Les fusions et les acquisitions peuvent entraîner de gros changements dans les entreprises. C’est cette problématique qu’a dû affronter Sheila Jordan, la DSI de Symantec, après la décision prise en octobre 2014 par le conseil d’administration de scinder l’entreprise en deux entités distinctes : Symantec, d’une part, entièrement recentré sur les activités de sécurité, et Veritas Technologies Corporation d’autre part, pour les activités de gestion des informations héritées du rachat en 2005 du fabricant de logiciels de stockage Veritas par Symantec. À partir de cette date, Sheila Jordan a eu 12 mois pour mettre sur pied de nouvelles infrastructures pour chaque activité autonome. Voici comment elle a procédé.

La DSI de Symantec savait qu'elle devrait réduire le risque associé à la scission d'une grande entreprise. Elle pensait également que son choix d'internaliser le datacenter, l'architecture réseau et l’architecture applicative, déjà anciens, en s’appuyant sur les plus récentes technologies cloud, était pertinent. À l’époque Symantec construisait un datacenter associant cloud privé et infrastructure SDN. Grâce à ce double support, l’entreprise pourrait automatiser et partager son infrastructure de centre de données et permettre aux responsables des services de disposer de leurs propres systèmes de calcul et de leur propre réseau.

Un délais de 12 mois à respecter

En octobre 2014, alors que ce processus d'internalisation était à moitié achevé, le conseil d’administration votait la scission de l’entreprise en deux entités, fixant un délai de 12 mois pour mener à bien l’opération. La tâche était ardue, même pour Sheila Jordan, laquelle, avant de rejoindre Symantec en février 2014. Avait occupé le poste de vice-présidente senior de la direction informatique, communication et collaboration de Cisco où elle était notamment responsable de la mise à disposition et de l'intégration des services informatiques pour les employés de Cisco dans le monde entier, y compris du développement de la plate-forme WebEx Social Collaboration de la société, et du déploiement de l'ensemble des technologies émergentes.

Auparavant, Sheila Jordan avait exercé des responsabilités au sein de Grand Circle Corporation, aux postes de directrice de l'informatique et de vice-présidente exécutive, où elle était responsable du développement de la stratégie technique de l'entreprise, et au sein de la Walt Disney Company, où elle occupait les fonctions de vice-présidente senior pour Destination Disney et vice-présidente des services financiers des entités marketing et ventes.

Cloud et SDN : deux atouts pour une scission propre

Sheila Jordan a décidé de retirer les actifs de Veritas, de les déplacer dans un espace cloud dédié et de leur attribuer leur propre réseau SDN. Elle a comparé le projet à un grand complexe d'appartements, où plusieurs locataires sont subdivisés en unités, mais partagent la même infrastructure sous-jacente. « Veritas peut très bien devenir un locataire de cette infrastructure, et plus tard, s’ils veulent, ils pourront toujours en sortir et voler de leurs propres ailes », s’est-elle dit à l’époque. Son projet a été rapidement approuvé par le conseil d'administration et les auditeurs de Symantec, et un accord de service temporaire a été mis en place entre les deux entités.

Sheila Jordan, DSI de Symantec

La DSI de Symantec, Sheila Jordan, a monté un ambitieux plan informatique pour réussir la scission de l'entreprise. (crédit : D.R.)

La DSI de Symantec savait que la solution devait fonctionner parfaitement, surtout si elle devait par la suite faire évoluer la stratégie de Symantec, passer d’une défense orientée sur la protection du périmètre et la détection des logiciels malveillants à défense plus proactive, avec des systèmes d’analyses pour détecter les menaces persistantes avancées. Comme tout DSI, Sheila Jordan a cherché les solutions qui répondaient le mieux aux besoins de son entreprise. Symantec conçoit une stratégie de sécurité unifiée qui offre aux DSI et aux responsables de la sécurité des systèmes d'information (RSSI) une protection globale et une visibilité sur leurs environnements informatiques. Selon Gartner, les dépenses mondiales en matière de cybersécurité vont augmenter de 8% cette année pour atteindre 83,6 milliards de dollars.

