Avec la crise de l’énergie, Schneider Electric, la multinationale française spécialisée dans l'automatisation et la gestion des ressources énergétiques, a renforcé ses activités dans un secteur clef pour les entreprises et les hyperscalers. Qu'il s'agisse des équipements moyenne tension, des systèmes de gestion des bâtiments ou des solutions de refroidissement pour datacenters, Schneider Electric travaille à la sécurisation de l’énergie avec une plus grande maitrise de la consommation des systèmes de refroidissement. La semaine dernière, nous avons pu visiter un centre de production de l’entreprise à Conselve, près de Padoue en Italie, dans la vallée de l’air. Cette dernière rassemble à la fois les concurrents et les sous-traitants de la firme française, spécialisés dans les systèmes de refroidissement. Marc Garner, vice-président en charge de l’activité Secure Power Europe et Andrew Bratner general manager cooling business chez Schneider Electric nous ont fait découvrir les dernières actualités et perspectives du fournisseur. La division Secure Power gère la commercialisation des onduleurs UPS monophasés et triphasés, des systèmes de refroidissement pour racks et datacenters (air, immersion et boucle d’eau réfrigérée) et le développement de designs PDU (Power Distribution Unit) dans le cadre d'une alimentation sécurisée.  

 « Schneider Electric évolue sur un marché incertain et volatile pour cause de variation du prix de l’énergie, nous a expliqué Marc Garner lors d’un point presse à Conselve, mais les opportunités commerciales restent importantes pour l’activité datacenter, notamment avec tous les enjeux liés à la durabilité et la décarbonation ». Les clients et partenaires de Schneider Electric lui demandent d'améliorer la conception des équipements pour datacenters pour les aider à devenir plus durables dans leur déploiement. L’approche du fournisseur passe aujourd’hui par le concept d’Electricité 4.0. « Au niveau économique, l’Europe est devenue moins attractive pour les investissements étrangers, de sorte que les investissements directs européens dans l’UE ont chuté de 66 % et les investissements nouveaux de 15 %. L’année dernière, à la même époque, aux États-Unis nous relevons une augmentation de 63 % contre 18 % pour les nouveaux investissements. La raison invoquée est que le coût de l’énergie est bien meilleur et bien plus facile à déployer aux États-Unis qu’en Europe [...] Nous allons devoir améliorer les datacenters pour mieux les gérer, les piloter plus efficacement, mieux utiliser l’énergie qu'ils consomment. Le tout grâce à une meilleure exploitation des données avec un recours l’IA pour affiner les analyses ».  

La prise de photos était interdite dans l'usine de Schneider Electric à Conselve, mais le parking était encombré de systèmes de refroidissement prêt à partir. (Crédit S.L.)

Electricité 4.0 pour économiser l'énergie

Pour avancer sur ces sujets, Schneider Electric privilégie le partenariat avec ses clients. Chez Stack Infrastructure, à Siziano près de Milan, le spécialiste français a travaillé avec d’autres fournisseurs pour équiper ce datacenter de 28 000 m2 (MIL01, MIL02A, MI03A et MIL08) installé sur une parcelle de 10 hectares. D’une puissance de 22 MW (en énergie renouvelable), cette installation fait appel au refroidissement par air (17 à 21°), avec un complément par eau réfrigéré si besoin, pour refroidir les racks et les salles informatiques. Nous reviendrons plus longuement dans un autre sujet sur cette installation dans la banlieue de Milan. « Les datacenters seront toujours de grand consommateur d’énergie, mais avec l’automatisation, il est possible de changer les choses en utilisant les données pour réduire les gaspillages [...] Tous les équipements qui entrent dans le bâtiment doivent être connectés. Ils doivent être équipés de capteurs qui nous permettent de prendre des décisions plus intelligentes quant à la manière dont nous les utilisons. Et le recours à la simulation numérique permet de comprendre la cause et l'effet avant qu'ils ne se produisent réellement. Nous avons tout cela dans notre portefeuille en tant que fournisseur, y compris la capacité d'acheter et de vendre de l'énergie pour nos clients ».  

