La relance du nucléaire fait partie des grandes ambitions du second quinquennat d'Emmanuel Macron. Dans un discours en amont de sa réélection, le président de la République avait annoncé la construction de 14 nouveaux réacteurs de type EPR2, dont six lancés immédiatement, et un programme visant à prolonger la durée de vie des réacteurs actuellement en fonctionnement. Un véritable électrochoc pour une filière qui a traversé un marasme profond long d'une décennie, depuis la catastrophe de Fukushima en 2011. « Cette expression claire de l'actionnaire principal, l'Etat, donne de la visibilité à la filière », se réjouit Vincent Champain, le directeur du digital et DSI du groupe Framatome. Tout en lui mettant une pression qu'elle n'avait plus connue depuis des décennies. La relance du nucléaire français, évaluée à 60 milliards d'euros sur quinze ans, devrait mobiliser des dizaines de milliers de personnes. Et le planning prévoit un démarrage des travaux avant la fin du quinquennat, en 2027, et la mise en service de 6 EPR2 entre 2035 et 2045. Le tout alors que le chantier du premier EPR français, à Flamanville, accuse dix ans de retard et a vu sa facture multipliée par 6 (à plus de 19 Md€).


La centrale de Penly en Seine-Maritime. Le site doit accueillir deux nouveaux EPR de seconde génération, avec une première mise en service attendue en 2035. (Photo : EDF)

La filière nucléaire française fait donc face à des enjeux d'accélération, d'industrialisation et de réduction des coûts, qui conditionnent le respect des scénarios de mix énergétique imaginés par l'Etat à moyen terme. « Or, un rapport d'une agence de l'OCDE, la Nuclear energy agency, identifie trois leviers pour réduire les coûts : les effets de volume, la baisse des coûts de financement, via la réduction des risques, et le digital », relève Vincent Champain. Selon lui, ce constat a poussé la filière à s'organiser autour de grands programmes et à travailler davantage en entreprise étendue, au sein de laquelle les échanges de données sont systématisés. Cette initiative, dont le chef de file en France est EDF, s'articule autour de quelques projets, comme le PLM, des outils permettant de remonter des rapports de façon automatique et en temps quasi-réel ou la mise en oeuvre de jumeaux numériques assurant une continuité entre les phases de construction et d'exploitation. « Ces projets s'accompagnent de règles de gouvernance qui sont en train d'être déployées, avec des standards communs sur la cybersécurité ou sur la gestion des droits et des accès », relève le DSI.

Un budget qui a progressé de 50 % depuis 2019

Pour Framatome, cette relance massive du nucléaire marque une brutale inversion de tendance. Après la séparation d'Areva en deux, la société, spécialisée dans la conception et la réalisation des réacteurs nucléaires, dans la fabrication d'équipements (comme les générateurs de vapeur) et des assemblages de combustibles ainsi que dans les services de maintenance, a traversé une période de forte pression sur ses coûts. Tendance qui a, bien-sûr, affecté la DSI de ce groupe de 18 000 personnes. « La première transition majeure consiste à passer d'un contexte très contraint à un monde marqué par des projets très critiques, à fort impact. Nous sommes aujourd'hui au milieu du gué dans cette transition », reprend le DSI. Ce dernier indique par exemple que les moyens de la DSI ont progressé de 50% depuis 2019, avec un effort majeur sur les projets ainsi que sur la cybersécurité.


Des techniciens vérifient le bon alignement de tubes pour générateurs de vapeur, au sein de l'usine Valinox achetée en 2021 par Framatome. (Photo : D.R.)

« Pour mener à bien cette transition, nous avons dû remettre en place des basiques, comme le réseau, la rationalisation du portefeuille applicatif ou la cybersécurité », précise Nathalie Brunet Hilmoine, en charge des acquisitions, de la qualité de service et de la communication au sein de la DSI. Sans oublier les chantiers nés de l'intégration des entreprises que rachète Framatome, comme l'activité de contrôle-commande de Rolls-Royce Civil Nuclear (rachetée fin 2021) ou celle de Valinox, spécialisé dans la fabrication de tubes en acier inoxydable (une activité située à Montbard, en Côte d'Or, reprise en juin 2021). « Ce qui se traduit par des sujets d'intégration en matière de systèmes d'information, dans des délais très millimétrés, afin d'amener ces activités au niveau d'industrialisation et de standardisation souhaité », reprend le DSI.

Le PLM, un projet structurant

En parallèle de la remise à plat de ces fondations, la DSI de l'industriel - environ 400 personnes au total (en cumulant l'IT et le département Digital Performance), déploie de premiers projets en ligne avec la numérisation de la filière. Comme un portail fournisseurs, offrant une vision consolidée des achats. Ou comme le lancement des premières inspections à distance, via une solution appelée Vcall mise au point durant la pandémie de Covid. En mars 2022, ce système a été exploité pour une inspection de qualification à distance d'un composant de grande taille, pour le projet Hinkley Point C au Royaume-Uni.


Vincent Champain, directeur du digital et DSI du groupe Framatome : « Le PLM a devenir une des clefs de voute de notre système d'information ». (Photo : D.R.)

« Nous déployons aussi des démarches d'industrie 4.0, comme l'usage d'analytiques dans nos processus de production », ajoute le DSI. La société travaille également à optimiser ses temps de cycle : « nous cherchons en particulier à maximiser le temps d'usinage. C'est un chantier de long terme et un des piliers de l'industrialisation du groupe », dit Vincent Champain. Framatome déploie aussi un MES afin de porter la transformation de ses usines, sur les sites où un tel outil fait sens.

Mais la priorité n°1 de la DSI de l'industriel pour 2024 reste la poursuite du déploiement du PLM, « un chantier massif, se traduisant par des investissements significatifs », selon Vincent Champain. Aux côtés de la cybersécurité, le sujet bénéficie d'un plan de réinternalisation des compétences. Censé fluidifier les échanges de données entre l'ingénierie et la production, l'outil, qui est connecté à celui d'EDF, entre aujourd'hui dans sa phase de production, « où il est mis progressivement entre les mains des cols bleus ». A terme, il comptera plus de 4 000 utilisateurs et « va devenir une des clefs de voute de notre système d'information », selon le DSI.