En fin de semaine dernière, Google Cloud a surpris le marché en annonçant la suppression des frais de transfert de données pour les clients qui changent de fournisseurs de cloud. Une décision qui ne doit rien au hasard. Selon les analystes, elle est surtout une réponse aux autorités de concurrence européennes qui enquêtent sur le marché du cloud. « Il semble que la suppression de ces frais par Google est plus une mesure stratégique destinée à rassurer les régulateurs qui enquêtent sur la position anti-trust des fournisseurs de services de cloud public, en particulier au Royaume-Uni et en Europe, et à faciliter la migration des clients hors des services Google Cloud », a déclaré Steven Dickens, vice-président de la pratique cloud hybride chez The Futurum Group.

Dans son billet de blog, Google Cloud a profité aussi de l’annonce pour tacler la concurrence. « Certains fournisseurs traditionnels s'appuient sur leurs monopoles logiciels sur site pour créer des monopoles dans le cloud, en utilisant des pratiques restrictives en matière de licences qui verrouillent les clients et entravent la concurrence », explique Amit Zavery, vice-président et responsable des plates-formes chez Google Cloud. Il vise bien évidemment Microsoft avec son offre Microsoft365 basé sur Azure.

Un secteur sous haute surveillance

Concernant le marché cloud, les enquêtes se sont multipliées ces derniers mois en Europe. En juillet dernier, c’est le Royaume-Uni par l’intermédiaire de l’Ofcom qui a saisi le CMA (competition and markets authority) d’enquêter sur les pratiques anti-concurrentielles dans le cloud. Le rapport provisoire indique que les clients actuels du cloud au Royaume-Uni paient plus qu'ils ne le devraient pour leur infrastructure cloud ou doivent se contenter de services de qualité médiocre et que l'autorité de régulation a entendu les préoccupations de certains clients concernant leur incapacité à changer de fournisseur ou à utiliser plusieurs fournisseurs. En octobre, l'autorité britannique de la concurrence et des marchés a lancé une enquête antitrust sur les services cloud de Microsoft et d'Amazon. En novembre, Google Cloud a également fait part à la CMA d'une lettre accusant Microsoft de pratiques anticoncurrentielles en matière d'offres de services cloud, suivie en décembre d'une lettre d'AWS, qui accusait également Microsoft.

En décembre, l'Union Européenne a aussi fait savoir que ses enquêtes antitrust sur les fournisseurs de services cloud étaient toujours en cours. La France n’est pas en reste avec l’Autorité de la concurrence qui a rendu un rapport en juin 2023 portant sur l’ensemble des pratiques litigieuses des fournisseurs de cloud dominants. De plus, en juin de l'année dernière, Google a déposé une plainte auprès de l’US Federal Trade Commission (FTC), la Commission fédérale du commerce des États-Unis, alléguant que Microsoft piégeait les entreprises clientes dans son cloud. « La décision de Google de renoncer aux frais de sortie lors du transfert de données est une mesure de protection contre la surveillance réglementaire en cours et un moyen de gagner de la sympathie, en particulier auprès des régulateurs de l'Union européenne. Dans ce contexte, l'impact sur les revenus sera beaucoup moins important que les amendes potentielles en aval », a déclaré Stevens Dickens.

Amadouer les régulateurs

« La théorie de M. Dickens est également étayée par le calendrier de l'annonce, intervenue dans les 24 heures après l'entrée en vigueur du Data Act, la loi européenne sur les données », a déclaré Hyoun Park, analyste en chef chez Amalgam Insights. Selon l’UE, cette loi devrait améliorer l'accès aux données. « Le moment est trop bien choisi. Cette loi définit une série d'exigences pour les fournisseurs de services cloud basés dans l'Union européenne et leur accorde un délai de 20 mois pour s'y conformer. Google a choisi de se conformer aux aspects de cette loi relatifs à la sortie des données dès le premier jour et d'en faire la publicité à l'échelle mondiale », a expliqué M. Park, ajoutant que selon lui, AWS et Microsoft lui emboîteraient bientôt le pas.

D'autre part, les analystes estiment que la décision de Google de renoncer aux frais de sortie devrait être de bon augure pour les entreprises clientes. « Les clients de toutes les entreprises du cloud sont très remontés à cause des frais de sortie exorbitants, au point qu’ils ne veulent pas changer de fournisseur à cause de ces frais », a déclaré Maribel Lopez de Lopez Research qui estime que ces frais sont utilisés pour verrouiller les entreprises. Steven Dickens de Futurum Group pense aussi que la renonciation aux frais s'aligne sur le mouvement plus large de l'industrie vers la réduction ou la suppression des frais de sortie des données, comme en témoigne la formation de la Bandwidth Alliance en 2018, qui comprend plusieurs grands fournisseurs de cloud engagés dans la réduction de ces coûts.

Une gratuité des frais de sortie sous conditions

Mais, si l'idée de l'exonération des frais de sortie semble bienveillante, un examen plus approfondi de la section des questions fréquemment posées (FAQ) de l'annonce risque de fâcher certaines entreprises. D’abord, toute société qui souhaite bénéficier de l'exonération des frais de transfert de données doit mettre fin à sa relation avec Google Cloud et à tous ses services. Ensuite, l'exonération sera applicable tant que le client transférera toutes ses données hors de Google Cloud « dans les 60 jours suivant l'approbation de l'éligibilité » et la résiliation de son contrat. Par ailleurs, chaque entité devra soumettre une demande d'exonération des frais et celle-ci sera examinée au cas par cas par l'équipe de Google Cloud.

La marche à suivre est indiquée ici. « L'équipe d'assistance de Google Cloud examinera la demande et vous informera de la date à laquelle vous pourrez entreprendre gratuitement la migration de toutes vos charges de travail et données de Google Cloud vers un autre fournisseur de services cloud ou un centre de données sur site en prévision de la résiliation de votre contrat Google Cloud », a écrit Google dans un billet. La FAQ mentionne également que seules les données stockées dans le cadre des services BigQuery, Cloud Bigtable, Cloud SQL, Cloud Storage, Datastore, Filestore, Spanner et Persistent Disk, sont éligibles au transfert gratuit.