Sept, plus ou moins deux : telle serait la taille idéale pour une équipe agile, selon une idée communément rencontrée. Mais celle-ci reflète-t-elle la réalité des entreprises ? Michel Levaslot, créateur du club SAFe francophone, a choisi de se pencher sur ce critère de taille lors du keynote d'ouverture de la conférence Aquilité 2023. La deuxième édition de cet événement destiné à la communauté Lean et Agile, avec un focus sur la région du Grand Sud-Ouest, était organisée en ligne les 23 et 24 mai. Lors de ces deux journées, les participants ont pu écouter différents partages et retours d'expérience d'entreprises et d'acteurs publics, selon le souhait de Couthaïer Farfra, créateur de l'événement ainsi que d'Agile en Seine.

Pour démarrer, Michel Levaslot a tenté de remonter aux origines de ce nombre d'or si souvent évoqué pour la taille des équipes agiles. Selon ses recherches, la formule proviendrait des travaux du psychologue américain Georges Armitage Miller. Celui-ci est parvenu à cette conclusion en étudiant le nombre de stimuli que l'être humain parvient à mémoriser à court terme, soit 7, + /- 2 unités. Michel Levaslot s'est ensuite appuyé sur différentes sources pour essayer de dégager une plage commune de valeurs, croisant les approches et les avis.

Les petites équipes plus performantes ?

Dans un modèle purement mathématique, le nombre de relations interpersonnelles croît de façon exponentielle en fonction du nombre de personnes dans l'équipe : les tailles optimales semblent donc les plus petites. Mais, en considérant différents avis d'experts, issus notamment de la littérature sur Scrum ou SAFe, voire de Jeff Bezos, la médiane idéale se situe plutôt entre 5 et 6 personnes dans l'équipe. Michel Levaslot s'est également référé à une expérience menée par J. Richard Hackman et Neil Vidmar, des chercheurs en psychologie sociale et organisationnelle. Pour celle-ci, ces derniers ont réparti les participants en groupes allant de 2 à 7 personnes, puis leur ont demandé d'exécuter un certain nombre de tâches. À la fin, les participants devaient indiquer s'ils jugeaient leur groupe trop petit ou trop grand par rapport au travail demandé. Et les moins nombreux à avoir estimé la taille de leur groupe inadéquate provenaient d'équipes de 4 à 5 personnes. Une autre expérience, menée par l'ingénieur agronome Maximilien Ringelmann, a montré qu'au-delà d'un certain nombre de coéquipiers, l'effort total accompli stagnait (l'expérience initiale consistait à tirer une masse d'un poids donné en ajoutant à chaque fois une personne). Cet effet Ringelmann a ensuite été étudié pour déboucher sur la notion de « paresse sociale », l'hypothèse étant que l'investissement des participants décroît lorsque la taille du groupe augmente.

Pour son analyse, Michel Levaslot a également dressé une synthèse de quatre études de référence sur la productivité des équipes, observant des divergences sur la taille idéale. Le seul nombre en commun se situe autour de 5, qui figure tantôt dans la fourchette haute, tantôt dans la fourchette basse de la taille jugée optimale. Cependant, toutes les études convergent pour pointer un décrochage de la performance au-delà d'une dizaine/quinzaine de personnes, a-t-il fait remarquer.

Il a ensuite cité un article publié dans la Harvard Business Review, analysant des millions de brevets et d'idées publiées dans les revues scientifiques. Selon cette analyse, les concepts les plus disruptifs seraient plus susceptibles d'émaner d'auteurs en solo, l'innovation décroissant à chaque fois qu'un membre supplémentaire est ajouté à l'équipe. Enfin, pour conclure ces recherches, le créateur du club SAFe francophone s'est également référé aux nombres de l'anthropologue britannique Robin Dunbar. Celui-ci identifie différents cercles de relations autour d'une personne donnée, chacun avec une taille maximum multiple de 5. Les cercles avec le niveau de confiance le plus élevé sont les plus restreints. D'après le livre Team Topologies, qui s'inspire de ces travaux, le degré de confiance décroît dès 15 personnes. De fait, seules les organisations avec un très haut niveau de confiance peuvent avoir des équipes d'une quinzaine de personnes, une situation en réalité rarement présente.

Une médiane à 8 membres

Après la théorie, la pratique. L'année passée, Michel Levaslot a également réalisé un sondage en ligne sur les pratiques en cours dans les équipes agiles. Cette enquête a obtenu 210 réponses provenant de 108 entreprises, avec des répondants français, canadiens, suisses, marocains ou allemands. « Les équipes de huit membres sont les plus fréquentes, mais si l'on considère des fourchettes de +/- 2 personnes, c'est bien 7 +/- 2 qui se dégage, mais de peu », souligne Michel Levaslot. Ainsi, 61% des réponses entrent dans cet intervalle, tandis que 60% sont dans la fourchette 6 +/- 2 et 57% dans celle de 8 +/- 2. Détaillant les résultats, il observe que l'équipe type comporte entre 3 et 5 développeurs, un scrum master et un product owner. Mais d'autres fonctions complètent la donne, telles que testeurs, product managers, architectes, analystes métier, chefs de projet, opérations, UX designers, etc.

Globalement, les équipes sont plutôt satisfaites de leur taille actuelle (60% des répondants). Parmi celles qui aimeraient changer, la plupart du temps, ce serait plutôt pour revoir la taille à la hausse. « 30% des répondants sont dans ce cas, surtout dans les plus petites équipes, note Michel Levaslot. Et 10% seulement des répondants aimeraient revoir leur taille d'équipe à la baisse. » Interrogées sur les critères jugés les plus importants pour leur performance, les équipes placent la taille en dernière position : ce critère n'est ainsi pas considéré comme le plus déterminant, contrairement à ce que la littérature sur le sujet pourrait laisser supposer. Et la sécurité psychologique, qui arrivait en première place dans une étude menée par Google sur la performance des équipes (Aristote), n'arrive qu'en 4e position, pointe Michel Levaslot. En revanche, la clarté des objectifs et de la feuille de route se situe en tête, suivie par la confiance de l'équipe dans sa capacité à fournir un résultat de qualité.

Confiance et objectifs clairs


Principaux constats issus du sondage sur les équipes agiles mené par Michel Levaslot en 2022.

« Les études et les experts convergent vers une taille de 5 personnes pour les équipes les plus performantes, observant des baisses parfois drastiques de productivité au-delà de 10 à 15 personnes », résume Michel Levaslot. Cependant, différentes contraintes peuvent conduire à dépasser ce nombre : le fait de disposer de toutes les compétences nécessaires pour que l'équipe puisse être autonome dans son travail ; les risques de départ ou encore une répartition géographique sur plusieurs sites, un cas fréquemment observé dans le sondage. « Si les études se penchent principalement sur la taille, d'autres critères semblent bien plus importants pour l'efficacité d'une équipe, en particulier la confiance et la clarté des objectifs », conclut Michel Levaslot.