À l'occasion du salon Tech for retail, qui s'est tenu fin novembre à Paris, le CIO de LVMH a rappelé l'importance prise par l'IT dans la stratégie du groupe de luxe depuis 4 ou 5 ans. Le groupe, qui emploie 200 000 personnes dans ses 75 maisons dans 110 pays, et a engrangé un CA de 79 Md€ en 2022, a mis en marche une globalisation et une harmonisation de son SI. Au programme, data, IA, Blockchain et NFT, mais aussi la rationalisation de l'infrastructure et une gouvernance qui s'appuie sur les 5 grandes divisions du groupe.

« L'IT outille au moins 6 thématiques », explique Franck Le Moal, avant de les détailler. Pour commencer, il s'agit de soutenir la performance des magasins et leur capacité à interagir de façon personnalisée avec les clients. Ensuite, la DSI accompagne la logistique et la supply chain très spécifique de produits rares comme ceux du luxe. « Nous sommes des retailers, insiste le CIO. Mais sans nos producteurs et artisans, le retail n'est rien. » Ce qui conduit vers le 3e domaine soutenu par la tech : le cycle de développement produit. Un sujet sensible au coeur de l'activité et de l'histoire des maisons de luxe. « Il ne s'agit évidemment pas de remplacer les artisans, mais de leur permettre d'être plus efficaces, en soulageant par exemple des gestes difficiles à exécuter. » Le groupe travaille également à améliorer la traçabilité et la transparence de ses processus de supply chain ainsi que sur des dispositifs tels que sa 3D factory. 4e cible pour l'IT, la collaboration des équipes. « Nous sommes 200 000 employés répartis dans 110 pays, rappelle le CIO. Nous devons investir pour développer une intelligence et une performance collectives. »

Personnaliser la relation clients omnicanale

Les 5e et 6e objectifs présentés par Franck Le Moal concernent directement la DSI. Il s'agit d'une part d'accélérer la modernisation des couches basses du SI de LVMH pour soutenir les projets métier, en particulier en rationalisant l'infrastructure et en généralisant un cadre de cybersécurité à l'ensemble du groupe. Et d'autre part, de renforcer les équipes IT. « La DSI compte 3000 employés, précise le CIO. Nous recrutons dans les métiers traditionnels de l'IT, mais nous nous ouvrons aussi à de nouvelles expertises. »

Exemple concret de l'impact de la tech sur l'activité du groupe de luxe, l'omnicanalité. « La consommation omnicanale est en général principalement tirée par le e-commerce, précise le CIO. Je préfère parler d'omniretail. Il s'agit de respecter réellement la promesse de logique omnicanale entre les magasins, les vendeurs, les centres d'appels clients et le e-commerce. Le plus important étant de proposer une expérience sans couture, quel que soit le point de contact. Nous sommes par exemple obsédés par le "clienteling" (personnalisation de la relation client en magasin avec le numérique, NDLR). » Depuis 3 ans, 65 000 vendeurs du groupe ont ainsi été équipés d'un iPhone et d'une app spécifique pour interagir avant, pendant et après la visite en magasin, avec du "remote sale" ou des interactions dans les médias sociaux pour du conseil à distance, etc. « Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est d'avoir un conseiller augmenté, poursuit le CIO, soutenu par un parcours omnicanal et une gestion des stocks adaptée à l'omnicanal. »

Un partenariat sur l'IA avec Stanford

Comme Franck Le Moal le raconte, le groupe a aussi accéléré son travail sur la data depuis environ 2 ans, en particulier autour de la qualité des données. Il a aussi mis en place une gouvernance spécifique. « On voit dans la plupart des grandes maisons du groupe émerger des chief data officers qui coordonnent et animent différents métiers dans la fabrication, la supply chain, le clienteling, le marketing, etc. pour une gouvernance cohérente de la donnée. » Des démarches indispensables en particulier aux projets d'IA et d'IA générative du groupe. LVMH se concentre principalement sur 3 utilisations principales de l'intelligence artificielle. La personnalisation de la relation clients, la supply chain et les prévisions de ventes, et enfin la production. Pour les deux derniers, il cherche à mieux prévoir les réassorts, l'écoulement des produits, les ventes, et ainsi à « envoyer le bon signal » aux ateliers de production. « C'est d'autant plus important, précise Franck Le Moal, quand on doit acheter, comme c'est notre cas, des matières rares. »