Dans le cadre du concept Electricité 4.0, Schneider et d’autres fournisseurs – comme Rittal,  Asetek ou CoolIT Systems - viennent aider les entreprises et les hébergeurs à mieux gérer leur consommation et leur facture énergétique.  « L'industrie des centres de données est classée comme une infrastructure critique, aux côtés de l'eau et du réseau. Avec l’augmentation de la demande en numérique, l'empreinte électrique dans les centres de données devrait augmenter de 50 % d'ici 2025. Cette croissante passent par plus de recours à l’IA, et un trafic des données IP 140 fois plus élevé en 2040. Et dans les huit prochaines années, nous voyons que les besoins énergétiques vont être multiplier par quatre pour le cloud et l’edge. La valeur économique issue des centres de données et des services cloud en Europe, dans tous les États membres, atteindra 7 milliards d'ici 2030. Et il y a ici un point intéressant concernant les prévisions d'emplois. On prévoit donc une augmentation d'environ 75 000 emplois au cours des huit prochaines années dans le secteur des centres de données ». Précisons que la majorité des emplois créés concernent des postes d’agents de la sécurité, d’électriciens et de techniciens en mécanique.  

L'eau réfrigérée pour accompagner l'air  

« Autrefois, les centres de données étaient essentiellement conçus pour être optimisés en fonction d'un emplacement spécifique. Ce que nous constatons aujourd’hui, c'est que nos clients abandonnent des solutions peut-être hautement personnalisées, spécifiques à une latitude ou à un emplacement, et s'orientent davantage vers un système standardisé qui répondra à 80 % de leurs besoins. Et peut-être que oui, il y a encore une optimisation du dernier kilomètre, ou un besoin de personnalisation pour des zones spécifiques qui sont difficiles, peut-être des climats plus chauds, qui peuvent nécessiter une solution spécifique, mais les entreprises cherchent désormais à standardiser leurs datacenters. Et pour ce faire, ils ont tendance à s'orienter vers des solutions à eau réfrigérée, car cela leur donne une meilleure flexibilité pour faire face aux changements climatiques » , nous a expliqué à Conselve Andrew Bratner, general manager cooling business chez Schneider Electric. La firme constate un grand intérêt pour ces solutions chez les hébergeurs en colocation, qui devront faire face à des clients demandant un système de refroidissement par liquide pour accompagner des armoires plus denses avec une forte consommation électrique à dissiper.  

Il est possible d’installer une boucle d’eau réfrigéré dans un datacenter refroidi à l’air, mais c'est beaucoup plus simple à mettre en place avec un préquipement existant. Si les fournisseurs comme Schneider doivent encore faire face à l’hydrophobie historique de certains DSI – les mainframes faisaient déjà appel au refroidissement liquide - ce dernier s’est progressivement implanté dans les PC pour gamers, le minage de Bitcoin et les systèmes HPC (projet Neptune chez Lenovo). «  Ce que nous constatons aujourd’hui, c'est que la demande atteint un seuil en termes de densité des racks, où le refroidissement par air réfrigéré peut encore être utilisé, mais ce n'est pas l'option la plus efficace pour certaines charges de travail ». Les directives ASHRAE (American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers) recommande de passer au refroidissement liquide pour les charges de travail liées au calcul avec un grande nombre de CPU et GPU (IA et autres) dépassant les 350W par puce et certaines projections annoncent des processeurs à 700W (multiplication des cœurs). « Le free cooling ne sera plus une option possible », assure Andrew Bratner. « Cette puissance de traitement informatique plus élevée nécessite des solutions différentes. Ce que Schneider cherche à faire, c'est de proposer une approche de bout en bout en regardant le système complet avec la solution de refroidissement : au proche du serveur et sur la puce elle-même, jusqu'à la façon de distribuer les liquides ou le type de fluide utilisé pour refroidir les puces. Sans oublier de prendre en compte le rejet de chaleur à l’extérieur, car la plupart des systèmes ne sont pas autonomes et nécessitent toujours une soupe d’évacuation. » Le free cooling a toujours été un moyen laborieux pour déplacer ou éliminer la chaleur d'une armoire, mais c'est beaucoup plus facile et moins cher que d'ajouter une solution de refroidissement liquide à un système. Mais la demande toujours plus importante de performances en calcul et la hausse de la densité dans les armoires rendent inévitable le recours au refroidissement liquide dans les serveurs.