Dans un rapport publié fin janvier, la Cour des comptes dresse un bilan des actions de modernisation de l'État entamées depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, en 2017. Cette année-là, le gouvernement d'Édouard Philippe lançait, sous l'intitulé « Action publique 2022 », un programme de modernisation de l'action publique, visant à « réinterroger le périmètre des missions de l'État, à clarifier les compétences des collectivités et administrations et à refondre certaines politiques publiques, dans une perspective d'économies budgétaires plus ou moins assumée », selon les termes de la Cour des comptes. Tout un programme, qui a accouché de résultats bien plus modestes, selon l'institution de la rue Cambon.

Cette dernière, si elle concède que cette stratégie s'est heurtée à une succession de crises (gilets jaunes, Covid-19), estime que les résultats de cet effort restent « contrastés », notant que l'ambition réformatrice affichée au départ - réinterroger le périmètre des missions de l'État - a été remisée au profit d'une série de politiques prioritaires, elles-mêmes déclinées en 150 chantiers. « Cette nouvelle démarche de modernisation, foisonnante, est désormais identifiée sous le vocable de 'transformation publique'. Elle ne questionne plus ni le périmètre des missions de l'État ni la répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales ou l'architecture superposée de ces dernières, et l'objectif budgétaire initial a été relégué au second plan », déplore la rue Cambon.

Numérique : les défis restent « immenses »

Devenue une politique d'évolution des processus en place et de déploiement de nouveaux outils de pilotage, la transformation publique souffre par ailleurs, selon la Cour des comptes, d'un manque de coordination entre les deux directions interministérielles à la manoeuvre, la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique) et la Dinum (Direction interministérielle du numérique). Si la DSI de l'État apparaît ainsi au premier plan de la transformation, c'est en raison du rôle prépondérant joué par le numérique dans les efforts de modernisation de l'État, les logiques de dématérialisation se prolongeant désormais par des services basés sur l'exploitation ou le croisement de données. « Parmi les outils mobilisés pour accélérer la modernisation de l'action publique, le numérique occupe une place centrale », observent les auteurs du rapport. Ce qui ne veut pas dire que ce levier ait pu, pour l'instant, être pleinement exploité.

En effet, selon la Cour, les défis en la matière restent immenses : « ils nécessitent une stratégie de développement de la culture numérique pour définir des règles claires de mutualisation des compétences entre les administrations, assurer la maîtrise par l'État des outils numériques et le doter des moyens humains et financiers adéquats. C'est l'objet de la nouvelle feuille de route assignée à la Direction interministérielle du numérique (Dinum) le 9 mars 2023 et dont il faudra dans les mois à venir mesurer l'effectivité et l'efficacité de la mise en oeuvre. » Signalons, sur le terrain de la montée en compétences des administrations, le lancement d'un Campus du numérique public, afin de former les agents de l'État, et la publication d'une fourchette souple de rémunérations pour les profils IT, censée faciliter les recrutements sur ces métiers en tension. Deux initiatives sur lesquelles la Dinum est à la manoeuvre. Mais, pour la Cour, les politiques initiées par la DSI restent trop découplées de celles de la DITP, créant des « risques de chevauchement et de manque d'articulation entre les projets ».

DGFiP : le bon élève de la Cour des comptes

Si le passage d'une simple dématérialisation à une exploitation des données reste une perspective pour nombre d'administrations, la Cour cite en exemple le cas de la DGFiP (Direction générale des finances publiques). Au sein de cette dernière, une réflexion, entamée dès 2020-2021, a conduit à réorganiser les départements chargés de l'informatique avec, d'une part, la création d'une délégation numérique, pour animer la communauté numérique de la direction, et, d'autre part, la scission du service IT en deux, avec un service transverse des SI et une direction des projets numériques. « Forte de cette nouvelle organisation, la DGFiP est désormais en mesure de proposer ses services à de multiples partenaires », observe la Cour, qui cite notamment le cloud Nubo ou l'Espace numérique permettant aux agents de la direction d'accéder à leurs feuilles de paie dématérialisées. Un dernier service appelé à être prochainement mutualisé avec le Conseil constitutionnel et le CNRS.

Mais, constate la Cour, dans les autres administrations, la stratégie numérique manque de lisibilité. « Aucune stratégie d'ensemble ne se dégage. Les gisements de productivité demeurent importants. La gestion manuelle des dossiers est encore très pratiquée, en particulier dans les organismes sociaux, ce qui induit des taux d'erreur élevés et, en conséquence, des indus et des coûts de gestion supplémentaires. De nombreuses tâches pourraient être automatisées », déplorent les sages qui pointent également l'absence d'un cadre harmonisé clarifiant le rôle des différentes administrations dans la fourniture de services mutualisés, définissant les principes de facturation associés et favorisant le partage d'expériences et de bonnes pratiques.

La Cour plaide pour un renforcement du « rôle d'orchestration » que doit jouer la Dinum au sein de l'État : cette direction « gagnerait à dépasser le champ des projets ponctuels (startups d'État) pour initier une réelle stratégie collective du développement de la culture numérique, en répartissant clairement les projets entre les différents acteurs et en définissant des règles de mise en commun des compétences », écrit la Cour des comptes. Une mission qui figure bien parmi les attributions de la direction, tant d'un point de vue historique que dans le dernier décret définissant le périmètre d'action du service. Celui-ci indique en effet que la Dinum « pilote la politique de mutualisation du système d'information et de communication de l'État. Elle peut intervenir dans la gouvernance ainsi que dans la conception et la mise en oeuvre des opérations de mutualisation. »

Risque de dilution des investissements

Rue Cambon, la véritable innovation de la démarche de modernisation ces dernières années réside dans le déploiement d'un outil de pilotage (appelé Pilote) qui permet un suivi des actions sur le terrain - au niveau des préfets - sous le pilotage direct du secrétariat général de la présidence de la République et du cabinet du Premier ministre. « Cette organisation favorise une mise sous tension de l'ensemble de la ligne managériale, depuis le ministre jusqu'aux agents d'administration déconcentrée », écrivent les sages, qui s'empressent toutefois de relever la face plus sombre de cette organisation. Selon eux, ce mode de pilotage par les objectifs se traduit par des appels à projets financés par de multiples fonds ad hoc (comme le fonds pour la transformation de l'action publique, voir encadré), « au risque d'une certaine dispersion et d'une dilution des financements ».