Hier, dans les plaidoiries finales du procès opposant Hewlett-Packard et Oracle, les avocats des deux parties se sont affrontés une dernière fois sur la question des obligations incombant aux éditeurs de logiciels indépendants (ISV) vis-à-vis des fabricants de hardware. De son côté, Jeff Thomas, le principal avocat de HP dans le procès, maintient que « l'accord, dit Hurd Agreement, signé en 2010, engageait les deux entreprises à continuer à travailler ensemble comme par le passé », c'est-à-dire avant la crise provoquée par le recrutement de Mark Hurd, l'ancien patron de HP, par Oracle, et « obligeait Oracle à poursuivre le portage des nouvelles versions de sa base de données et d'autres logiciels pour les systèmes Itanium ». Mais, selon Daniel Wall, l'avocat d'Oracle, « en tant qu'éditeur indépendant de logiciels, Oracle avait le pouvoir discrétionnaire d'arrêter le portage de ses logiciels sur Itanium avant l'Accord Hurd. Et même si cet accord invitait à revenir à un statu quo, Oracle conservait encore toute liberté de mettre fin au portage ». C'est la dernière fois que le juge James Kleinberg de la Cour Supérieure du comté de Santa Clara entendra les réquisitions et les plaidoiries des avocats. C'est à lui désormais de trancher pour dire si les deux entreprises avaient conclu ou non un contrat pour garantir le portage vers Itanium. Si c'est le cas, un jury devra se prononcer pour dire si Oracle a rompu ce contrat. Les deux parties ont jusqu'au 16 juillet pour déposer leurs mémoires. La décision du juge devrait intervenir peu de temps après cette date.

Un fournisseur devenu concurrent

En juin 2011, HP a porté plainte contre Oracle. Au mois de mars précédent, l'éditeur avait annoncé que ses futures versions logicielles ne seraient plus compatibles avec les systèmes Itanium, une architecture processeur que HP a développé avec Intel pour ses serveurs critiques auparavant équipés de puces PA-Risc. Oracle dit avoir pris cette décision après avoir appris par Intel que HP avait l'intention de révoquer progressivement ses systèmes Itanium. À l'exception de quelques appliances très spécialisées, HP est le principal client d'Intel pour les serveurs animés par des puces Itanium.

Mais les tensions entre les deux entreprises datent sans doute de l'année 2010, quand Oracle s'est posé comme concurrent de HP sur le marché des serveurs, suite au rachat de Sun Microsystems. Par la suite, les deux entreprises se sont à nouveau heurtées. Un mois après avoir été démis de ses fonctions à la tête de HP, Mark Hurd était recruté par Oracle au poste de coprésident. HP a porté plainte contre Mark Hurd, au motif qu'il avait les moyens de prendre des décisions pouvant nuire à son ancien employeur. Le Hurd Agreement annoncé le 20 septembre 2010 devait combler le fossé qui s'était creusé entre les deux entreprises.

Mais, l'animosité entre HP et Oracle a encore empiré. Peu de temps après l'affaire Hurd, HP a recruté l'ancien dirigeant d'Oracle, Ray Lane, et l'ancien patron de SAP, Leo Apotheker, deux ennemis bien connus d'Oracle. Selon HP, en abandonnant le support Itanium, Oracle avait aussi l'intention de détourner les utilisateurs Itanium sur ses propres plates-formes matérielles (Sparc mais surtout x86).

L'Accord Hurd sujet à interprétation

Dans sa plaidoirie en faveur d'Oracle, l'avocat Daniel Wall a expliqué que « les ISV sont indépendants, car ils sont maitres de leurs intérêts commerciaux et décident eux-mêmes pour quelles plates-formes développer leurs logiciels ». « Le fait qu'Oracle ait vendu des produits pour les systèmes Itanium pendant 10 tns ne crée pas une obligation permanente », a-t-il déclaré. « Évidemment, cela n'est pas fait pour plaire au partenaire. C'est une question de business », a ajouté M. Wall. « Si HP avait voulu passer avec Oracle un contrat de portage, il en aurait négocié un, comme les deux entreprises l'ont fait pour Oracle E-Business Suite », a-t-il encore ajouté.

Selon l'avocat de HP, avec l'Accord Hurd, Oracle et HP se sont entendus sur des modalités spécifiques, y compris sur l'engagement de portage pour Itanium, mais Oracle a demandé à ce que les termes du contrat final restent plus généraux. « Oracle a assuré le portage de son logiciel pour les systèmes Itanium pendant des années sans contrat et a encouragé HP à dépendre de son logiciel », a déclaré Jeff Thomas. Pendant le procès, HP a déclaré qu'environ 80% des clients Itanium utilisaient les logiciels d'Oracle. « Quand la relation s'est dégradée, HP a demandé à Oracle de traduire ces garanties dans un contrat formel engageant les parties, et Oracle a accepté de le faire », a ajouté l'avocat d'HP.

Au cours du mois passé, les témoignages se sont succédés, pour relater, parfois avec émotion, les effets de l'annonce d'Oracle concernant le portage, plus d'autres événements, jusqu'à la façon dont a été rédigé le fameux Accord Hurd. La défense de HP a fait aussi souvent référence à un message électronique envoyé par Dorian Daley, le conseil d'Oracle, pendant les négociations du Hurd Agreement, concernant spécifiquement le portage vers Itanium. Selon, HP, Oracle n'a jamais démenti les éléments de ce message. Selon Oracle, son coprésident, Safra Catz, n'a jamais pris l'engagement de ce portage et en a explicitement rejeté l'idée lors d'entretiens qu'Oracle avait eue avec l'ancienne dirigeante d'HP, Ann Livermore. Selon Safra Catz, le document « ne visait rient de plus que réaffirmer un partenariat ».

Une décision cruciale pour l'avenir de l'éco-système Itanium

Pas mal de choses sont en jeu pour les deux entreprises, mis à part les dizaines de milliers de clients communs et les milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel que cela représente. La plateforme HP-UX/Itanium de HP, et les solutions Sparc/Solaris d'Oracle, acquises avec Sun Microsystems début 2010, sont des systèmes haut de gamme conçus pour des clients de premier plan, que ce soit au niveau du gouvernement ou des entreprises privées.

HP veut obtenir des dommages et intérêts qui n'ont pas été évalués et une ordonnance qui forcerait Oracle à faire trois choses : continuer le portage de tous les produits disponibles pour la plate-forme Itanium avant le recrutement de Mark Hurd ; maintenir le portage jusqu'à ce que HP arrête la vente de sa ligne de serveurs ; ne pas faire payer HP pour ce portage.

Oracle a déposé une demande contradictoire dans laquelle elle déclare que HP a secrètement envisagé de mettre fin aux systèmes Itanium et que l'entreprise a porté atteinte à sa réputation en affirmant que les accusations d'Oracle étaient fausses.