Près de 600 applications et 2 ERP éliminés

L'équipe de Sheila Jordan en charge de l'infrastructure a travaillé sans relâche pour mettre en place un datacenter, un cloud privé et un réseau SDN à partir de rien, en utilisant les technologies et les compétences de Cisco, Network Appliance et de Verizon. Le groupe travaillant sur le développement applicatif a éliminé la plupart des 600 applications, la majorité d’entre elles étant mal intégrées. Il est passé de trois systèmes ERP à un seul, réduisant le go-to-market, consolidant les données ventes et marketing. Il a déplacé 85 applications dans le cloud privé et réparti le reste sur des solutions SaaS de type Box, Salesforce.com, Eloqua d'Oracle, Workday, WebEx de Cisco et autres solutions tierces.

Les défis n’ont pas manqué, en plus des subtilités techniques qui peuvent se poser dans une entreprise où les infrastructures sont partiellement intégrées. Symantec ne disposait pas d’un système de gestion du changement adapté. Il avait seulement rédigé une feuille de route expliquant comment les services étaient connectés aux applications, et comment ces applications étaient connectées aux données.  

Certaines tensions bienvenues se sont manifestées quand l'équipe de développement d'applications a encouragé l'équipe en charge de l'infrastructure à avancer plus rapidement afin de profiter des environnements stables offerts par les datacenters pour tester leur logiciel.

Scission de Symantec

Les équipes IT et les équipes commerciales de Symantec ont utilisés de grands tableaux blancs pour visualiser le rapport de dépendances existant entre les ventes, le marketing et d'autres processus d'affaires et les applications. (crédit : D.R.)

Réunions de crise entre l’IT et les commerciaux

Pour réfléchir ensemble sur les différents enjeux, l’IT et les équipes commerciales ont mis en place des réunions de crise, afin de permettre à tout un chacun de donner son avis et remonter toute information utile à la bonne gestion de la séparation. Les équipes de Symantec ont écrit noir sur blanc les dépendances pouvant exister entre les ventes, le marketing et d'autres processus d'affaires et les applications. À tout moment, les salariés pouvaient consulter l’avancement du travail sur de grands tableaux blancs, mais aussi identifier les manques. Au départ, les réunions avaient lieu tous les mois, mais à mesure que la date limite approchait, elles ont été programmées toutes les semaines. « Il est important de comprendre l'amont et l'aval » des processus d'affaires, a déclaré Sheila Jordan. Le cloud privé et le SDN ont été opérationnels au bout de quatre mois et demi, tandis que la rationalisation des applications a demandé neuf mois environ. Les processus ont donc été achevés bien avant l'échéance d’octobre. « Mon équipe a vraiment accompli une tâche herculéenne », a encore déclaré la DSI de Symantec. Ajoutant :

« Nous avons fourni à Veritas un environnement beaucoup plus propre, moins complexe et à l'échelle ». Le 29 janvier, suite aux négociations entamées en août avec Symantec, le fonds spéculatif Carlyle rachetait Veritas pour 7,4 milliards de dollars. Plus tôt ce mois-ci, Symantec a annoncé qu’il avait reçu un investissement de 500 millions de dollars de Silver Lake Management et qu’il restituerait 5,5 milliards de dollars aux actionnaires après la vente de Veritas.

Cette expérience a permis à Sheila Jordan de comprendre que pendant une cession, il ne faut jamais trop communiquer, même dans l’IT, où la communication n’est pas toujours le point fort. « Une des raisons, c’est que mon équipe a pu suivre le processus de gestion du changement étape par étape, et elle a pu identifier les lacunes et les redondances dont la nouvelle entité devait avoir conscience ». Selon Sheila Jordan, « on ne doit pas sous-estimer la gestion du changement. Nous avons fait un très bon travail, mais nous aurions pu aller encore plus loin », notamment pour réduire davantage l'impact sur les clients et les partenaires.