Novell et Microsoft ont signé hier un large accord de coopération portant sur l'interopérabilité entre la distribution Suse Linux et les technologies Windows et Office. L'annonce est un tournant pour les deux sociétés qui ont passé une large partie des quinze dernières années à s'affronter sur le marché (avec le résultat que l'on sait pour Novell) puis dans les tribunaux. Il est particulièrement symbolique pour Novell, dont Microsoft a été la Némésis, et qui n'a eu de cesse, quelque soit son CEO, de faire du géant de Redmond son principal concurrent. Un accord technologique Avec l'accord signé hier, cette page est désormais (ou du moins provisoirement) tournée. Microsoft et Novell vont désormais collaborer sur trois domaines techniques clés: virtualisation, services Web et Open Document, afin d'assurer l'interopérabilité de leurs solutions. L'objectif affiché par les deux sociétés est de permettre une cohabitation harmonieuse entre les environnements Linux et Windows au sein des datacenters. Par exemple, Microsoft supportera pleinement Windows sur l'implémentation Xen de Suse, alors qu'il se refuse à le faire pour VMware et les autres distributions Linux... De même, "toutes les technologies de type Samba ou Mono sont couvertes par l'accord" explique Bernard Ourghanlian, le CTO de Microsoft France. Avec toutefois une exception notable : WINE dont la technologie est considérée comme une tentative de clonage par Microsoft et qui de ce fait est exclue du champ de l'accord. Une protection juridique contre la violation des brevets Microsoft Un autre aspect essentiel de l'accord porte sur la propriété intellectuelle. Selon les termes de l'accord Novell a acquis une licence des brevets essentiels de Microsoft et l'éditeur de Redmond s'engage à ne pas exercer "ses droits" sur toute technologie incorporée dans Suse Linux. De la même façon, les développeurs à but non commercial et les utilisateurs individuels sont protégés de toute poursuite par l'accord. Bien évidemment, le parapluie juridique de Microsoft se limite à la distribution de Suse et ne concerne pas les autres distributions. De fait, fort de l'accord avec Novell, Microsoft, et son directeur des affaires juridiques, Brad Smith, continuent d'agiter le chiffon rouge de la propriété intellectuelle en direction des autres partisans de Linux. Le géant continue de suggérer que Linux enfreint certains de ses brevets et contrevient à sa propriété intellectuelle, même si lors de la conférence, Brad Smith s'est bien gardé de répondre à la question de savoir si Red Hat viole la propriété intellectuelle du géant de Redmond. En fait il y a un pas entre les rodomontades de l'éditeur et d'éventuels actes contre des éditeurs ou utilisateurs de distributions Linux. Le jeu des brevets et de la propriété intellectuelle est tel dans le monde du logiciel que sa mise en pratique relève largement de la destruction mutuelle assurée. Et on voit mal comment Microsoft pourrait s'en prendre à IBM, Red Hat ou Oracle, et au travers d'eux à quelques millions de sociétés qui sont aussi ses clientes sans courir le risque d'être accusé d'abuser de sa position dominante dans plusieurs pays. Un risque de fragmentation de la communauté Linux ? Bruce Perens, un avocat bien connu des solutions libres, estime en revanche que l'accord comporte une menace plus voilée de fragmentation de la communauté du libre. Pour lui le risque est le suivant :"[Ce que dit Microsoft est que] vous devez achetez la distribution Linux de Novell comprenant la licence des technologies Microsoft, ou il y aura une menace implicite que Microsoft vienne frapper à votre porte pour faire valoir ses droits". Pour Perens, l'accord signé avec Novell mérite d'être analysé en détail car il pourrait "être en violation de la licence GPL". En fait, Novell qui jusqu'alors faisait front commun avec les autres acteurs du Libre sur le sujet des brevets, a préféré mettre ses propres intérêts et ceux de ses clients en avant, plutôt que de poursuivre sur la ligne communautaire. Une position dont il faudra voir à l'usage quel impact elle aura sur l'attitude des développeurs libres vis à vis de la firme, surtout si Novell conserve en interne certaines des technologies marquées du fer Microsoft. Chez Red Hat, où l'on se remet déjà difficilement de l'annonce par Oracle de sa propre offre de support, la "trahison" de Novell clôture une semaine difficile. Reste désormais à savoir si l'appui de Microsoft suffira à Novell pour regagner des parts de marché face à Red Hat. Notons enfin pour terminer que l'accord signé entre Microsoft et Novell n'affecte pas les poursuites antitrust engagées par Novell contre le géant de Redmond au sujet de WordPerfect. On peut être amis et conserver quelques désaccords.