XXII, nous avons plus d'une dizaine de personnes en IA qui passent 60% de leur temps à annoter des bases de données. C'est-à-dire que dans l'IA il y a un capteur, une source algorithmique au milieu qui a finalement besoin d'apprendre. Donc un ingénieur en intelligence artificielle passe aujourd'hui 60% de son temps à dire que ça c'est une chaussure rouge, ça des lacets blancs. Il n'y a rien de magique dans l'IA. »

Démystifier le concept d'intelligence artificielle c'est aussi montrer que ces algorithmes ne pourraient pas être si puissants sans l'homme d'une part mais aussi que cette complémentarité est présente une fois en application au niveau des utilisateurs finaux. L'IA va apporter de la rapidité dans la réalisation de tâches basiques (pour le moment) mais il y a trois compétences cognitives que l'IA ne peut pas faire d'après Nicolas Bouzou. Faire preuve de créativité, avoir des interactions sociales (empathie, etc.) ou avoir un esprit systémique, une vision globale.

Avoir une vision globale de son secteur

C'est pourquoi il faut, paradoxalement, éviter de trop se spécialiser dans son apprentissage selon l'économiste. « Il manque des gens qui ont une vision globale de leur secteur. Il faut être spécialiste de certaines choses et généraliste à la fois. L'éducation doit donc se reposer non pas sur l'apprentissage des compétences mais des grandes disciplines (français, maths, histoire géographie, langues). » Nicolas Bouzou prend pour exemple les entreprises de transports routiers. Selon lui, avec l'apparition et le développement des véhicules autonomes, les routiers ne seront plus indispensables. Sauf qu'aujourd'hui, le secteur a un réel besoin de conducteurs de camions. « Bien sûr il faut donc les former aujourd'hui mais il faut déjà leur donner la capacité d'acquérir d'autres compétences demain dans la logistique, l'organisation, etc. »

Sur le stand de ManPower, Nicolas Bouzou (à gauche), économiste, était interrogé par le président du groupe spécialisé dans l'intérim et le recrutement, Alain Roumilhac sur les changements dans la manière de travailler qu'implique l'IA. (Crédit : Nicolas Certes)

Ce que note Alain Roumilhac, président de ManPower, groupe spécialisé dans l'intérim et le recrutement, c'est un véritable enjeu de compétences. « Le principal critère de recrutement que nous avons relevé chez les RH c'est la capacité qu'ont les gens à pouvoir évoluer. Les savoir-faire peuvent être pris en charge par les entreprises mais le savoir-être est très important. » Et c'est valable également pour les scientifiques et développeurs d'algorithmes. Il y a un réel besoin de spécialistes qui savent vulgariser leur travail lance William Eldin. « C'est important de faire travailler l'expert métier et les scientifiques ensemble. Faire venir les doctorants sur le terrain pour leur faire comprendre les enjeux métiers. »

Créer des synergies entre tous les acteurs

Lydia Babaci-Victor que ce sont ces synergies qui permettent d'aider les algorithmes à s'entraîner en disant ce qui est bien et ce qui ne l'est pas. Et pour aider à tisser ces dynamiques de co-construction, les institutions publiques sont souvent un bon interlocuteur. Le Monde informatique a pu s'entretenir brièvement avec Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France. « Ce que la région fait le mieux c’est de mettre ensemble des personnes. Bien avant le rapport Villani, j’avais dit que la région Ile-de-France devait être la première région d’Europe sur l’IA pour une seule et bonne raison c’est que toute l’école mathématique française plus l’INRIA et nos grands acteurs (Dassault sytemes, Thales, Valeo, Safran) font un écosystème absolument unique pour l’IA dans la région. » L'institution y va donc « à fond » niveau investissements pour reprendre les termes de sa présidente. Et a mis 100M€ sur le projet DigiHall pour développer un cœur d’innovation sur l’IA à l'université Paris-Saclay et lancé le concours IA Challenge Paris region.

Sur le stand de Vinci, ce sont Lydia Babaci-Victor, directrice du développement et de l'innovation chez Vinci energies et William Eldin, fondateur de XXII, qui démystifiaient l'IA au public (Crédit : Nicolas Certes)

Comme le démontre Lydia Babaci-Victor, il faut montrer concrètement ce qu'il est possible de faire avec l'intelligence artificielle. Que ce soit dans les RH, l'industrie, la sécurité, etc. « Ce qui est fondamental dans la manière dont on va appréhender l'intelligence artificielle c'est : pour quoi faire ? Qu'est-ce qu'on en attend ? Pour donner confiance il faut expérimenter. Donc il faut montrer qu’on passe par des itérations parce qu’on ne trouve pas directement la solution, mais que finalement ça marche. C’est de cette manière qu’on arrive à convaincre que demain l’IA sera une commodité technologique. »

Finalement, que ce soit dans la production ou l'utilisation de l'IA tout dépend de l'humain. « Il y a toujours eu des bad boys et good boys et il y en aura toujours » ajoute la représentante de Vinci energies. Et c'est peut-être de cela qu'il faut avoir peur.