L'intelligence artificielle, c'est génial. Le machine learning, c'est formidable. Voilà ce qu'on lit habituellement dans la plupart des ouvrages, livres blancs et témoignages divers sur ce sujet, y compris dans nos colonnes. Ecouter une expression dissonante fait partie d'une bonne hygiène intellectuelle. Et avec « Décrochages », de Romain Kroës, paru chez Fyp Editions, on est servi. Voilà au moins un auteur qui n'aime pas l'IA et l'automatisation et explique pourquoi.

Pilote d'avion, commandant de bord puis instructeur, Romain Kroës tire ses principaux exemples et l'origine de ses convictions de son expérience professionnelle. Le « décrochage », c'est avant tout celui des avions. A l'écouter, un pilote bien formé sait affronter sans erreur tous les incidents possibles et une machine ne peut finalement n'être qu'une gêne, une source d'indications faussées. Les analyses des cas de plusieurs crashs servent d'argument mais c'est là la principale faiblesse : personne ne conteste qu'une IA n'est aucunement infaillible. Et c'est même la raison d'être des pilotes à bord.

Des constats initiaux concernant le pilotage aérien, l'auteur étend ensuite son raisonnement. Et la critique du positivisme scientiste, caricatural sous sa plume, se mue un peu trop en négativisme. La machine qui automatise les tâches répétitives devient celle qui rend esclave et surcharge l'humain, le rendant plus malheureux qu'à l'époque où il n'était qu'un bon sauvage. Si Romain Kroës se moque de l'expression de « canuts de l'air » (par référence à la destruction des métiers à tisser par les ouvriers lyonnais), il faut bien admettre que celle-ci est tout à fait justifiée. Mais comprendre les inconvénients (souvent parfaitement réels) des IA et autres automatisations est nécessaire pour que, effectivement, la machine serve l'homme et non l'inverse. En cela, lire « Décrochages » est nécessaire à notre époque.