Entre juillet 2024 et janvier 2026, toutes les entreprises devront basculer à la facturation électronique entre professionnels. La date de l'obligation d'émission de toutes les factures (sortantes) dans un format électronique varie selon la taille de chaque entreprise tandis que toutes devront accepter les factures électroniques (entrantes) dès juillet 2024. Cette révolution est approuvée par les organisations professionnelles telles que le MEDEF ou des fédérations sectorielles même si certaines réserves sont posées. En principe, tout le monde devrait être gagnant : l'État, bien sûr, mais aussi chaque entreprise. Le 10 février 2022, le ministère des comptes publics a organisé un colloque « La facturation électronique : levier de transformation numérique des entreprises et de l'administration » à Bercy pour faire le point sur la question avec des interventions de ministres étrangers (notamment d'Italie, d'Espagne, et du Portugal).

En effet, ce chantier a été présenté par Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, qui a inauguré le colloque, comme étant avant tout un enjeu de modernisation de l'économie. L'exploitation de la data économique en temps réel est intimement lié au sujet à de multiples niveaux. Si le colloque a été organisé dans le cadre de la Présidence Française du Conseil de l'Union Européenne, ce n'est pas non plus un hasard : faire avancer le sujet au niveau européen est un des axes choisis par le gouvernement pour ce semestre. Plusieurs pays européens ont déjà une telle facturation électronique plus ou moins généralisée : le Portugal, l'Italie et l'Espagne sont les plus avancés et permettent déjà un vrai retour d'expérience.

Entreprises et Etat tous deux gagnants

Selon une estimation du ministère des comptes publics, les gains directs pour les entreprises se chiffreraient aux alentours de 4,5 milliards d'euros grâce à la simplification des déclarations fiscales et à l'élimination de la manipulation du papier, des frais d'expédition, etc. Le problème de base est que quatre millions d'entreprises (les plus petites), en France, ont aujourd'hui une facturation purement papier. Une fois la bascule opérée par tous, la promesse de Bercy est un pré-remplissage des déclarations fiscales, notamment de TVA. Mais il s'agit, surtout pour les petites entreprises, d'une véritable révolution transformant les process : le patron (surtout l'artisan) perdra totalement la main sur la facturation au profit du comptable ou de l'expert-comptable. Selon les organisations d'experts-comptables, les cabinets réalisent la totalité de la comptabilité (pas juste la révision comptable et les déclarations fiscales) pour 80 % des clients ! Ce sont ces clients pour qui la réforme en cours sera la plus compliquée.

Côté Etat, les enjeux sont colossaux. D'abord, l'État pourra suivre en direct ou presque les flux économiques via les agrégats de flux de factures. Ces chiffres permettront un véritable pilotage macro-économique et une focalisation des interventions au plus juste et au plus près des besoins réels. Le Portugal et l'Italie ont ainsi pu accompagner les entreprises les plus en difficultés au moment de la crise sanitaire. En France, ces informations viendront enrichir les données utilisées par Signaux-Faibles, la start-up d'État mise en place pour détecter les entreprises commençant à connaître des difficultés afin de les aider avant qu'il ne soit trop tard. Parmi les indicateurs qui seront, à terme, suivis, il y a notamment les délais de paiements. Enfin, la lutte contre la fraude est bien évidemment au menu. L'Union Européenne estime le niveau de fraude à la TVA à 134 milliards d'euros par an (erreurs de bonne foi incluses), le projet permettant d'accroître le recouvrement de bonne foi de 25 milliards (le reste étant de la véritable fraude dont la détection sera améliorée, notamment la fraude dite « au carrousel »). L'Italie a d'ores et déjà amélioré son recouvrement de TVA de deux milliards d'euros par an.

Harmonisation européenne et accompagnement demandés par les entreprises

L'objectif reste de largement harmoniser les pratiques au niveau européen afin de faciliter l'intégration des processus dans les entreprises multinationales ou transnationales. La Commission Européenne travaille actuellement sur le sujet et Olivier Dussopt a rappelé le fort attachement de la France à ce sujet. Mais les dispositifs d'accompagnement des entreprises relèvent de la subsidiarité. En France, un portail public à usage gratuit va être mis en oeuvre mais les acteurs privés seront amenés à proposer des portails avec davantage de services. Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, a insisté, lors d'une intervention vidéo durant le colloque, sur la nécessité de ne pas imposer des coûts de transformation trop lourds aux entreprises, surtout les plus petites, et veiller à une harmonie au niveau européen. La question des formats est centrale, non seulement pour l'harmonisation entre pays mais aussi pour gérer l'intégration automatique dans les SI des entreprises et de l'Etat. Le traitement de données issues de la facturation est une opportunité aussi pour les entreprises.

Le Medef voudrait profiter de la dématérialisation de la facturation, avec la facilitation induite des contrôles, pour alléger les obligations formelles des entreprises comme la piste d'audit fiable, qui n'est plus obligatoire au Portugal mais l'est toujours en Italie. Pour la DGFiP, la piste d'audit fiable devrait rester une exigence. Au Portugal, le problème du spam de facturation n'a pas été rencontré mais demeure une crainte pour le Medef. Il s'agit en fait soit de factures légitimes rejetées en spam soit, au contraire, de factures illégitimes frauduleuses. Plus largement, la question de la légitimité à envoyer ou traiter des factures et celle connexe du contrôle de cette légitimité font partie des craintes du Medef. L'AIFE (Agence pour l'Informatique Financière de l'Etat) a confirmé que cette problématique était bien en cours de traitement. De la même façon, l'harmonisation des formats au niveau européen est en cours.

Des évolutions en cours du cadre réglementaire et des outils

Pour l'heure, rendre obligatoire la facture électronique nécessite encore des dérogations à la directive européenne sur la facturation et la TVA de 2006. En l'occurrence, la France, comme les autres pays concernés, ont demandé une dérogation à l'article 232 (la facturation électronique est censée être acceptée par les deux parties et non imposée) et à l'article 218 (formalisme de la facture). Une réforme de cette directive est bien envisagée mais n'est pas jugée prioritaire durant la Présidence Française. A l'inverse, la question du reporting sur les volumes d'affaires devrait être harmonisée plus vite. Cette question du reporting semble négligée à tort par les entreprises et leurs prestataires.

En France, la facturation B2A (entreprises aux administrations) est déjà obligatoirement dématérialisée et doit passer par le portail Chorus-Pro de l'AIFE. Armelle Degenève, directrice de l'AIFE, a confirmé que c'est bien Chorus-Pro qui verrait son périmètre accru pour intégrer la facturation B2B. Ce portail servira donc à la fois de site gratuit avec le service minimum nécessaire (et suffisant pour les TPE), de concentrateur de tous les flux de facturation provenant de tous les services privés et enfin d'annuaire des entreprises (ainsi que d'aiguilleur jusqu'au bon portail pour chaque entreprise). Chorus-Pro garantira également l'archivage durant dix ans des factures. Par contre, pour des services plus riches (par exemple : prise en compte du cycle complet du bon de livraison au paiement), les entreprises devront recourir à des portails privés payants, éventuellement avec des adaptations à certains métiers. L'un de ces portails sera proposé par l'Ordre des Experts-Comptables et destiné aux TPE/PME.