Après plusieurs mois de chassés-croisés, les deux projets de clouds souverains français co-financés par l'Etat sont désormais lancés, menés de part et d'autre par SFR/Bull et par Orange/Thalès. On sait depuis la semaine dernière que le premier s'appelle Numergy et qu'il sera dirigé par Philippe Tavernier, jusque-là président de Sogeti France. Le deuxième projet, longtemps connu sous le nom d'Andromède, est maintenant nommé Cloudwatt. A sa tête a été nommé Patrick Starck, ancien dirigeant de CA et HP France. Sur le marché, les principaux acteurs du cloud computing en France, tels qu'OVH, IBM ou Cheops Technology voient ces chantiers prendre forme avec des sentiments et réactions diverses. L'hébergeur OVH a rapidement réagi en ouvrant la semaine dernière un site, baptisé Vaporcloud, qui s'ouvre sur une critique des « annonces franco-françaises autour de cloud financé par l'argent public » et redirige les visiteurs vers ses propres offres de « cloud français ». Mais OVH ne souhaite pas, pour l'instant, commenter plus avant ce coup de gueule.

De son côté, IBM, autre acteur notable du cloud dans l'Hexagone, fait remarquer qu'au-delà du buzz généré par les noms choisis pour les clouds souverains et la nomination des dirigeants, il n'y a pour l'instant rien de nouveau dans les annonces qui ont eu lieu la semaine dernière. Cloudwatt a prévu d'en dire plus le 2 octobre prochain, lors d'une conférence de presse.

« Par contre, cela vient conforter notre stratégie sur trois points », commente Christian Comtat, directeur cloud computing d'IBM France. « Premièrement, nous pensons depuis plusieurs années que le cloud est très important puisque nous avons investi 300 M€ depuis 2009 pour le mettre en place en France ». Pour lui, les récentes annonces viennent donc confirmer le fait qu'IBM a été visionnaire à l'époque. Le groupe dit d'ailleurs continuer à investir très fortement en France. 

Un temps d'avance sur des annonces prévisionnelles

« Deuxièmement, cela vient renforcer notre stratégie sur l'importance de l'écosystème », poursuit Christian Comtat. « La valeur du cloud est énorme. Il est primordial de nous associer avec des partenaires qui apportent une valeur ajoutée à la nôtre. » Il cite deux exemples récents, l'accord signé en février avec l'éditeur lyonnais Cegid, qui a choisi le cloud privé d'IBM pour son offre SaaS, et l'accord conclu en juillet dernier avec Aspaway [NDLR : partenaire d'IBM depuis plusieurs années dans l'hébergement] qui lui a confié la mise en place de son cloud privé. « Nous avons fait évoluer l'ensemble de la solution supportée par IBM pour qu'Aspaway puisse répondre plus efficacement aux start-up d'édition de logiciels en France sur un modèle de développement rapide », explique le directeur cloud computing d'IBM France. « Pour nous, la mise en place d'un écosystème est une réalité, l'aspect partenaire est pris en considération depuis des mois. Nous estimons donc que nous avons un temps d'avance par rapport à des annonces de clouds qui sont simplement prévisionnelles. »

IBM prévoit un cloud public en France

Enfin, Christian Comtat souligne que si le cloud en France est bien sûr fondamental, il faut aussi qu'il soit cohérent et compatible avec les clouds qu'IBM a installés dans d'autres pays. « Nous allons annoncer dans les prochains mois, sans doute avant la fin de l'année, un cloud public en France qui est équivalent à ceux qui tournent dans les autres pays. C'est fondamental pour les entreprises qui veulent développer leur business à l'étranger de pouvoir mettre en place leurs applications rapidement sur d'autres pays ou zones géographiques, en Asie, en Amérique Latine, etc. » Pour lui, cela constitue la base d'une extension à l'international.

Interrogé sur le développement de clouds souverains, Nicolas Leroy-Fleuriot, PDG de Cheops Technology, se dit de son côté assez mitigé. « A la base, c'est une bonne idée, ce peut être un moyen d'afficher un mastodonte français capable de rivaliser au niveau européen ». Car en France même, souligne-t-il, il y a déjà des acteurs capables d'offrir des services clouds de haut niveau : Cap Gemini, Atos ou... Cheops, pointe-t-il en rappelant que sa société gère, entre autres, l'informatique de sociétés comme C Discount, d'Yves Rocher et de Cultura. « Mais si nous visons une dimension véritablement européenne, c'est une bonne idée pour rivaliser face à des acteurs américains comme Amazon, Google, MS, IBM », estime Nicolas Leroy-Fleuriot. Toutefois, il s'interroge sur le choix de financer deux projets distincts, Numergy et Cloudwatt. « Là où je suis dubitatif, c'est que l'Etat aurait dû se concentrer sur une seule structure et pas deux », considère-t-il. « Leurs moyens (225 M€) sont dérisoires face aux milliards de dollars que les groupes américains peuvent investir. Mais, cela peut tout de même avoir du sens...».

Les TPE, PME et ETI n'y trouveront pas leur compte, selon Cheops


De même, le PDG de Cheops ne croit pas qu'il s'agisse d'une proposition adaptée aux besoins des entreprises petites à moyennes. « Je ne crois pas du tout que les TPE, PME, ETI sont intéressées par de telles structures car elles ont de telles contraintes de personnalisation de la prestation et de leur production informatique qu'elles n'y trouveront pas leur compte. Quand on voit le niveau d'intimité et de maturité qu'elles attendent de leur prestataire sur leur environnement informatique. » Le dirigeant pense que le support qu'offriront ces clouds sera très généraliste. Alors que les clients attendent que leurs prestataires maîtrisent totalement leur environnement, fait-il remarquer. « Ils sont d'une exigence incroyable. C'est le cas sur notre offre iCod de cloud privé [conçue pour fournir aux entreprises des ressources à la demande]. Nous avons 71 clients. Ils sont tous très exigeants et très demandeurs d'une maîtrise totale de leur environnement par Cheops. »

Une précaution face à des lois comme le Patriot Act

Il peut en aller autrement pour les collectivités locales et organismes publics. Nicolas Leroy-Fleuriot estime que ces utilisateurs pourront s'orienter vers ces solutions de cloud computing pour rester avec l'Etat. « Cela dit, je reste très dubitatif. Est-ce à l'Etat de financer ces structures alors que les entreprises américaines se sont débrouillées seules. Est-ce que c'était son rôle ? Cela frôle la distorsion de concurrence », conclut-il.

Il convient de rappeler que parmi les motivations importantes ayant conduit à ces projets de clouds souverains figure la volonté de proposer pour gérer et stocker les données des utilisateurs français des infrastructures qui garantissent la confidentialité et la sécurité des données et ne soient pas soumises à des lois comme le « Patriot Act » américain. Ce dernier peut en effet contraindre une entreprise américaine installée en France (un hébergeur, notamment) à transmettre les données de ses clients si le gouvernement des Etats-Unis l'estime nécessaire dans le cadre d'enquêtes anti-terroristes.