Le DSI évoque également l'intérêt que le groupe a porté à l'IA générative proprement dite, dès son apparition publique avec ChatGPT, le 30 novembre 2022. Mais il reste prudent, secteur du luxe oblige, et tient à réaffirmer : « nous sommes des designers, des créateurs, des artisans, et l'IA et l'IA générative vont soutenir, augmenter, mais nullement remplacer nos métiers. Nous avons d'ailleurs édicté, dès le mois de mai 2023, une charte des "do and don't" de l'IA générative. Et nous venons de signer, le 20 novembre, un partenariat avec Stanford HAI, le human-centered artificial intelligence institute de l'université californienne, pour travailler sur des projets de recherche en IA avec une logique éthique de respect des principes, des personnes et des approches en matière d'IA générative. »

Blockchain et NFT pour garantir authenticité et traçabilité

Le monde du luxe est un des secteurs les plus friands d'innovations numériques et technologiques : métavers, blockchain, NFT et désormais IA générative, bien sûr. LVMH ne fait pas exception. Et si l'IA générative a balayé le web 3 qui occupait le coeur des conversations autour de l'IT en 2022, le géant n'a pour autant abandonné ni les NFT ni la blockchain. « L'unicité, l'authenticité, la valorisation de matière extrêmement qualitative et rare est essentielle dans notre secteur, explique ainsi le CIO du groupe. Tout ce qui va rassurer nos clients en la matière est essentiel. Or, nous sommes convaincus que la blockchain et les NFT constituent les outils de la transparence et de la garantie d'authenticité de demain. C'est d'autant plus central avec l'arrivée de réglementations européennes concernant le parcours des matières premières d'ici à 2030. Nous avons d'ailleurs fondé en avril 2021 le Aura blockchain consortium avec le groupe Prada, Onlythebrave, Richemont et Mercedes-Benz pour développer les usages de la blockchain dans le secteur du luxe, et mettre en place les fondamentaux de cette traçabilité, de ce digital product passport auquel nous croyons beaucoup. Cela pourrait aussi favoriser un comportement d'achat différent des nouvelles générations vis-à-vis du luxe. »

Chez LVMH, malgré la concurrence qui perdure entre certaines de marques, l'IT est devenue un vecteur de convergence, de collaboration, de travail commun. Une démarche passée par la création d'équipes IT groupe pour assurer une cohérence technologique de base ou encore une quasi-globalisation de la cybersécurité. Toujours en expansion, le groupe a décidé d'appuyer sa stratégie IT sur les relais que sont ses 5 grandes divisions : parfums et cosmétiques, mode et maroquinerie, vins et spiritueux, montres et joaillerie, selective distribution. Elles jouent le rôle d'instances de coordination et de pilotage des 75 marques que compte LVMH. Enfin, la DSI préfère se focaliser sur 20 à 25 de ces dernières « de plus en plus exemplaires en matière de collaboration et de fonctionnement ».

S'appuyer sur les grands de l'IT

« Nous avons des partenariats avec des start-up, poursuit le CIO. Mais nous nous appuyons aussi sur de grands acteurs de l'IT qui font office de centres d'expertises pour nos maisons, afin qu'elles s'approprient les technologies. » Le groupe généralise ainsi sa plate-forme de e-commerce et sa solution de clienteling avec Salesforce, ou encore ses solutions en point de vente avec Cegid. Apple fournit les équipements mobiles de ses vendeurs, mais contribue aussi à la modernisation de ses magasins avec des dispositifs comme Tap-to-pay, déployé depuis juin, par exemple. « Pour les hyperscalers, avons annoncé en 2021 un partenariat avec Google Cloud, et nous travaillons sur l'équivalent avec Alibaba Cloud. Nous utilisons aussi Microsoft Azure », ajoute Franck Le Moal. Enfin, le groupe veut réduire de 20% son impact IT d'ici à 2026 en travaillant sur le design du SI, la formation, la mesure et la rationalisation des architectures et des infrastructures. « L'harmonisation et la rationalisation du SI rendent l'entreprise plus efficace, mais elles réduisent aussi son empreinte environnementale », rappelle Franck Le Moal.